Dokkun et TheMalicious, le Bara amateur français montre ses pecs
En fendant la foule de la Japan Expo pour aller interviewer Taifu Comics, j’ai été étonné par la qualité des ouvrages présentés par les collectifs Dokkun et Themalicious. Spécialisés dans ce que l’on pourrait définir comme un thème de niche, ils regroupent des illustrateurs et scénaristes fans de bande-dessinée gay tendance bara. Ce terme un poil péjoratif pour les puristes définit le style japonais qui se situe à l’opposé du yaoi sur le spectre gay. Exit les éphèbes efféminés aux grand yeux pleins d’étoiles, ici on vend des vrais bonshommes musclés et poilus qui s’enfilent bien fort. Deux collectifs français de qualité et passionnés sur un thème comme celui-ci, ce serait dommage de ne pas vous en parler.
Malgré un style bien différent du yaoi, principalement dessiné par et pour les femmes, le bara attire aussi bien les garçons et les filles qui y trouvent de quoi contenter leur appétit pour les rapports sexuels bien virils. Ce qui est plutôt amusant quand l’on sait que bara veut dire « la rose » en japonais. L’origine du terme vient vraisemblablement de Barakei (« Tué par les roses »), un recueil de photos homo-érotiques de 1963, et de Barazoku (« La tribu des roses »), le premier magazine gay japonais né en 1971. Pourtant ce nom n’est utilisé qu’en Occident vraisemblablement car il sonne plus exotique et qu’il est plus pratique à utiliser que « dessins de mecs musclés à poils style manga ».
Les amateurs éclairés et les Japonais lui préféreront le terme « Men’s love » en usage là-bas. Bon à savoir si vous passez au Japon ou en convention et que vous voulez éviter de passer pour un rustre. Je conseille au passage à ceux qui veulent en apprendre plus sur le sujet et découvrir les maîtres du genre, la lecture de l’anthologie « Massive: Gay Erotic Manga and the Men Who Make It » chez Fantagraphics. Elle regroupe des bios, interviews et aperçus des oeuvres de plus de 20 artistes majeurs du style comme Gengoroh Tagame, Jiraiya, Seizoh Ebisubashi ou encore Kazuhide Ichikawa. Malheureusement uniquement en anglais, elle est tout de même la référence en la matière qui complètera idéalement les recherches sur vos galeries hentai favorites.
Lors d’une deuxième rencontre à la Ycon en novembre dernier, j’ai pu constater sur leurs stands qu’il y avait un public avide de musculature poilue. Un public tout de même restreint pour ce qui reste une niche dans la production globale de contenu gay. Et pourtant nous avons là deux collectifs nationaux dont la qualité des productions dépasse allègrement ce à quoi l’on peut s’attendre quand on parle de fanzines. L’image d’Épinal du fanzine traditionnel avec ses pages photocopiées et agrafées à la loose laisse la place aux beaux recueils en dos carré collé et aux couvertures full color alléchantes. Le genre de chose que l’on peut mettre sans honte dans sa bibliothèque à côte de l’intégrale de Tom of Finland.
Évidemment la démocratisation des outils de production pour l’édition et l’impression y est pour quelque chose mais leur utilisation correcte requiert aussi un certain talent. De griffonneurs seuls dans leur chambre d’ado décorée de posters de Magnum et Barracuda, ils sont devenus illustrateurs, scénaristes et éditeurs presque professionnels. Seulement presque car bien loin d’en vivre. D’où la nécessité de se diversifier avec des dessins sur commande, illustrations plus classiques ou un travail alimentaire à côté. Et c’est peut-être dans cette accumulation de contraintes que se trouve la recette d’une communauté active et soudée qui partage une même émulation. Nul doute que le jour où le style Men’s Love japonais s’affichera en 4×3 dans le métro, ce ne sera plus pareil.
Dokkun
Créé par Fabrissou en 2010 sous la forme d’une association loi 1901, Dokkun fut le premier collectif consacré au genre men’s love en France. La scène amateur gay japonisante était alors exclusivement dédiée au yaoi plutôt soft, les fans de gros muscles et grosses teubs étaient donc obligés de se rabattre sur les productions japonaises dont les anthologies et doujins étaient traduits à l’arrache et disponibles illégalement sur les sites spécialisés. Dokkun eu pour vocation initiale de reproduire l’écosystème amateur présent là-bas, on n’est finalement jamais mieux servi que par soi-même même si cela demande plus de boulot. Une frustration initiale qui a trouvé suffisamment de bonnes volontés et d’artistes pour faire du collectif une vraie maison d’édition qui produit jusqu’à 3 volumes par an. Ceux-ci se présentent sous la forme d’oeuvres collectives ou de compilations dédiées à un auteur en particulier, pratique pour leurs fans. Les volumes collaboratifs regroupent environ 5 auteurs et le process créatif commun est plutôt simple : il n’y en pas. Chacun s’amuse et dessine ce qui lui plait selon ses envies et son inspiration.
Jusque là, le concept porte ses fruits car l’on voit bien que, de l’inspiration, il y en a et qu’effectivement cela donne bien envie. Les artistes participants sont principalement européens avec des japonais, coréens et vénézuéliens qui se joignent à la fête. La collaboration et l’ouverture sont des qualités que l’on retrouve souvent chez les amateurs. Il n’y a d’ailleurs pas vraiment de pré-requis pour participer à l’aventure, certains d’entre eux ne sont même pas barbus, un comble. Les beaux volumes sont alors mis en vente sur la boutique et à Japan Expo, qui est le plus gros marché en France pour les fanzines mangas. L’édition 2016 fut d’ailleurs l’occasion de sortir le 10ème volume du fanzine, preuve que Dokkun et le genre en général ont trouvé leur public amateur d’étreintes viriles. Un public qui dépasse d’ailleurs les frontières francophones car les retours coréens et japonais sur la production de Dokkun sont très positifs grâce à l’effort de traduction en japonais de certains titres qui à permis de les mettre en vente directement là bas. Un gage de qualité pour sûr.
Themalicious
Themalicious est un collectif créé en 2011 par 4 artistes aux styles bien différents : Eeks (style japonais/européen), Waghran (auteur de fiction gay), Yuki (yaoi traditionnel) et Gigan (men’s love japonais). Le fait d’avoir eu dès le départ autant d’influences différentes a directement orienté la décision d’avoir un contenu axé sur des thèmes, comme les pirates, la prison ou encore les gladiateurs, plutôt qu’un style particulier. Chaque ouvrage étant le résultat d’un travail collaboratif, Themalicious est articulé autour d’un forum de discussion qui leur sert de base logistique pour coordonner les échanges entre les artisans du projet et communiquer avec les lecteurs. Chacun apporte ainsi sa contribution à la future publication en fonction de ses compétences et expérience. Comme il n’y a pas de style recherché mais une volonté commune de créer des oeuvres gays bien cochonnes, les capacités artistiques requises sont assez larges. Cela pourrait être considéré comme un manque d’exigence mais c’est en fait un moyen de mettre en situation réelle les débutants. L’initiation virile des jeunes hommes n’est-elle pas un thème récurrent du genre ?
Les artistes novices peuvent d’ailleurs poster leurs créations sur le forum où ils seront conseillés et corrigés par les autres créateurs de la communauté. Les contributions sont ensuite rassemblées, mises en page pour partir à l’impression et enfin être vendues sur la boutique en ligne ou dans les conventions. Le bénéfice est ensuite réinvesti pour financer les prochains numéros et l’achat de lube et capotes. Quoique, pour ces deux derniers postes, je n’en suis pas totalement sûr. Avec leurs influences et contenus divers, ces publications donnent un ensemble hétéroclite mais très vivant. Un mélange d’un peu de soft et beaucoup de hard, de dessins et de textes, oscillant entre yaoi et bara mais toujours dédié à nous faire passer un moment bien hot. Le nombre et les artistes pour chaque numéro peut aussi varier, les places n’étant pas fixes, avec un système de roulement pour permettre aux jeunots de tenter l’aventure et aux anciens de se reposer. Cet incubateur porn a ainsi permis à une grosse vingtaine d’artistes de faire leurs armes dans ce domaine. Avec un peu chance, autant de futurs Tagame ?
Dans certains cas les traits sont peut-être quelques fois hésitants avec un côté amateur un peu maladroit mais on sent bien la passion qui transpire de ces textes et dessins. Le potentiel fapesque est d’ailleurs bien présent car ils arrivent à nous transmettre l’excitation ressentie en couchant leurs fantasmes sur le papier et la palette graphique. Et en voyant le résultat avec leur expérience actuelle, on constate le potentiel existant qui nous promet de bien belles choses. Les technologies modernes facilitent le partage et la diffusion des créations bien chaudes des nouveaux artistes porn, alors profitons-en.
Aucun commentaire. Laisser un commentaire