La Colombie, nouvel Eldorado de la sex cam
« Ush Papi ¡qué rico! » cette phrase, cet accent, ces courbes… On est tous d’accord, les cammeuses colombiennes donnent chaud. Qu’elles viennent de Cali, Pereira, Medellin ou Bogotá, elles sont plusieurs milliers à se connecter chaque jour et certains noms vous sont sûrement familiers : Molly Brooke, Sofie Cooper, Millie Martins ou encore Sofia Laren. Le marché colombien explose et s’imagine déjà ravir le titre de la capitale de sex cam à la Roumanie. Tout semble réuni pour que ce rêve se réalise, mais à quel prix ?
La Colombie, « provider » idéal
La Roumanie domine actuellement le business de la cam avec plusieurs dizaines de milliers de modèles répartis dans de nombreux studios qui diffusent sur toutes les plateformes connues. Le pays s’est attaqué tôt à cette industrie et dispose aujourd’hui de l’une des meilleures connexions Internet au monde. Les salaires y sont bas (le salaire moyen national était de 425 € par mois en 2015), le taux d’emploi des femmes inférieur à celui des hommes et peu de lois y régissent le marché du sexe en ligne, ce qui rend possible l’exploitation d’une main-d’œuvre prête à tout pour mieux gagner sa vie. Cependant, la concurrence a émergé de l’autre côté de l’Atlantique.
Sur les plateformes de webcam, qu’elles soient sur le modèle « privé » ou freemium, les Colombiennes sont partout. Elles incarnent, d’une part, l’image de la Latina dans toute sa volupté pour les clients « gringos », poitrine et fessier indécemment rebondis ; et d’autre part, pour le reste de l’Amérique Latine, le cliché de la Colombienne assoiffée de sexe et insatiable. La majorité de ces modèles sont des étudiantes ou des mères célibataires qui ont compris qu’elles pouvaient gagner entre quelques centaines et plusieurs milliers d’euros par semaine quand le salaire minimum du pays est d’à peine 240 euros par mois.
En Colombie, les études sont coûteuses et ne permettent pas d’obtenir des salaires élevés. Un professeur gagnera tout au plus 1,5 million de pesos par mois, soit 490 euros. De plus, l’idée que le sexe rend possible une vie meilleure est très répandue. La culture de l’argent facilement et rapidement gagné règne, introduite par la « narco-culture », et diffusée au sein d’une société machiste, qui apprend aux femmes que seule une paire de « boobis » leur permettra de gagner de l’argent, beaucoup d’argent.
Par exemple – malgré certaines zones de tolérance, la prostitution est banalisée dans l’ensemble du pays – le recours aux services de « prepagos », sortes d’escorts payées en fonction de leur beauté, de leurs courbes, de leur statut social et du temps qu’elles consacrent au client, est totalement banalisé. Les lois colombiennes rendent les travailleurs du sexe invisibles.
On retrouve également ce message dans les clips de reggaeton ultra-populaires ou dans les telenovelas, ces feuilletons dramatiques suivis par des millions de latino-américains.
Une telenovela en particulier a contribué à diffuser l’idée qu’une colombienne doit se servir de son corps voluptueux pour réussir. Cette série, globalement diffusée et adaptée sur grand écran, s’intitule Sin tetas, no hay Paraíso (comprenez “Sans poitrine, pas de Paradis”). Elle relate les aventures de Catalina, adolescente de 17 ans issue des quartiers pauvres de Pereira, qui n’a qu’un seul rêve : se faire opérer. Pour ce faire, elle se rapproche des mafieux locaux et échange sa virginité contre l’achat d’implants. Bel exemple, donc…
Enfin, il est très facile et peu coûteux de créer un studio webcam en Colombie : peu de charges, des loyers très bas et presque aucune réglementation.
Une industrie contrôlée par les studios
Dans le business colombien du live comme en Europe de l’Est, les studios sont rois ! Plus de 70% des modèles du pays travaillent pour eux. Ils prélèvent en moyenne 50% de leurs recettes, en échange d’une pièce disposant d’un lit et d’une webcam. Ajoutez à cela la commission prise par les sites de live cam sur ce que les clients dépensent (de 50 à 70%) et les filles n’empochent réellement qu’un quart de ce qu’elles gagnent. Elles sont payées sur une base « quincenal », c’est-à-dire tous les 15 jours, ou chaque fin de semaine.
Si, tout comme en Roumanie, on retrouve une grande majorité de modèles travaillant avec des studios en Colombie, c’est que ceux-ci leur offrent un semblant de sécurité et d’accompagnement et surtout un lieu pour réaliser leurs shows, car nombreuses sont les cammeuses vivant encore chez leurs parents ou ayant une famille à charge.
Il y a quelques années encore, l’industrie se plaçait en observatrice, apprenait de son concurrent roumain et peinait à se professionnaliser. Aujourd’hui, la réalité semble bien différente : les studios colombiens excellent et innovent, parfois au détriment des principaux acteurs du marché, les cammeuses elles-mêmes.
Ainsi, en août 2016, le studio et site internet Juan Bustos, entièrement dédié au business « live cam », a lancé la première Webcam University au monde en partenariat avec Cam4. Cette école inédite propose des formations complètes pour devenir une véritable star du « peep show en ligne » ; allant de la façon de filmer pour mieux vendre à la gestion de ses comptes sur les réseaux sociaux, en passant par les cours d’anglais.
En effet, pour devenir le plus gros marché, les studios ont bien compris qu’il ne suffisait plus de proposer des filles extrêmement excitantes, il fallait qu’elles aient aussi du charisme et des talents particuliers. Selon Anthony Rivera, co-fondateur de AJ Studios : « La cam girl parfaite c’est 60% de personnalité et 40% de physique ; c’est un service basé sur la relation, donc des personnalités charmantes et créatives sont un vrai plus. La compétition est de plus en plus rude dans le milieu, et la dimension sexuelle moins importante. Une camgirl qui veut réussir doit être en avance sur la compétition, proposer de nouvelles expériences et ainsi engager le client ».
AJ Studios est le plus gros studio de webcam d’Amérique du Sud avec plus de 700 modèles. Rien qu’en Colombie, il compte plus de 250 modèles « on site » répartis dans 8 succursales à travers le pays, des « studios franchisés » et une centaine de filles travaillant depuis leur domicile. Tout y est mis en œuvre pour que les camgirls colombiennes deviennent les reines incontestables du business : un staff permanent à leur disposition (psychologue, web designer, avocats…), des salaires hebdomadaires, des formations payées etc. Et si seulement 10% d’entre elles parlent couramment anglais, des modérateurs bilingues sont en charge d’entretenir les chats avec les clients. « Nous représentons un réel business et nous employons des centaines de personnes. En devenant plus gros, nous voulons devenir un important secteur d’emplois ici en Colombie. Et pour cela, il faut qu’on tienne un rôle encore plus grand dans l’industrie pour adultes », me raconte Anthony.
Selon Ninja Kitty, une cammeuse indé et modèle pour Suicide Girls sous le pseudo de Milou Suicide : « Juan Bustos est un très bon studio. Ils poussent vraiment les filles à réussir, ils les forment pour qu’ensuite elle s’émancipent et bossent en indé. Au début ils prennent 50%, puis 30 puis 20 et ensuite ils te disent : c’est bon, tu peux bosser pour toi et être ton propre patron. Mais ce n’est vraiment pas le cas de la majorité des studios ».
Si certains studios sont effectivement novateurs et travaillent dans le respect des modèles, d’autres s’apparentent plutôt à des proxénètes 2.0.
Ninja Kitty me confiait, à propos de ses débuts dans le business : « J’ai commencé en 2014 dans un studio miteux et underground du quartier Santa Isabel à Bogotá, le studio a fermé depuis. Je n’avais plus d’argent pour payer mes études en publicité et ma meilleure amie de l’époque avait publié une vidéo érotique que j’avais envoyée à mon ex (revenge porn). J’y suis restée deux mois, ils ne m’ont rien enseigné, l’essentiel était de faire du chiffre. J’ai vu des filles se déshabiller et passer des heures avec un sextoy dans le vagin pour 1$. Moi j’ai eu de la chance, j’ai des seins énormes, je n’ai jamais eu à faire des choses fécales ou à uriner, mes seins m’ont permis de gagner rapidement beaucoup d’argent et j’ai su gérer mon image ».
Aujourd’hui, elle gagne entre 300 et 500 dollars par jour et travaille depuis son domicile, en se fixant ses propres horaires et limites. Ses clients fidèles lui achètent tout ce dont elle a besoin pour travailler : webcam HD, lingerie…
Selon elle, certains petits studios exploitent les filles : « Elles travaillent pendant des heures et des heures, on leur dit juste qu’elles doivent ramener de l’argent coûte que coûte. J’ai majoritairement connu des filles jeunes, avec un niveau d’éducation très bas, qui voulaient pouvoir se payer des études. La réalité est que nous sommes très peu à réussir […]. Mais les filles acceptent, car ici, en Colombie la société est très hypocrite et machiste. On ne peut pas travailler de chez nous, de peur que notre famille le sache, on est dénoncé par des connaissances, qui eux-mêmes sont clients des sites. On reçoit des menaces, on est victime de revenge porn ».
Pour aider les victimes, ou conseiller au mieux les futures cammeuses, Ninja kitty a créé la page Facebook Stop Revenge Porn Colombia et milite pour les droits des travailleurs du sexe en Colombie. Elle s’identifie comme féministe et s’insurge face aux crimes haineux dont sont victimes les travailleurs du sexe dans son pays. Cette autre réalité, bien moins sexy et vendeuse, est aisément camouflée par le dynamisme du marché de la webcam en Colombie.
Présence internationale et innovations
Anthony m’avouait vouloir « éduquer le business colombien pour le rendre compétitif à l’international ». Et pour cela, qui de mieux que l’actrice Esperanza Gomez ? En 2016, ils se sont associés pour créer Diamonds Girls Studios, un « méga studio webcam » travaillant exclusivement avec les meilleurs modèles de la région. Cette même année, Esperanza Gomez avait donné son premier show aux côtés de Sofia Laren et faisait ainsi son entrée dans le milieu sur Chaturbate.
Le 28 janvier dernier, AJ Studios et CM studios (un autre studio colombien) ont organisé le live spécial d’Esperanza Gomez sur Chaturbate, accompagnée par deux cam girls de Medellin, Lupita Jones et Valentina Milan. Le site a enregistré la plus grosse fréquentation de son histoire avec 22 000 personnes dans le même salon !
Et ce n’est pas tout ! En 2015, AJ Studios s’est associé à Juan Bustos et Grupo Bedoya pour créer Lalexpo, le premier salon international de l’industrie la sex cam du continent. La troisième édition aura lieu en juillet, sur la côte Caraïbes, dans la très touristique ville de Carthagène. Lalexpo s’étend aujourd’hui à l’ensemble de l’industrie pour adultes et est fréquenté par plus de 2 000 professionnels.
Les rêves de grandeur de l’industrie colombienne ne s’arrêtent pas là. Le développement de nouvelles technologies et de produits innovants rend possible d’incroyables expériences virtuelles desquelles la Colombie compte bien être pionnière. Anthony nous en a dressé une liste non exhaustive : « On est déjà présent sur la réalité virtuelle. On a d’ailleurs lancé le premier site de VR d’Amérique Latine en partenariat avec AliceX. […] On doit adapter la technologie de nos studios aux lunettes de réalité virtuelle comme les Google Glass (sic) par exemple, qui offrent une vision à 360 degrés et bientôt en 3D. Ensuite, on retrouve les sextoys connectés. Une cammeuse colombienne peut connecter son dildo à son ordinateur et un client en Australie peut « lui faire l’amour » en temps réel grâce à un « vagin » également connecté. Les vêtements et accessoires connectés sont déjà en train de changer l’expérience live cam. Le client peut contrôler la culotte vibrante de sa cam girl favorite grâce à une simple application téléchargée sur son smartphone. Enfin, avec les maisons intelligentes, dans lesquelles tous les objets sont interconnectés. Les clients pourraient savoir où se trouve le modèle dans la maison, comment elle respire, comment elle mouille, choisir son angle de vue et lui faire l’amour grâce à des sextoys connectés n’importe où. Le client aura un plus large choix d’interactions et d’expériences ».
La Colombie possède de réels atouts pour s’imposer comme le futur leader de l’industrie de la sex cam. Elle devra être innovante, créative, et réussir à continuer de faire rêver des milliers de filles, leur faisant miroiter une vie prospère. Ce business offre une option a priori simple et rapide, s’enrichir, au Paradis des implants mammaires et fessiers.
Image en une : Valentina Milan
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