La pornographie peut-elle influencer les jeunes ?

Récemment, Laurence Rossignol déclarait face au père Hervé Grosjean vouloir interdire les sites pornographiques pour (entre autre) protéger les plus jeunes. La question de l’impact négatif de la pornographie sur les jeunes est une inquiétude récurrente pour nos médias. Cette inquiétude véhicule très souvent des interrogations d’ordre moral. Que vont devenir ces millions de jeunes ayant accès massivement à de la pornographie ? Des pervers ? Des agresseurs ? Des déçus de l’amour ? Des garçons obsédés par la taille de leur sexe ? Des filles prêtes à tout pour plaire aux garçons ? Est-ce qu’un∙e jeune fan de porno sera plus instable qu’un∙e jeune fan de James Bond ?

Une chose est sûre,  la pornographie est une production culturelle consommée en masse, y compris par les jeunes. Différentes études établissent qu’environ 80% des 14-19 ans ont déjà vu des images pornographiques.

Extrait du documentaire Pornocratie d’Ovidie

Avant d’entrer plus dans le détail, il est nécessaire de poser le cadre de ce qui va suivre. À aucun moment cet article n’a pour but de nier que certaines sociétés de production pornographique – comme d’autres entreprises capitalistes – ont pour objectif premier la rentabilité, faisant fi des conditions de travail en exploitant leurs travailleuses. C’est le cas des sociétés présentées dans le documentaire Pornocratie. Il n’est pas non plus question d’excuser les productions pornographiques véhiculant des représentations problématiques (sexiste, raciste, classiste, transphobe…).

Ensuite, il faut voir ici la pornographie comme un genre de productions multiformes. Il suffit de faire un petit tour sur Le Bon Fap pour se rendre compte que la porno n’est pas un ensemble lisse et hétérogène de films identiques. Et parce que les médias ont tendance à présenter la pornographie de façon binaire et hétéro centré (c’est à dire « pénis dans vagin »), cet article empruntera la même vision.

Et enfin, cet article n’a pas but de nier que la pornographie, comme toute production culturelle, puisse avoir un impact sur ses consommateurs et consommatrices, l’excitation sexuelle est bien la preuve d’effets. Mais il me semble nécessaire d’apporter quelques petites précisions et grosses nuances.

Cela étant dit, penchons-nous sur les « effets néfastes » de la pornographie sur les adolescents.

Recontextualisons la production de pornographie

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Si on considère que la pornographie est sexiste et a un impact, alors il faut considérer que toutes les productions culturelles sont sexistes et ont un impact. Du dernier James Bond aux pubs utilisant le corps des femmes pour vendre des produits qui n’ont rien à voir entrecoupés d’articles expliquant que la fellation (le plaisir de l’homme) est le ciment du couple ou encore comment perdre trois kilos avant l’été. Cela vaut également pour les vêtements, livres, musiques… Et soyons fous, mentionnons également ces hommes accusés d’agressions sexuelles et faisant toujours partie du gouvernement. Vous l’aurez compris, la société est sexiste dans son ensemble. La pornographie – produite dans un système sexiste – offre également des représentations sexistes, mais elle n’est que le reflet de notre société. Il serait en fait très étonnant que la pornographie ne soit pas sexiste, au contraire du reste de la société.

Le fantasme de la soubrette chez Marc Dorcel

Le but est ici de remettre la pornographie dans son élément, c’est-à-dire une société véhiculant déjà des représentations problématiques. Mais le problème dépasse la simple pornographie, le problème est plus grand et concerne l’ensemble de la société.

Pourtant, les médias et notre société ont tendance à présenter les films X comme exclus du système dans lequel ils sont produits. Comme s’ils échappaient aux influences du monde, une sorte de bulle hermétique, un monde déconnecté du nôtre. Enfin pas tout à fait. Hermétique au monde extérieur, la pornographie déverserait ses mauvaises influences dans notre société. Influente dans un sens, hermétique dans l’autre. De plus, ce raisonnement illogique va totalement à l’inverse de la façon dont nous considérons les autres productions culturelles.

Mais est-ce qu’un porno peut nous influencer ?

Pour le fun, supposons qu’une production culturelle soit influente mais pas influencée. Je ne parle pas des effets corporels que peuvent produire des images, mais d’impacts psychologiques et comportementaux, de la reproduction des comportements vus dans des films pornographiques. Existe-t-il des théories expliquant qu’un contenu a un effet ? Il y a effectivement une théorie disant que les gens sont directement influencés par le média consommé [Théorie béhavioriste de Watson, 1913, tirée des travaux de Pavlov, 1890]. Mais cette théorie fut contredite et complexifiée [Entre autre par la théorie des effets limités de Katz et Lazarsfeld en 1955] considérant non pas les gens comme passifs et inertes mais bien actifs face aux médias consommés. Si influence il y a, c’est dans une certaine mesure. En définitive, ce débat de l’influence d’un média sur ses consommatrices et consommateurs est vieux de plus de 70 ans et il n’y a à ce jour toujours aucun consensus.

Don Jon de Joseph Gordon-Levitt

Il faut garder à l’esprit que les gens possèdent une grille de lecture avant même de consommer un média. C’est-à-dire qu’au moment où une personne se place devant un film porno, elle a déjà un avis, un point de vue, un sentiment, un ressenti. C’est la raison pour laquelle, par exemple, deux individus devant une même œuvre artistique dans un musée peuvent avoir deux interprétations diamétralement opposées. Cela vaut pour un tableau, une sculpture, un film d’action ou encore un porno. Le spectateur ou la spectatrice consomme et réinterprète le porno armé·e de sa grille de lecture, cette dernière étant façonnée par la société et l’éducation.

Accuser la pornographie de produire des effets néfastes sur ses spectateurs et spectatrices, c’est donc considérer ces dernier∙e∙s comme vierges de toute représentation du monde, sans aucune grille de lecture. Désigner la pornographie comme seule responsable de comportements problématiques, c’est oublier que notre éducation, notre socialisation ont façonné notre vision du monde. C’est oublier que toutes les productions culturelles – de James Bond aux chansons françaises comportent aussi ce que nous reprochons à la pornographie.

Résumons. La pornographie toute seule peut-elle inciter les gens à avoir des comportements sexistes et violents ? La réponse est non. La pornographie, ainsi que l’ensemble de la société violente et sexiste peut-elle inciter les gens à avoir des comportements violents et sexistes ? Oui, mais dans ce cas il n’est pas simplement question de débattre sur la pornographie mais sur l’ensemble des productions culturelles de notre société, ainsi que notre société toute entière.

Qu’en est-il des plus jeunes ?

Est-ce qu’on peut considérer de la même façon un adulte et un∙e adolescent∙e, alors que ce∙tte dernièr∙e est en pleine période de préparation et d’apprentissage de la sexualité ? Prennent-ils et elles la pornographie comme source d’information sur la sexualité ?

La pornographie est effectivement considérée comme une façon de découvrir la sexualité, mais ce n’est pas le canal d’information exclusif. L’enquête CSF (Contexte de la Sexualité en France), une grande étude sur la sexualité des français réalisée en 2005-2006, montre que les principaux canaux d’information sont massivement l’école puis la télévision et la radio. Comme le fait remarquer Virginie De Luca Barrusse, Internet n’est pas proposé comme réponse dans ce questionnaire, mais l’accès facilité à Internet aujourd’hui permet de penser qu’il prendrait au moins la même place que les médias télévision et radio. [« Usages d’Internet et représentations de la sexualité chez les jeunes : quels liens ? ». Dans « Éducation à la sexualité, du social à l’intime : l’émergence d’Internet et des réseaux sociaux », La Santé de l’homme, n°418 – mars-avril 2012]

Si la porno permet aux jeunes (entre autres) de répondre à certaines de leurs questions, de fournir une nouvelle source d’informations concernant la sexualité, ce n’est pas une source exclusive, mais bien complémentaire du reste de la société.

Mais s’ils et elles se servent (partiellement) de la pornographie pour faire leur éducation sexuelle, savent-ils et elles vraiment différencier les films de la réalité ? Oui, les jeunes semblent parfaitement savoir que la pornographie n’est pas la représentation du réel. De la même façon qu’ils et elles savent que les comédies romantiques ne sont pas représentatives de la vie réelle. Parce que les productions ont un scénario, des caméras, des projecteurs…

Equipe de tournage d’une production Badoink © Nick Melillo/Badoink

Une enquête belge qui a demandé à 319 adolescent.e.s s’ils et elles étaient d’accord avec « les films pornographiques montrent des relations sexuelles réalistes ». Il en ressort que 60% des consommateurs/trices et 72% des non-consommateurs/trices (garçons et filles confondus) ne sont pas d’accord avec cette affirmation. Ils et elles ne sont que 13% – consommateurs/trices et non-consommateurs/trices confondus – à être d’accord avec cette affirmation. Ce dernier chiffre est particulièrement intéressant puisque consommer (ou pas) de la pornographie ne semble pas entrer en jeu dans leur perception de la pornographie.

C’est peu ou prou ce qu’on retrouve dans l’enquête pornresearch.org : les jeunes semblent conscients des préoccupations dont ils font l’objet, et surtout font preuve de réflexion et d’analyse critique concernant leur consommation pornographique.

La plus grande enquête menée sur les jeunes et Internet a interrogé 25 000 enfants ainsi que leurs parents dans 25 pays entre 2009 et 2011. Il s‘en dégage qu’un quart des enfants a vu des images sexuelles explicites et que 4% des interrogé∙e∙s ont été bouleversé∙e∙s par ces images. Les enfants les plus vulnérables psychologiquement semblent être les plus choqués par les images pornographiques, ce qui démontre l’importance d’une éducation aux images et à la sexualité.

Que reproche-t-on à la pornographie ?

D’ailleurs, si l’on applique ce raisonnement de l’effet direct à une autre production culturelle, l’on peut se rendre compte de l’irrationalité de la chose. Si un individu a pour passion d’assister à des tragédies grecques, et si cet individu venait à tuer, mettrait-on la faute sur les tragédies grecques ? Cela paraîtrait insensé que de désigner pour unique responsable un divertissement. Quand bien même la consommation de cette production culturelle serait quotidienne, on pointerait certainement d’autres raisons du doigt ou un manque d’éducation à ce genre de production culturelle.

Alors pourquoi désigner la pornographie comme unique responsable des comportements problématiques des consommateurs et consommatrices de porno – alors qu’il nous paraîtrait insensé de le faire pour une autre production culturelle ? Pourquoi considérer la pornographie comme un simple divertissement ? Qu’est ce qui dérange à ce point la société et les médias ? Voyons ensemble quelques pistes.

Affiche contre la pornographie (USA)

La première raison est liée à la pornographie en elle-même et à ce qu’elle représente : la sexualité. Il serait long et fastidieux de faire une revue historique de la sexualité à travers les époques et les civilisations (et ce n’est pas le propos de l’article), mais pour faire court, il y a en Occident une représentation morale de ce que serait une « bonne » sexualité. Tout ce qui ne correspondrait pas à cette « bonne » sexualité est moralement et socialement déprécié.

Entre le XIIème et le XIIIème siècle, l’instauration du mariage chrétien monogame et indissoluble en Occident a délimité l’activité sexuelle légitime. Bien que l’activité sexuelle non reproductive était déjà déconseillée et réprimandée, l’église a en quelque sorte légiféré cette vision de la sexualité. La pornographie est tout le contraire de la sexualité reproductive : elle montre une sexualité récréative, comportant des pratiques non reproductives, exécutées par des professionnel∙le∙s payé∙e∙s pour avoir une sexualité non reproductive. Il n’est donc jamais question de faire des enfants, mais de luxure, l’un des sept péchés capitaux. La pornographie peut donc être considérée comme mettant en péril l’ordre moral en mettant en scène des actes amoraux.

Si l’on ajoute à ça que la pornographie rime pour beaucoup avec masturbation – qui est une forme de sexualité, mais toujours non reproductive – rien ne va plus.

La deuxième raison est liée à la façon dont est considérée et traitée la pornographie par la société. Production culturelle consommée en masse et jugée vulgaire, beaucoup refusent de voir la pornographie comme un art ou même faisant partie de la culture (bien que cela tende à changer avec différentes initiatives : festival, webzine, émissions…). On retrouve ici un mépris de classe vis-à-vis de la pornographie, une distinction entre ce que serait le mauvais goût (dont fait partie la pornographie, un truc du peuple) et le bon goût (qui exclut la pornographie et qui serait une pratique d’élites).

En définitive, il semblerait qu’en désignant la pornographie responsable de divers maux sociétaux, on ne s’interroge pas sur notre société et notre système dans laquelle la pornographie est produite. On peut aller jusqu’à penser qu’utiliser de tels arguments ne sert pas le bien commun, mais une vision morale de la pornographie et de la sexualité.

En attendant une véritable réflexion sur le porno, il s’avère que notre société, les médias et Madame Rossignol s’enferment dans une vision moraliste de la sexualité et de la pornographie, empêchant une réflexion plus générale sur notre société et plus approfondie sur le sexisme, le racisme, l’homophobie, la transphobie, le classisme, le validisme ou encore le non-consentement, la violence et le viol. Elles omettent ainsi tout un pan de la pornographie, un pan militant et politique. Certaines productions intègrent un consentement clair et explicite ; d’autres œuvrent à faire avancer les droits des actrices tout en offrant une représentation plus éclectique des genres et des sexualités, à l’instar de la pornographie féministe.

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