Nobuyoshi Araki ou l’art du kinbaku
Nobuyoshi Araki est un artiste contemporain japonais, connu pour son travail photographique prolifique – il a produit des millions de clichés – et tout particulièrement pour ses séries érotiques. Sa dernière exposition parisienne intitulé « Polanography » à la galerie &co119 s’est tenue en parallèle de sa grande rétrospective au Musée Guimet l’année dernière. Je vous propose d’entrer dans son univers, là où « la photographie est la vie » et « le quotidien est un art ».
Dans la droite lignée de Helmut Newton, Nobuyoshi Araki cultive un amour profond pour le corps des femmes. Entre tiraillement et bondage, les corps sont mis à bout dans une tradition japonaise des plus fascinantes. L’ode au kinbaku n’est que le prélude à un travail foncièrement provocant et subversif. Pas étonnant, donc, de le voir signer ses oeuvres de la graphie Arākī アラーキー – « anarchie ». Proche aussi d’un certain Larry Clark dans la brutalité de son oeuvre, il dépeint un univers sexuel caché bien que foncièrement adulé.
Avant de devenir un grand de la photographie érotique, l’artiste a suivi des cours de cinéma à la faculté de Chiba. Fraichement diplômé, il commence à travailler en 1963 comme caméraman pour l’agence de publicité Genzu. Là, comme il l’expliquera dans Tracks des années plus tard, il a « vu le côté le plus abject de ce métier ». C’est pour s’échapper de son quotidien révulsant qu’il s’est lancé dans une photographie plus personnelle, plus intime et qui l’amènera à constituer de vrais journaux intimes à la manière de Nan Goldin ou Sophie Calle.
Araki a écrit les premières pages de son journal photographique en 1971, lors de son voyage de noces sur une petite île japonaise avec sa femme Yoko. Il y a photographié tout ce qui l’entourait et l’envoûtait, notamment certains ébats sexuels avec son épouse. C’est la raison pour laquelle cette magnifique série baptisée Le voyage sentimental a fait scandale lorsqu’elle a été publiée à compte d’auteur dans l’archipel. Elle est une ode au paradoxe : « Moi, j’ai horreur de la perfection, je mélange le beau et le vulgaire, le sexe et la mort, le désir et la répulsion » commente l’artiste dans les pages de Télérama.
« La photographie impose une relation avec le sujet » précise-t-il. C’est un corps-à-corps qui, selon lui, explique ses nombreuses parties de jambes en l’air post-shooting avec ses modèles qu’il va chercher dans les ruelles chaudes de l’arrondissement tokyoïte de Shinjuku, son terrain de prédilection.
A partir de 1985, l’artiste commence à exposer à l’étranger. C’est pourtant à partir de cette même période que le glas nippon commence à retentir. Malheureusement, dans son pays natal, ses images ne plaisent toujours pas. Comme beaucoup d’autres artistes, son travail a été la cible de différentes mesures judiciaires entre 1988 et 1993 – la représentation des organes génitaux et des poils pubiens étant considérée comme « obscène » selon la loi japonaise. Elle l’est toujours à l’heure actuelle.
Ces assauts légaux ainsi que le décès de sa femme en 1991 n’ont pas arrêté le photographe. Meurtri par la perte de l’être qui lui était le plus cher, Araki évolue dans son approche photographique. Comme un appel au contrôle, à la droiture forcée en ses temps tourmentés, l’artiste se centre progressivement sur les corps torturés par la pratique ancestrale du kinbaku : « Le bondage n’est pas la même chose que le kinbaku, explique-t-il au président du Musée du Luxembourg, Jérôme Neutres. Au Japon, la technique du kinbaku a sa source dans le hojôjutsu, l’art martial du ligotage, une technique ancestrale. L’esprit du kinbaku est donc différent de celui du bondage, car quand on parle de bondage, cela sonne comme une mode. » Entre sexe et mort, l’artiste danse sur la corde sensible.
Ces corps fascinants font face aux visages impassibles de ces femmes aériennes. Leur regard froid et franc contraste avec les noeuds qui ligotent leur corps. Elles ne sont ni soumises ni passives, simplement frontales, d’une brutalité sans nom. Etonnant quand on sait que ses images de nus et de bondage, publiées dans des revues sadomasochistes, ont fait le bonheur du Pigalle des années 1980. Araki a esthétisé et érotisé une culture dite de niche, celle du bondage et du SM.
Bien que ses clichés en noir et blanc apparaissent souvent lorsqu’il est question d’Araki, l’artiste a expérimenté d’autres techniques. Des éclats de couleurs viennent se coucher sur certaines de ses épreuves photographiques, comme si un instant de vie venait se frotter sur le corps de ces femmes, ses muses à jamais.
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