Navie : « On vit une nouvelle révolution sexuelle »

Les plans cul qui s’éternisent, le sadomasochisme, les jeux de l’amour et de hasard, la sodomie, les branlettes lasses : dans le podcast L’émifion, Navie dit tout et le dit haut et fort au micro, sans pudeur ni lourdeur. Héritier des libres antennes trash des années 90 remanié à la sauce YouTube Live (table-ronde collégiale et conversations étendues, les vrais savent), destiné à une jeune audience en manque de confiance, L’émifion met à nu la « chose », cette sexualité qu’il faut traiter avec légèreté de peur qu’elle vous écrase. Forcément, le porno tient une bonne place sur ces ondes. « Conversafion » entre franchise et fantasmes, féminisme et faps.  

L’émifion existe depuis plus de deux ans. C’est un podcast super décomplexé que tu animes avec Sophie-Marie Larrouy. Chaque émission se focalise sur un thème : le BDSM, les sexfriends, le slut shaming, le plaisir prostatique, les sextos, etc. Mais pourquoi avoir décidé de consacrer le tout premier épisode au porno ? 
Parce que c’est le sujet qui divise le plus de gens : les couples, les potes et les générations. Peut être le plus sensible de tous quand tu parles de sexe. J’aimerais qu’on trouve un autre terme que “porno” d’ailleurs, car on l’emploie trop négativement, pour dire tout et son contraire, on le traîne dans la boue. Avec Sophie-Marie, on a l’habitude depuis longtemps de se filer des liens porn entre nous, mais on a découvert que ce n’était pas forcément le cas pour toutes les filles de notre âge. Le truc, c’est que tout le monde n’a pas un rapport aussi décomplexé à la culture porn, d’où l’existence de l’émission. C’est avant tout un podcast sur le sexe à destination des plus jeunes, et en cela, je suis convaincue qu’il comble un vide.

Justement, le fait de banaliser le porno auprès d’une jeune audience a pu vous être reproché, suite à cette émission. Comment envisages-tu cela  ? 
Mon regard est double. D’un côté, je consomme beaucoup de porno et j’ai une vie sexuelle active. Mais je suis également une maman. Mon fils a cinq ans et je m’aperçois qu’il a tendance à jouer avec mon iPhone, qu’il peut facilement le déverrouiller, et très rapidement être confronté avec certaines images. Le fait que le porno existe ne me dérange pas du tout, au contraire, mais il faut avoir le recul pour comprendre que c’est de la fiction, que ce n’est pas réel. Il faut comprendre que le porno, c’est comme les mecs qui tirent au flingue dans les films d’action. On ne compare pas assez les vidéos pornos au cinéma classique, alors que cela embrasse la même logique. Il y a un âge adapté au X comme à American History X : il faut avoir les clés pour comprendre ce que tu vois ou ce que tu vis.

Après, on ne peut pas cadenasser Internet, je n’y crois pas. Les autorisations parentales, c’est bidon. Il faut éveiller son enfant à la diversité du web, le prévenir qu’il va trouver de tout sur le Net. Mais diaboliser ne sert à rien. Si on fait trop culpabiliser ses enfants, par rapport à la masturbation comme c’est toujours le cas, cela peut engendrer de réelles problématiques pour son avenir,  ses relations avec ses partenaires quand il grandira.

La culpabilité, c’est le mot-clé de L’émifion j’ai l’impression, que l’on parle de sexe anal, de plaisir solo ou de tags divers : les gens culpabilisent toujours.
Carrément, c’est très récurrent. Le principe de l’émission est justement la déculpabilisation liée au sexe. La culpabilité éclot parfois de l’éducation, parentale, ou judéo-chrétienne : le fait d’associer le désir au péché. C’est très compliqué de détricoter le carcan dans lequel on a été enfermé étant plus jeune, et nos podcasts t’aident à cela, je crois. Mais la culpabilité est toujours là. Sophie Marie par exemple est sujette à la culpabilité sexuelle, sa phase post-orgasmique est toujours compliquée. Mais moi, pas du tout. Après avoir fait l’amour, je me sens bien, je suis heureuse comme après un bon repas, style : ah, c’était chouette ! Je ne sombre pas dans les méandres du psychodrame post-orgasmique. L’essentiel, c’est d’identifier la source de la culpabilité. Puis remonter le fil et se demander : pourquoi l’on ressent ça ? quelle est notre façon de l’exprimer ? et enfin : comment s’en débarrasser ?

Le meilleur moyen pour contrer cette culpabilité qui peut être associée au porno, c’est d’exprimer ses désirs, d’échanger avec les gens. De comprendre, aussi que l’on n’est pas seul-e-s à avoir des fantasmes de soumission, de viol… Je sais qu’il y a des féministes qui vivent un conflit entre leur positionnement politique et moral et leurs fétiches porn, qui iraient potentiellement à l’encontre de leur militantisme. Dans nos podcasts, ce genre de débats et de contradictions passent bien, car on le dit toujours en rigolant.

Au fil des émissions, tu évoques l’éducation que tu as reçue étant enfant. Cela t’a aidé à ne plus culpabiliser et à mieux comprendre le porno ?
Oui, cette éducation était très ouverte sur la sexualité, mais jamais gênante, obscène. À la maison, le sexe était un sujet courant, comme la politique, l’amour ou la religion. Mes parents m’ont très vite dit: c’est ton corps, tu as ton intimité, c’est toi qui le touches, etc. J’ai rapidement compris que faire l’amour, c’était agréable. Comprendre cela te permet ensuite de découvrir ta sexualité dans de bonnes conditions, et pas simplement comme un interdit que tu transgresses un peu n’importe comment en réponse à l’autorité parentale. J’avais envie de choisir un bon partenaire pour ma première fois, car je souhaitais que ma vie sexuelle soit aussi cool que celle de mes parents. Encore aujourd’hui je suis heureuse qu’ils soient aussi épanouis sexuellement parlant : ça me rassure pour l’avenir ! (sourire)

L’idée de ces podcasts c’est de dédramatiser le sexe, qui est un sujet léger. On déconne, mais on ne dit jamais n’importe quoi : tu ne vas pas dire à un pote de ne jamais porter de capote par exemple. Là, c’est pareil. On ne s’autocensure jamais, mais l’idée est de conserver cette attention spontanée à l’autre. Le gros du travail se fait toujours hors émission, quand les gens nous écrivent et qu’on prend le temps de leur répondre par mail.

Capture d’écran de l’Emifion sur la découverte de la sexualité avec EmmaCupCake

Tu as la trentaine. Avant de découvrir les tubes, tu as vécu de plein fouet l’époque VHS et les films cryptés de Canal. Tu en gardes quels souvenirs ?
Oui, j’ai 35 ans, je suis de la génération VHS. Le film érotique du dimanche soir sur M6, les pornos de Canal, les virées en vidéoclubs pour dégoter des cassettes… À seize ans, j’ai débarqué dans un sex shop et, puisque j’ai toujours fait plus vieille, j’ai pu louer Rêve de Cuir 2 de Francis Leroi (1993). Je m’en souviens, car le nom sur la jaquette m’évoquait plein de trucs : Tabatha Cash. J’avais un combi (une télé avec magnétoscope intégré, pour les plus jeunes). J’ai regardé la fameuse vidéo. Et ce Tabatha Cash là,  je l’associe à un grand moment de joie.

Jusqu’ici j’avais été très frustrée face aux scènes érotiques mainstream. Je voulais voir un vrai porno. C’était ma première fois. Dans ta cour d’école, il y avait toujours un copain qui avait des cassettes X à te filer, mais quand tu étais une fille, lui demander ça risquait de te coller une réputation pas possible. Rêve de Cuir 2 m’a fait découvrir la domination, la soumission. Lors d’une scène, on voit une dominatrice avec des vieillards (qui ne doivent plus être très vivants aujourd’hui). Ça parlait de dominatrix et de kidnapping. J’en garde un très bon souvenir (sourire). Ce qui est triste aujourd’hui, c’est qu’un gamin de douze ans n’a pas vu un vrai film porno, mais juste des bouts de porno. Il n’a pas connu la narration du porno, l’excitation qui s’étend, le fait d’avoir un magnétoscope et cinq vidéos à vingt francs, à rembobiner, à remater, sans forcément que quinze fenêtres pop up te sautent au visage…

Tu gardes quels souvenirs de ton adolescence, hormis Tabatha Cash ?
Mon éducation sexuelle est passée par la radio : Doc & Difool. C’étaient des grands frères avec qui on pouvait parler de sexe. Mais à l’époque je me disais déjà : c’est dommage qu’il n’y ait pas de grande sœur dans le lot, que Doc ne soit pas une femme, tu vois. Car quand il fallait évoquer des problématiques féminines plus intimes, c’était déjà plus limite… Le concept de L’émifion c’est justement de discuter de porno et de sexualité avec deux bonnes potes qui pourraient être tes meufs, tes copines ou tes soeurs – plutôt tes grandes sœurs, vu l’âge moyen de l’audience. On n’a rien à vendre au public, mais on parle avant tout pour lui.

Quand j’avais treize ans sinon, je lisais Bravo Girl ! Des mags comme Bravo Girl ! et Vingt Ans parlaient souvent de sexualité féminine. Bon, mon père avait quand même un peu crisé en découvrant que ça parlait sodomie dans le courrier des lecteurs… Puis, l’un de mes gros déclics sexuels de l’époque, ce sont les clips super suggestifs de Madonna. Mon grand frère avait son cinquième album, Erotica. Madonna m’a initiée à l’univers du fetish. À la fac, j’ai aussi découvert la psychanalyse de Freud. Les actes manqués, l’inconscient, les rêves, ce sont des concepts fascinants pour comprendre notre sexualité, l’explorer et la saisir. Bon Freud avait un Œdipe très marqué alors il l’a foutu à toutes les sauces, mais ses théories étaient folles pour l’époque. Aujourd’hui, on l’associe trop facilement à de la psycho de comptoir.

C’était le danger de L’émifion, non ? D’être une discute de comptoir, un peu beauf, avec toutes ces confessions intimes, crues et  potaches.
C’était le risque. Mais en tout cas, L’émifion n’a pas vocation à être un débat intello sur le porn et la sexualité. On penche plus vers Jean-Luc Delarue. Mais sans voyeurisme ! Je pense à ses tout débuts, quand il interviewait les gens en seconde partie de soirée, loin de l’époque télé-réalité ou confessions cracra. On entendait enfin les gens faire du storytelling. Nous, on se sert de nos récits de vie, ou de ceux de nos invité(e)s, pour aider les autres. On ne s’adresse pas forcément aux lecteurs citadins de Brain ou du Tag, mais à ceux, qui, éventuellement, vivent dans un petit village, sont bisexuels et ont peur de se faire péter la gueule en sortant de chez eux. On leur propose l’entourage bienveillant qu’ils n’ont pas forcément.

Jean-Luc en 1996 : l’icône de toute une génération.

On parle de Madonna, de Ça se discute et de Skyrock, mais je crois que ton rapport à l’érotisme passe aussi par la littérature. 
Totalement. Quand j’étais gosse, j’ai lu Le Blé en Herbe de Colette. C’était une expérience très singulière, je ne sais pas comment te l’expliquer (hésitation). À certains passages, je me sentais bizarre, émoustillée, parcourue par une sensation de lecture qui me traversait tout le corps. J’avais l’impression d’être beaucoup trop jeune pour lire cette histoire et je me sentais un peu mal à l’aise. Jusque là, je bouquinais surtout la comtesse de Ségur ! Des bouquins où l’aspect sadique ne t’apparaît que bien plus tard, quand tu deviens adulte.

Friponneries chez Colette. Adaptation du Blé en Herbe par Claude-Autant Lara (1954).

Puis quand je suis arrivé à la fac, j’ai lu de la littérature chinoise érotique : les bouquins pornos de la dynastie Ming, comme Du Rouge au Gynécée. Cela m’a ouvert des horizons et m’a poussé à m’intéresser à la culture asiatique. Grâce à ces récits, je me suis découvert une grosse obsession pour les hentai. Du porno où la question morale n’est pas trop encombrante : c’est un dessin animé, alors je peux me permettre de tout voir, tout regarder et accepter, il n’y a aucune limite. Ce côté “personne n’a souffert durant ce tournage”, puisque c’est du dessin animé, j’adore. Peu importe que les filles aient l’air d’avoir treize ans : tu mates un cartoon avec des tentacules ! Puis dans le hentai, il n’y a jamais de mauvais acteurs ! Je sais que je ne suis pas un personnage de dessin animé, donc je n’ai pas de soucis avec les représentations proposées par ce porno-là.

Le hentai, transgression sans limites.

Du coup, quand j’ai découvert le porno mainstream à l’américaine, j’ai été super déçue. J’avais l’impression de me retrouver devant le junk food du porn. La paresse porno. Au-delà du souci du scénario, je ne m’identifiais pas physiquement, c’était impossible. Les seins de ces actrices, leur épilation, n’avaient rien à voir avec mon corps. Je trouve ce porno excluant.

Qu’entends-tu par « paresse porno » ?
Le porno paresseux est le fait d’avoir une seule recette et de l’appliquer en série. Par rapport aux relations de dominant à dominé par exemple. Le souci derrière, c’est que ça peut faire croire à certaines ou certains qu’il n’y a qu’un seul schéma applicable dans la vraie vie. Après, j’observe une véritable évolution au fil des années concernant les mecs avec qui je couche. Je crois que mater plus de porno, de toutes sortes, les incitent à comprendre qu’ils ne sont pas assignés à cette position de dominateur. Qu’ils peuvent transgresser cette situation et adopter d’autres postures. Tu peux prendre le porno par la main et comprendre qu’il y a plein de choses à explorer, mais la paresse mercantile, ça me fatigue, car elle nous impose une sexualité normée. Je pense qu’à cause de cela elle a fabriqué des millions de mauvais coups. Comme si on avait décidé pour n’importe quel film qu’il devait forcément y avoir un policier, un méchant, et que le schéma devait être duplicable pour absolument tous les films.

Et tu crois en la force d’une pornographie différente, la pornographie éthique ? Dans L’émifion, vous évoquez parfois le cinéma d’Erika Lust.
Oui. Aujourd’hui, on vit une nouvelle révolution sexuelle. C’est une révolution qui est beaucoup moins frappante que celle de la fin des années soixante, elle est plus intérieure, plus intello, on a du mal à l’identifier, mais elle est là. Il y a un vrai changement des mentalités. Regarde, la scène de la Méthode Cauet où Rocco retourne Cécile de Ménibus sur la table… Elle ne laisse plus les gens indifférents. On intellectualise davantage le sexe, et c’est positif – mais attention, il ne faudrait pas trop le faire, car c’est le truc le plus instinctif et naturel qui soit ! L’image des féministes a évolué dans l’inconscient collectif. Elle n’est plus simplement associée aux lesbiennes, avec tous les clichés rances qui vont avec.

Aujourd’hui on comprend que le féminisme est l’affaire de tous, pas seulement des femmes. J’aimerais aussi qu’on trouve un autre mot que celui de “féministe”, car il effraie. Surtout quand certains le déforment en “féminazie”. Si les hommes doivent se sentir exclus par un certain porno féministe, c’est une étape à franchir, mais tout cela les concerne en fait : en tant que femme hétérosexuelle, je constate que les personnages les plus maltraités dans le porn, ce sont parfois les mecs. Car leur image est tellement réductrice. Dans le porno de grande consommation, les mecs ne sont que des bites, vous êtes objectivés au possible, c’est très frustrant. Je crois que ce genre de représentations cause beaucoup de soucis à la sexualité masculine.

Erika Lust, figure de proue d’un porno nouvelle vague

C’est pour cela que Lust est très importante, elle pousse les portes, elle sera remise en question, comme toutes les figures révolutionnaires. Lust est emblématique d’un changement de mentalités plus global. Récemment, j’écoutais On est fait pour s’entendre, l’émission de Flavie Flament. Le sujet était “Qu’est-ce qu’être un bon coup ?” Le vendredi, à seize heures, sur les ondes d’une grande radio (RTL). Avec des sexologues, sans ricanements, avec l’envie de ne pas rester au ras des pâquerettes. C’est jouissif d’interroger la sexualité comme ça ! Je pense que les choses changent en ce sens, qu’on n’aurait pas forcément vu cela il y a quelques années.

Tu as consacré un essai à la gentillesse (Supergentil), mais quel regard portes-tu sur la violence dans le porno ?
Je cultive la bienveillance au quotidien, c’est vrai ! Mais je ne crois pas en la malveillance. Par exemple, j’adore le dirty talking. C’est comme un gode : cest un accessoire qui te mène au plaisir. Du moment qu’il y a la notion de bienveillance derrière, d’entente mutuelle, d’accord tacite, ça me va. Je conçois le lit comme un monde différent : tu peux être qui tu veux sur un lit, endosser n’importe quel rôle, être violent-e et vulgaire.

Ferrara passé maître dans l’art du dirty talk susurré à l’oreille

Le porno, c’est l’imagination. Comme l’écriture : on a le droit de tout imaginer, même les trucs les plus inavouables. L’imagination, c’est avant tout la libération des interdits, leur transgression. C’est le principe de la littérature érotique. Si la vie est trop contraignante, évade-toi ! Le porno est une source d’évasion, quand on sait s’en servir. On emploie jamais ce terme pour en parler, mais la pornographie c’est aussi du divertissement, et du divertissement agréable. On tend à la diaboliser, mais la pornographie est aussi une forme de respect : de la bienveillance envers soi et son corps. On se donne du plaisir, on se fait l’amour à soi-même : c’est ça, le porno, du respect pour soi. Le porno est notre pourvoyeur de plaisir. Comme un sport qu’on ferait pour se maintenir en forme.

Tu « t’évades » comment, d’ailleurs ?
Il y a quelques mois, je me suis découvert une énorme attraction pour le porno gay ! et le retournement d’un mec hétéro par un gay. Je ne me projette dans aucun mec et pourtant, ça me rend ouf. J’aime voir des choses qui ne m’étaient pas du tout destinées, qui m’en apprennent plus sur moi et ma sexualité, me font évoluer. J’ai aussi beaucoup maté de sleeping assault, les scènes de faux viol en pleine nuit avec la femme qui dort, le mec qui la baise. Mais j’ai de grosses exigences : je déteste quand la femme ne se réveille pas ! Sinon on n’est pas loin de la nécrophilie. Et quand la personne se réveille et qu’elle est tout de suite à fond, ça, ça m’énerve. Il y a un schéma que j’adore : quand la personne n’est pas du tout d’accord au début, et qu’elle se fait peu à peu convaincre. J’ai besoin de ce “switch” narratif à l’écran pour être excitée. Il y a dans l’abandon quelque chose de super émoustillant.

Après, question ciné mainstream, je pourrais évidemment te parler des baisers lesbiens dans Mulholland Drive. Mais j’ai des souvenirs bien plus étranges : j’ai beaucoup été marquée par Darkness, le diable interprété par Tim Curry dans Legend de Ridley Scott. Avec son torse musclé, ses cornes phalliques, je le trouve totalement troublant.  Il y a une vraie tension sexuelle qui ressort de cette créature. Mais de Tom Cruise, non. (sourire)

Tu évoques tes tags favoris, mais dans un épisode tu affirmes aussi que « l’on n’est pas ce que l’on mate » : je ne suis pas ce que je visionne sur Pornhub.
Je suis toujours d’accord avec ça. Car on est plein de trucs en même temps. Exemple : moi, Navie, j’aime les comédies romantiques et le hentai. Qu’est-ce que cela dit de moi au fond ? Les individus ne se catégorisent pas comme sur Pornhub, ils ne peuvent pas être enfermés dans des boîtes. “Je” n’est pas un tag ! Notre sexualité évolue et nous évoluons avec elle. Donc non, on n’est pas ce que l’on mate. Surtout que le porno “de masse” que l’on consomme, c’est la cantine. À toi de choisir ce que tu manges au self. Tout t’est servi sur un plateau, mais il ne tient qu’à toi de découvrir de nouvelles saveurs.

Ces nouvelles saveurs, tu ne crois pas qu’il faut aller les chercher du côté du porno amateur ? Quelque chose de plus artisanal ?
J’ai des soucis avec l’amat’, car cela reste une mise en scène. Moi, j’aime quand c’est naturaliste. Ceux qui font l’amour face à toi “performent” quand même, cela reste forcément codifié. Mais certains me touchent. Il y a des instants dans le porno amat qui ne trompent pas. Les rougeurs sur les joues, les pupilles qui se dilatent, les changements de teint lors de l’acte, cela ne se simule pas, ça. On voit ça dans l’amat‘ et c’est touchant, c’est vivant.

Sexy Saffron, prodige de l’amat’

Sur Madmoizelle, tu as consacré une « lettre ouverte » à ton corps. Tu y évoques l’importance d’aimer son corps pour s’aimer soi-même. Cette revendication très « body positive » du corps comme fierté, j’ai envie de l’associer à certaines déclarations de camgirls. Tu t’es intéressée à cela ?
Oui, et je suis heureuse que les camgirls existent. Ce sont des entrepreneuses, elles montent leur propre business. Je me réjouis pour celles qui sont décomplexées par rapport à ça, s’épanouissent là-dedans. Mais je suis aussi inquiète à l’idée de forcément relier sa sexualité au désir des autres, à leurs exigences, et donc fatalement, à l’image que les autres ont de toi. Est-ce qu’on ne se déconnecte pas de son propre désir en étant dépendante des désirs de ses tippeurs ?  Il ne faut pas construire la vision de son désir en fonction des désirs des autres. Je ne dis pas que les camgirls le font, mais je dis, suivant ma propre expérience, que c’est un risque.

Tu me parles de hentai et d’imaginaire illimité, mais justement, quelles sont tes limites en termes de fap ? Tes tags interdits ?
La scatophilie ! J’ai trop de mal. Les scènes lesbiennes avec deux meufs seules aussi, je suis beaucoup trop hétérocentrée, je crois, ça m’excite rarement. Mais tu ajoutes un mec là dedans, ça devient un threesome et ça intègre directement mon top 3 des fantasmes absolus ! (sourire) Tout ce qui est grande souffrance physique et fétiches de latex, ça me laisse indifférente, ce n’est pas mon truc. Les gens qui se font mal et se brûlent, les pratiques trop extrêmes, de la souffrance sans plaisir, tout cela me pose forcément une barrière, car j’aime pouvoir reproduire mes tags dans la vie, ou savoir que je le pourrais.

Toi qui es auteur, si tu devais écrire un porn, il serait plutôt comment ? Gonzo, féministe, spectaculaire, intimiste, tout cela à la fois ?
Mon porn à moi ne serait pas du tout parodique. Il ferait flipper les gens qui me connaissent, je pense (sourire). Parce que quitte à mettre en scène des fantasmes j’aimerais aller loin. Si j’aime la tendresse au lit, dans un porn, il faut que ça déborde. Mais je voudrais avant tout des belles images. De la beauté et de l’excitation. Du hardcore ambitieux, où l’intellect serait autant stimulé que la libido. Tu as vu La secrétaire avec Maggie Gyllenhaal ?

Oui, c’est un peu Cinquante nuances de Grey, mais en bien. 
(Rires) Voilà, et surtout c’est tellement subversif ! Mon porno de rêve ce serait donc de faire La Secrétaire uncensored tu vois, sans scènes coupées. Par contre, j’ai une exigence : je prendrais le temps d’organiser des mois et des mois de casting pour tomber sur de vrais inconnus talentueux, des révélations du genre, dont l’image ne serait pas encore fabriquée.  

Enfin, la question qui tue : quelle est la dernière scène porno que tu as matée ?
C’était une scène entre un mec et une mature. Mais j’ai réalisé, à la fin de la vidéo, pile-poil au moment où le mec jouit… que c’était sa mère. D’un coup, il l’appelle “maman”, j’étais pas prête. Et vu que je suis mère de famille, ça m’a tellement dérangé sur le coup (rires). Ce phénomène de projection, je l’ai ressenti, et ça n’avait rien d’agréable, crois-moi !

« Faire « La Secrétaire uncensored », sans scènes coupées »

Photo de une : Navie par Pauline Darley

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