L’amour est une fête : « le dernier coucher de soleil du porno d’avant »
L’amour est une fête, d’accord, mais est-ce un bon film ? Ne craignant rien, nous sommes partis vérifier ce que valait réellement le Boogie Nights à la française.
C’était le bon temps !
Rock’n’roll, peep show, postiches et porno : l’on s’attendait au vu du teaser de L’amour est une fête à une resucée à la française du Boogie Nights de Paul Thomas Anderson. On s’est trompé. Le quatrième long-métrage de Cédric Anger a beau nous plonger dans un imaginaire eighties as fuck (fait de moustaches et de foufes sans « ticket de métro ») tout en s’attardant sur les dessous des productions pornographiques (tournage, financement, ambiance d’équipe et interludes « off »), il s’émancipe volontiers de son modèle états-unien. Comme dans beaucoup de films X, l’intrigue n’est au fond qu’un prétexte. Guillaume Canet et Gilles Lellouche incarnent des flics de Pigalle infiltrés dans le grand bain de l’industrie gauloise pour adultes. Leur but ? Faire tomber un producteur roublard soupçonné de détournement de fonds. C’est un nouveau monde qui s’ouvre alors à eux : celui d’un sexe-spectacle, décomplexé et artistique, traversé de dérision, d’éjaculations et de transgressions. Forcément attachant.
Suspens et enquête passent très vite au second plan pour laisser la place à ce petit quelque chose qui pénètre l’oeuvre de part et d’autres. Pas la relation qui unit le duo de poulets – brouillonne et confuse. Ni la reconstitution historique du Paris des années quatre-vingt – quelques tableaux des quartiers chauds d’antan, bordés de sex shops et de peep shows, suffisent à poser l’ambiance. Non, le vrai sujet du film – bien moins putassier qu’il n’y paraît par ailleurs – est le cinéma. Le grand fantasme qui fait pulser l’ensemble n’est pas sexuel mais cinéphile. Anger semble regretter un X d’antan qu’il idéalise comme on le ferait d’un grand amour. Ce souvenir presque irréel est celui d’un porno d’auteur, décalé voire parodique, scénarisé et budgeté, parfois costumé, kitsch et joyeux. A l’image du meilleur trait d’humour du film : le pastiche Clito de 5 à 7 (…par Agnès Viagra ?). Ce X perdu, Nicolas et Bruno lui rendent hommage – avec plus d’inventivité – dans le délirant A la recherche de l’ultra-sex.
Calé dans un fauteuil moelleux du Bus Palladium (à Pigalle, aucun hasard), baigné d’une lumière tamisée très hot, Cédric Anger nous le confesse de sa propre bouche :
J’ai grandi avec le Ciné Club de Claude-Jean Philippe mais aussi avec les VHS des Marilyn Jess et Brigitte Lahaie. Lahaie était un fantasme absolu. Surtout, elle incarnait un imaginaire, celui d’un porno français insouciant, qui jouait avec les codes de la comédie de boulevard façon Georges Feydeau. Des histoires de château, de bourgeoises, de servantes. Quand j’étais ado, le porno américain me semblait plus « joué » et le porno français plus « incarné », naturel. Je conçois le X de cette « bulle » (de 1972 à 1982) comme du cinoche trivial et bon enfant, traversé par un état d’esprit humoristique que je ne trouvais nulle part ailleurs.
L’éjaculation sentimentale
Avec cette volonté de burlesque, on touche à la meilleure idée de ce faux film policier rétromaniaque : filer un rôle de réalisateur de boulards à Xavier Beauvois. Dans la peau d’un metteur en scène de seconde zone persuadé d’être le Godard du cul, air d’ours mal léché à l’appui, le cinéaste apporte ce qu’il faut d’humanité et de chair à une histoire qui parfois bande mou. Peu à peu métamorphosé en Coppola – et pas Copula – des seventies (bedaine, pilosité, chapeau de mégalo), le personnage dévoile tout sa vérité – et celle du film – lors d’une scène d’éjaculation à la fois rigolote et touchante. Quasiment magique : dès l’instant où le performer jouit, tout le monde se tait. L’équipe est concentrée comme jamais sur le climax. La caméra enregistre le cumshot. Le temps s’arrête. Si l’art s’acharne à capturer le réel, qu’y a-t-il de plus authentique qu’un mec qui éjacule ? « C’est comme la pêche des poissons dans le Stromboli de Roberto Rossellini : l’éjac, il faut l’avoir du premier coup, ne pas la rater. C’est un moment unique en soi. Finalement c’est après cela que l’on court quand on est cinéaste, porno ou non : l’instant crucial » – s’amuse Cédric Anger.
Le porno comme recherche du temps perdu, récréation, parenthèse enchantée, c’est l’idée d’une oeuvre à la candeur enfantine, où l’on filme des fesses en parlant de « documentaire éducatif« , où un jeune stagiaire flic semble avoir atteint le nirvana après s’être fait sucé durant « trois minutes chrono » par une actrice en tenue de soirée. Peu à peu, l’on s’attache à cette société alternative, pour ne pas dire foutrement utopiste, où ceux qui baisent devant la caméra sont de grands gamins hippies adeptes du « fucker power ». Pas sulfureuse pour un sou, l’atmosphère s’imprègne d’une sérénité peace and love, dépourvue de la moindre diabolisation ou de moralisme déplacé. Dans ce monde sans sida, empli de boîtes à strips et de t-shirts à l’effigie du magazine Lui, le porno est une fête. « Ce n’est pas l’individuel mais cette communauté post-68 qui m’intéressait. C’est une tapisserie de Bayeux : il n’y a pas de personnage plus important que l’autre. François Truffaut disait de son film Jules et Jim : « la vie c’était les vacances« . Voilà, c’est ça. Je voulais montrer le dernier coucher de soleil du porno d’avant » nous raconte le réalisateur. Sous le sexe, le spleen.
L’idéal porno
A bien y réfléchir, c’est à la fois la grosse qualité et le défaut de cette ode au vintage. Pas dépourvu de science (il nous assure avoir dévoré le KikoBook iconographique du cinéaste culte Gérard Kikoine et la bible The Other Hollywood), Cédric Anger rêve cette pornographie « pop », celle qui attirait un million de spectateurs en salles, plus qu’il ne la reproduit. Aucun soucis gravissimes de drogues, de morts douteuses, de misogynie rance ou d’abus d’actrices, juste un univers solaire au sein duquel gravitent quelques électrons libres. Un idéal au fond. Quitte à suggérer que le porno d’aujourd’hui, celui qui nous parle et nous galvanise, n’est que l’état post-mortem de ce paradis perdu – une hypothèse qui nous ferait pas mal grincer des dents, avouons-le. Mais ce n’est peut être qu’une hypothèse ?
Ce n’est pas un rise and fall à l’américaine mais un film français sur l’aspect libérateur du porno. Le X comme émancipation. Un art qui dynamise le couple et les tabous, tout en influençant par sa chaleur graphique les designers, la bande dessinée, les pochettes des disques de l’époque. Ce porno était l’enfance de l’art, une forme d’expression primitive qui nous renvoie aux prémices du cinéma muet – achève Anger.
Aucun commentaire. Laisser un commentaire