Je suis gay et je regarde du porno hétéro
Comme bon nombre d’entre vous, mes premiers émois libidinaux étaient liés à des images hétérosexuelles. Buffy et Angel qui consomment leur relation dans la saison 2 de Buffy Contre Les Vampires. La plantureuse “nounou” qui faisait fantasmer les Animaniacs. Duke Nukem et ses strip-teaseuses interactives. Le film érotique du dimanche soir sur M6 enregistré sur VHS et projeté le mercredi après-midi dans le salon des copains. La vignette du porno du premier samedi du mois dans le magazine des abonnés de Canal+. Et puis des pop-ups, par lesquels j’ai un jour osé franchir le pas et accéder au grand interdit (non sans toutefois cacher mes yeux derrière mes mains comme si c’était mal). J’ai pour ainsi dire “grandi” avec le porno hétéro, et n’ai jamais cessé d’en consommer depuis. Mais contrairement à bon nombre d’entre vous, je suis gay.
J’ai pour mémoire une séquence de la pastille humoristique de Michel Muller dans Nulle Part Ailleurs. Il baisait une femme contre le capot d’une voiture tout en déclamant laconiquement son texte à travers la caméra fish eye située juste au-dessus de sa tête. J’avais trouvé ça terriblement excitant. La nonchalance avec laquelle il traitait l’acte. La simplicité de la mise en scène. Il y a peut-être aussi un côté soumission qui m’a plu. Je ne suis hélas pas parvenu à retrouver la scène en question sur internet mais, pour rappel, voici à quoi ressemble Michel Muller. Il n’est pas très beau. Ce n’est donc pas son physique qui m’a fait bander, ni celui de l’actrice, dont on ne voyait que peu le visage, mais l’acte en lui-même.
Tout ça relève évidemment de l’ordre du fantasme. Le Graal de certains homosexuels, c’est de “détourner” un hétéro, bien que je ne pense pas qu’une sexualité forme une route toute tracée. S’imaginer être suffisamment excitant pour devenir leur objet de désir le temps d’un instant a quelque chose de très gratifiant. Je ne parle pas de bisexualité, mais d’une attirance assez forte pour transcender le concept de l’orientation sexuelle. Et même si je me suis déjà surpris à murmurer “oh la chance qu’elle a” devant certaines actrices, je ne m’imagine pas dans le corps de ces femmes. Je souhaiterais simplement être à leur place, mais dans le mien.
Les gens sont parfois perplexes face à mes préférences. Certains en viennent à me considérer comme bisexuel. Je ne pense pas, bien qu’il m’arrive de trouver des actrices désirables. Parfois, je m’interroge sur l’impact que les stéréotypes hétéronormatifs ont pu avoir sur ma vision des choses. Peut-être suis je inconsciemment en train de dénier aux gays une part de virilité qu’on ne trouverait que chez les hétéros, comme si l’homosexualité était une sous-sexualité.
Aujourd’hui, le porno hétéro doit représenter les 85% de ma consommation de vidéos. Il m’arrive encore de regarder des scènes gays, mais de façon bien plus occasionnelle, comme lorsque l’envie nous prend de commander chinois. Je me suis enfermé dans une sorte de routine rassurante, avec mes tags incontournables et un pool d’acteurs dans lequel puiser selon mon humeur. Mon intérêt pour le genre est devenu conséquent à tel point que je suis désormais capable de reconnaître les pénis de la plupart des acteurs phares du marché hétérosexuel. Brandon Iron, Manuel Ferrara, Chad White, Tommy Pistol ou Bruce Venture (mais bon, chez lui, c’est facile). J’ai même une petite préférence pour les kékés, qu’il est difficile de résumer par un tag : tatouages tribals sur l’omoplate droite, coupe de footballeur pas franchement réussie, et grosse montre bien clinquante au poignet. Par moments je ne sais plus trop si je suis attiré par l’hétérosexualité ou juste l’horlogerie suisse de piètre qualité.
Dans ma veine, je peux me dire que ce n’est pas le choix qui manque, puisque les scènes hétérosexuelles constituent l’offre par défaut, même si certaines niches se sont développées par la force des choses. Le site Straight Guy 4 Gay Eyes, par exemple, propose des scènes dans lesquelles des acteurs hétérosexuels performent avec une actrice et où le réalisateur ignore quasiment cette dernière. Au casting, quelques noms populaires, comme Ramon Nomar ou Seth Gamble, mais la plupart sont inconnus au bataillon. Comme son nom l’indique, la caméra s’attarde sur l’objet de notre désir, le corps masculin, son sexe, ses réactions, mais les acteurs ont tendance à un peu trop jouer avec l’objectif. Et même si l’on est ravi que le regard du réal se concentre pour une fois sur le mâle, on perd en naturel ce que l’on gagne dans notre champ de vision.
Dans un autre genre destiné au même public, il y a le site Bait Bus. Le principe : des mecs sont invités dans un van pour se faire sucer par une femme. On leur bande les yeux, et la femme est immédiatement remplacée par un homme gay. Puis, on leur retire le bandeau des yeux et capture leur réaction stupéfaite, accompagnée d’un mouvement de recul. La “victime” se rebiffe alors et menace parfois d’en venir aux mains, avant que le réalisateur ne calme le jeu en proposant une certaine somme d’argent en échange d’un rapport sexuel filmé avec l’acteur passif. Le mec rechigne mais finit par céder. Ils ont un rapport anal, éjaculent, et le mec piégé est expulsé du bus au milieu de nulle part. Non content d’être moralement discutable d’autant plus dans cette période post #MeToo, ce concept est bidon, et les acteurs savent tous très bien à quoi ils s’engagent. Là encore, une niche.
Une amie lesbienne qui, à l’inverse, regarde du porno gay a tenté de rationaliser la chose à sa façon : pour elle, la représentation de la baise dans le porno gay ressemble plus à sa façon de voir le cul. Elle n’a pas pour autant envie de coucher avec un mec, mais le porno gay véhicule selon elle une intensité qu’elle ne retrouve pas ailleurs. Je pense qu’il s’agit de la même chose chez moi. Et malgré son côté faussement amateur derrière lequel se cache une machine aux rouages impitoyables, Jacquie et Michel correspond à mes attentes. J’aime le frontal, le cru, la spontanéité. “Délope-toi, tu r’tires tout, y compris le tampax.” Le côté “c’est arrivé près de chez vous”. Ca pourrait m’arriver.
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