L’histoire de Kamasutra, un jeu fun et sexy
La période de Noël est habituellement plutôt creuse pour les reporters du porn. Les line-ups de sextoys sont faits depuis longtemps, les happenings, salons et annonces sont prévus pour la rentrée, etc. Bref c’est la dèche et il n’y a guère que Saint-Sernin qui ne chôme pas avec ses Quoi de neuf.
Autant dire que j’étais loin d’être en mode pro du porno en allant chez des amis pour cette soirée d’échange de cadeaux pré-Noël. Mais contre toute attente arriva entre mes mains la belle boite de Kamasutra, le dernier jeu de Bruno Faidutti, un des grands noms du jeu de société français. L’occasion d’en parler et de se rendre compte que le jeu est aussi quelque part un moyen de faire passer des messages…
Bienvenue sur le Tag. Pour commencer, peux-tu nous présenter Kamasutra ?
Rien de plus simple. La boîte contient un jeu de 54 cartes magnifiquement illustrées par mon talentueux ami et voisin David Cochard, ainsi qu’un petit stock de ballons de baudruche, et des règles en français, anglais et japonais. Sur les cartes figurent diverses positions amoureuses. Les joueurs constituent des équipes de deux joueurs et chaque équipe gonfle un ballon. Une carte tirée au hasard est présentée à tous les joueurs. Chaque équipe prend la position indiquée, en plaçant le ballon gonflé entre les partenaires, sur la zone de contact. Au signal, chaque équipe fait pression sur le ballon pour le faire éclater. Les premiers à y parvenir remportent la carte. Après un certain nombre de manches, l’équipe ayant le plus de cartes gagne la partie.
Simple et fun, j’aime. Mais comment as-tu eu une idée pareille ?
Je connais assez bien la Pologne où existe une amusante tradition lors des mariages. Lorsque les convives sont suffisamment imbibés d’alcool, ils font la chenille avec des ballons entre eux, qu’ils font exploser un à un. Cherchez un peu sur YouTube, vous trouverez des videos édifiantes. J’imagine que les Russes doivent faire des trucs du même style, mais je connais moins.
Par ailleurs, il y a quelques années, une mémorable partie de strip-Twister lors d’un week-end de jeux de société m’avait fait réaliser qu’il y avait bien peu de jeux d’action rigolos pour adultes.
Je me suis donc un peu renseigné pour voir ce qui existait. J’ai découvert de nombreux jeux de dés ou de cartes permettant de tirer au sort une position, mais aucun exploitant cette idée de ballons. Les jeux de cartes étaient en outre, pour la plupart, moches, voire de très mauvais goûts. Il y avait clairement sinon un besoin du moins un manque, et mon idée de jeu était bonne et peut-être même publiable.
Le passage de l’idée de base à la réalisation est-il différent pour un jeu un peu kinky et d’autres plus classiques, avec les phases de prototype et de playtests ?
Cela n’a pas été vraiment différent, ne serait-ce que parce que Kamasutra est au fond plus rigolo qu’érotique. Le développement a surtout consisté à sélectionner les positions qui vont bien, en passant quelques journées sur internet pour consulter des catalogues de positions – il y en a beaucoup – et à rechercher leurs noms les plus traditionnels en français et en anglais. On ne croirait pas, mais il y a un vrai travail de documentation derrière ce jeu ! Avec une amie japonaise, nous avons également trouvé leurs appellations nippones, ce qui m’a permis de découvrir l’étonnante tradition japonaise des 48 positions. Il existe en effet au Japon une liste assez ancienne, presque officielle, de quarante-huit positions aux noms très poétiques, comme la Floraison des pivoines, la Profanation de l’Autel des ancêtres, le Trésor du bateau pirate, la Rivière aux poissons, la Lune à la fenêtre. Je soupçonne même que les japonais n’ont pas le droit de faire des choses qui ne sont pas dans la liste.
Une fois sélectionnées une soixantaine de positions, il a fallu les essayer avec des amis. Nous avons dû éliminer les plus acrobatiques, ainsi que tout ce qui était oral, car la pression du ballon sur le visage est très désagréable. Il en est restée la cinquantaine qui se trouve dans la boîte.
Et là, c’est le drame. Tu te rends compte que malgré ton CV de pro du jeu de société, personne ne veut de Kamasutra.
J’ai traîné ce jeu pendant deux ans sur tous les salons spécialisés et, en effet, personne n’en a voulu. Il faisait rigoler les éditeurs, qui y ont tous joué pour le tester, avant de m’expliquer le plus sérieusement du monde qu’il ne correspondait pas à leur public cible ou à leur réseau de distribution. Quelles que soient ses qualités ludiques, personne n’en voulait dans son catalogue. Pourtant lors des week-ends jeux auxquels je participe, les joueurs en redemandaient et rigolaient comme des bossus. J’avais un bon concept que personne n’osait ou ne savait vendre.
Et donc ? Comment cela se fait-il que le jeu ait finalement été publié?
Je venais de toucher pas mal d’argent en renouvelant le contrat de Citadelles, mon jeu le plus connu. J’ai donc décidé de faire illustrer Kamasutra et de le publier gratuitement sur mon site web, histoire de finir le boulot, ou peut-être juste pour rire. J’ai donc engagé David qui avait travaillé sur plusieurs de mes autres jeux, pour dessiner toutes les positions. Ce n’est pas dans mes habitudes, mes prototypes étant habituellement peu ou pas illustrés. C’était aussi le moyen d’avoir un matériel plus joli et plus à mon goût pour jouer avec mes amis, que les jeux de cartes un peu vulgaires utilisés pour les premiers tests. David a d’abord pensé à dessiner des pandas, et l’idée m’a plu, mais leurs courtes pattes ne permettaient pas de représenter toutes les positions. Nous avons donc opté pour de bons vieux humains un peu poupins, plus mignons que sexys.
C’est après que le jeu a été mis en téléchargement sur mon site que j’ai été contacté par un petit éditeur américain dont j’ignorais l’existence, Vice Games, représenté par Matt Fantastic. Matt est pourtant assez aisé à repérer sur les salons de jeu de société, où il est généralement le seul grand barbu tatoué en costume de Blanche Neige. Adossé à Japanime games, un éditeur plus conséquent, Vice games publie des jeux un peu borderline, aux thématiques souvent sexuelles. Kamasutra est plus un jeu fun qu’un jeu érotique, mais il fallait sans doute un éditeur un peu spécialisé pour le publier. Ensuite, les premières ventes s’avérant encourageantes, et les premiers retours dans le monde du jeu plutôt positifs, ils ont eu pas mal de propositions de distribution en dehors des États-Unis.
De ce point de vue, Kamasutra est un peu l’antithèse de la plupart des rares jeux de société adultes, dans lesquels l’aspect ludique est souvent minimal, sans que l’aspect érotique soit pour autant toujours convaincant.
Kamasutra n’est pas un « jeu de cul ». C’est juste un jeu d’ambiance pour rigoler entre adultes. C’est aussi l’occasion de mettre en avant une idée qui me tient à coeur. Celle que notre société prend le sexe bien trop au sérieux. Ce n’est même pas un problème de tabou, car on parle aujourd’hui de sexe sans trop de problèmes. C’est juste que l’on pense, je ne sais pas bien pourquoi, que la sexualité est quelque chose de fondamental, d’essentiel. Dans les années soixante et soixante-dix, la sexualité avait acquis une certaine légèreté, une certaine décontraction.
Aujourd’hui, elle semble devenue l’un des moteurs principaux d’une angoissante ivresse identitaire. Un homme qui préfère les hommes n’est ni plus ni moins différent de moi qu’un autre qui aime l’opéra. Je crois même que je le comprends plus facilement que celui qui aime l’opéra (rires). Et personne ne prétend que le fait d’aimer l’opéra constitue ton identité musicale alors que ton identité sexuelle semble être devenue terriblement importante pour tout le monde. On devrait pouvoir rire du sexe comme de n’importe quoi, ne pas prendre les préférences sexuelles plus au sérieux que les préférences alimentaires. Le fait qu’un auteur de jeu reconnu et installé comme moi publie un jeu sur le kamasutra, c’est donc aussi une manière de dire que je refuse de prendre la sexualité au sérieux, et que je revendique donc le droit d’en rigoler.
C’est aussi pourquoi, à ceux qui m’ont parfois reproché de n’avoir représenté dans ce jeu que des couples hétérosexuels, j’ai répondu que je m’en foutais un peu. Je considère que cela ne devrait pas être important, et la meilleure manière de le montrer est de faire comme si. Et puis, David aurait pris moins de plaisir à le dessiner, j’aurais pris moins de plaisir à le regarder, et c’est quand même un jeu que l’on a fait d’abord pour se faire plaisir, pour s’amuser.
Alors est ce que l’on peut espérer que comme les loups garous du camarade Hervé Marly, Kamasutra devienne un incontournable des soirées en groupe ? Voire des soirées libertines ?
Kamasutra est d’autant plus drôle que les joueurs sont nombreux et je ne demande rien de mieux que de le voir devenir un classique des débuts ou des fins de soirée. Je l’imagine quand même plus dans les soirées jeux ou les nouvel an un peu arrosés que dans les soirées libertines, mais il est vrai que je ne connais guère ces dernières.
Merci Bruno et bonne chance pour la suite.
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