Comment le porno se finance-t-il ? Les dessous d’un business à la marge
Le porno n’est plus un eldorado. Contrairement à une idée reçue, l’industrie pornographique n’est pas cette puissance de l’ombre qui génèrerait des milliards en claquant des doigts, faisant fi des lois et de l’éthique. Déconnecté du monde dit “mainstream”, ce secteur navigue dans son propre écosystème, un “ghetto économique” où la censure morale passe avant tout par une censure économique. Ce business, source de bien des fantasmes sur l’argent facile, est en réalité un secteur fortement contraint par des décisions émanant du système bancaire et des différents acteurs économiques et financiers.
Pourtant, la production et la distribution pornographiques demeurent des activités légales dans la majorité des pays occidentaux. Mais avec un chiffre d’affaires annuel estimé à seulement quelques milliards de $ par an, le secteur adulte (porno et sexcam) n’est qu’une une goutte d’eau dans l’ensemble du e-commerce mondial (estimé à 2 304 milliards de $ en 2017). Loin d’être si lucrative, cette industrie, au delà du cadre légal pris par les Etats (aux Etats-Unis pendant la loi sur l’obscénité ou récemment au Royaume-Uni) doit s’organiser et se financer seule, à l’écart du monde traditionnel.
Quand VISA et Mastercard dictent leurs règles
Pour vendre du contenu sur internet, un site porno – comme tous les sites marchands en ligne – doit pouvoir sécuriser ses transactions par carte bancaire avec ses clients. Pour ce faire, les sites passent par des intermédiaires financiers qu’on appelle des prestataires de service de paiement (abrégés en PSP) ou plus communément des “processeurs de paiement”. Ils peuvent être des établissements bancaires (Société Générale, BNP Paribas, Crédit Agricole…) ou des solutions propres telles que Paypal, Stripe ou HiPay.
Tout irait pour le mieux si en début de chaîne, VISA et MasterCard, les leaders mondiaux de système de paiement – American Express refusant tout simplement les transactions porno depuis 2000 – ne considéraient pas les activités pornographiques et plus largement le secteur adulte comme à “haut risque”, justifiant ainsi de leur appliquer des conditions et des règles strictes. Pourquoi un tel traitement ?
La raison principale de ce changement de politique orchestré il y a 20 ans vient des problèmes rencontrés en matière de chargebacks (impayés) sur ce marché, c’est-à-dire de l’annulation d’une transaction par un client auprès de sa banque à la suite d’une contestation pour fraude, d’un service non honoré ou d’une transaction réalisée à son insu… Une autre raison provient de l’utilisation frauduleuse de numéros de carte bancaires volées : celle-ci prend appui sur la “honte” qu’aurait la victime à porter plainte pour usage frauduleux de sa carte sur des sites adultes.
Le chargeback n’est pas propre au milieu adulte – tout le monde peut annuler une transaction auprès de sa banque – mais il est plus courant sur ce secteur, et ce pour deux facteurs : le rétropédalage du client honteux d’avoir souscrit à un service adulte (annulation de la transaction) et le marketing agressif de certains sites, dont le but est de piéger légalement le client via des techniques de dissimulation des conditions de vente (en France, la fameuse technique dite de la CB30). En raison d’un taux élevé de chargeback, VISA et Mastercard ont donc décidé de placer le secteur adulte comme étant à haut-risque, au même titre que les jeux d’argent en ligne ou certains business sensibles. Et pour des raisons de gestion coûteuse des chargebacks, la grande majorité des prestataires de paiement interdisent tout simplement toute transaction sur les sites porno.
Interrogé par Les Echos, Damien Guermonprez, président du conseil de surveillance de Lemon Way (une solution mainstream de paiement en ligne), explique que les banques “interdisent de traiter ce type de commerçants qui coûtent trop cher en gestion. L’achat à distance peut être répudié par les clients finaux et même si le chargeback est facturé au commerçant, cela représente un travail pas facile à industrialiser”. Le haut risque coûterait cher en traitement, manière astucieuse de ne pas dire que moralement et économiquement, ça dérange tout le monde. Car au fond : “Il suffirait d’une seule transaction considérée comme « à risque » pour être pénalisé par ces réseaux incontournables, voire pour endommager à jamais une relation bancaire. Or, sans banque et sans réseau d’acceptation, un prestataire de paiement n’existe pas”.
Le business des intermédiaires
Pour sécuriser leurs transactions, les sites adulte doivent faire appel à d’autres processeurs de paiement spécialisés dans le “haut risque”. Ils se nomment Epoch, CCBill, Verotel ou SecurionPay, et ont un fonctionnement identique aux autres processeurs de paiement, à un détail près : la commission qu’ils facturent aux sites marchands par transaction est, pour les principaux acteurs de ce secteur, de 3 à 10 fois supérieure à celle applicable aux autres acteurs du marché.
A titre d’exemple : si l’activité mensuelle d’un site internet est de plus de 10 000 € par mois, Paypal prendra 1,8% + 25 cts par transaction. A volume de transactions équivalent, dans l’industrie adulte, Epoch prendra 15% par transaction, non négociable.
La majorité des commissions tourne autour de ce chiffre auquel il faut souvent ajouter de 500 à 1000$ de frais fixe de fonctionnement par an. Impossible de faire descendre ce montant, sauf si votre activité est très importante ou si vous passez par des prestataires plus récents (tels que Securion Pay ou CardBilling par Verotel). Pour descendre à “seulement” 4,9% + 35cts par transaction, Lucas Dominic, patron de Securion Pay nous explique : “Les commissions très importantes dans les business à haut-risques ont été fixées il y a des années de cela par des sociétés qui continuent à proposer les mêmes tarifs aujourd’hui. Pourtant, depuis dix ans, la technologie a profondément changé et nous pouvons proposer des solutions plus flexibles pour les marchands qui ne coûtent pas aussi cher”.
Un effort de leur part qui s’explique aussi par une gestion plus rigoureuse des sites avec lesquels la société traite : “Pour prévenir la fraude qui est plus importante sur ce secteur, nous avons une équipe dédiée qui vérifie chaque transaction effectuée sur notre réseau”, mais aussi par le recours au machine learning pour leur permettre d’être “bien plus efficace qu’en utilisant des filtres statiques”.
Cette première difficulté opposée aux sites marchands porno par VISA, Mastercard et les PSP serait-elle seulement une contrainte économique ? En réalité elle est aussi morale : il ne s’agit pas tant de gestion des frais liés au risque de ces transactions que de censure de la part des systèmes de paiement qui dictent ce que vous êtes autorisé à vendre ou pas.
Le porno, victime de censure économique
Sur les sites porno, particulièrement ceux qui permettent à des particuliers de vendre ou de diffuser du contenu adulte (Chaturbate, ManyVids, Clips4Sale, Fetlife…), les conditions générales de vente s’avèrent très précises avec une longue liste de pratiques interdites. Ces interdictions n’émanent pas directement de la politique interne de ces sites, mais sont imposées par les processeurs de paiement, qui eux-mêmes appliquent les règles dictées en amont par Visa et Mastercard. Certains processeurs de paiement, tels que CCBill, affichent publiquement ces règles, d’autres comme Epoch les transmettent seulement à leurs clients ;elles correspondent généralement aux conditions de vente des plateformes. Si la plupart d’entre elles semblent bien-fondées (pédopornographie, viol, meurtre…) d’autres sont plus floues et arbitraires.
Comme l’explique sur Vice la journaliste spécialisée Lux Alpatraux, ces règles admises par tous ne sont pas les seules imposées par les cartes bancaires ; elles touchent aussi des pratiques certes marginales mais légales comme l’urophilie, certaines pratiques dans le BDSM (le fait d’avoir une relation sexuelle avec les 4 membres attachés, le vue du sang, le sexe sous contrainte mais consenti) et d’autres laissées à l’appréciation des processeurs de paiement. Si vous ne verrez (presque) jamais de porno avec des règles, ce n’est pas une question de censure de l’industrie, c’est tout simplement parce qu’il est impossible d’en vendre. « Que ce soit à cause du sang, ou de l’idée selon laquelle les menstruations constituent un « déchet organique » comme l’urine ou les excréments, avoir ses règles est de toute évidence un tabou majeur pour de nombreux services de paiement » explique Lux.
Ainsi, Visa et MasterCard ne font pas qu’imposer des contraintes économiques importantes aux sites porno, ces sociétés dictent également ce que vous avez le droit de voir ou d’acheter. Une double censure économique qui tend à rendre le business adulte bien plus difficile à développer que son cousin mainstream, alors que la représentation de ces pratiques sexuelles restent légales dans beaucoup de pays.
L’adulte, persona non grata pour les banques
Si vous connaissez ces règles strictes et que vous les acceptez, est-ce suffisant pour développer votre activité porno en ligne ? Sans banque, que vous soyez une société ou un particulier, il est presque impossible d’opérer une activité marchande. Or, pour ouvrir un compte en banque, encore faut-il que vous soyez autorisé à le faire. Les travailleur·euse·s du sexe et les sociétés qui évoluent dans le secteur adulte font face à un premier problème pour leurs activités pourtant légales : le refus de nombreux établissements bancaires de les accepter comme client·e·s.
Ouvrir un compte en banque quand vous opérez sur ce secteur peut ressembler à un véritable parcours du combattant. La politique des banques varie beaucoup d’une agence à l’autre et ne semble reposer sur aucun règlement interne spécifique. Pour Wilfrid, conseiller bancaire au Crédit Agricole, c’est une question de “réputation et d’image de la banque même si logiquement personne n’est au courant que dans telle agence, telle personne a son compte en banque”. Alors est-ce à la tête du client ? “Tout va dépendre du conseiller que vous allez avoir en face, de l’agence dans laquelle vous allez tomber » nous dit-il. « En fait on peut refuser à n’importe qui l’ouverture d’un compte sans donner aucune raison.”
Ce non-dit repose sur une question floue d’image qui peut survenir des années après l’ouverture d’un compte. C’est la mésaventure qu’a subie l’ex-actrice et désormais camgirl Nikita Bellucci : “Je n’avais jamais rencontré aucun souci et un jour mes virements de Cam4 ont été bloqués. Ma banque m’a dit : “ça ne passera pas on ne sait pas d’où l’argent vient”. J’ai été obligée de demander à Cam4 de me faire un contrat, histoire de rassurer la banque, mais même ça, ça ne passait pas. Tout l’argent a été renvoyé chez eux et ma banque m’a signifié qu’elle fermait mon compte”. Le motif réel ? “La directrice de l’agence à laquelle j’avais toujours eu affaire ; je lui ai dit que je ne faisais rien d’illégal et elle m’a répondu que c’était une question d’image”.
Un frein pour les indépendants mais aussi pour des plus grosses sociétés. Laurent, co-fondateur de la plateforme de live UfancyMe, nous explique que la plus grosse difficulté pour développer ses activités dans l’adulte provient des banques : “C’est une activité soi-disant légale mais en réalité on ne peut pas l’exercer. Éthiquement, les banques peuvent aller sur d’autres business comme la vente d’armes ou l’industrie du tabac, mais si y’a un téton à l’écran, c’est plus possible pour eux, ça devient choquant”.
Les nouveaux intermédiaires
Pour continuer à exercer leurs activités, une grande majorité des professionnel·le·s du secteur (indépendant·e·s ou sociétés) passent par d’autres intermédiaires financiers. Ces solutions de paiement ne sont pas des comptes en banque à proprement parler, mais des portefeuilles virtuels qui acceptent le business adulte. Ces solutions, qu’elles se nomment Paxum, ePayments ou feu-First Choice, permettent une plus grande souplesse de transaction entre les différents acteurs économiques et laissent la possibilité d’utiliser des cartes prépayées. Elles s’apparentent à des portefeuilles virtuels, qui servent de tampon entre les sociétés dans l’adulte et les banques, lesquelles, au passage, prendront leur commission à chaque transaction. Le prix à payer pour une certaine tranquillité financière et ne pas voir ses virements bloqués.
Quant aux néo-banques (N26, Revolut, Quonto…), qui s’adressent aux particuliers et aux professionnel·le·s, et dont l’interface se réduit à une simple application mobile, certaines affichent clairement leur rejet de l’industrie adulte, à l’image de Revolut ou Quonto. Chez N26, les conditions générales sont moins claires ; on vous indique uniquement que votre compte peut être bloqué à tout moment “si nous avons les raisons suffisantes de suspecter toute utilisation non autorisée de votre compte (…). Nous bloquerons également votre compte si vous nous informez de toute activité similaire”.
La sextech, un futur sans argent
Malgré ces freins, le secteur adulte arrive tout de même à avancer, mais à l’opposé de l’écosystème start-up, qui s’appuie sur le financement de capital risk pour se développer, il le fait principalement sur ses fonds propres. Les fonds en centaines de millions de $ (comme ceux obtenus auprès de Colbeck Capital et Fortress Capital par Fabian Thylmann en 2010 pour le rachat des holding Mansef et Interhub) et le développement de Manwin (devenu MindGeek après la revente de ses parts) font figure d’exception.
Idem pour des investissements beaucoup plus modestes comme ceux de Dorcel dans la société Uplust en 2015. Les investisseurs qui osent aller sur le secteur adulte sont en fait rarissimes. Pour autant, le terme sextech (néologisme revendiqué par la publicitaire Cindy Gallop, contraction de sex et de technology) fait penser qu’un écosystème propre à l’innovation dans l’adulte existe bel et bien.
Des initiatives fleurissent dans le monde entier comme le SexTechLab en France, le SexTech New York aux Etats-Unis ou le SexTech Hackathon à Sidney. Des appels vibrants émanent d’institutions comme l’incubateur The Family, Dorcel lance son incubateur maison, Cindy Gallop appelle depuis 10 ans à investir dans le secteur… Et pourtant, rien ne se passe vraiment et tous se heurtent au même frein financier : personne ne souhaite ou ne peut investir dans ce milieu. La sextech, promesse d’une technologie à la rescousse du sexe évolue sans écosystème structuré, ce qui paraîtrait impensable pour les autres “tech” en pointe : fintech, medtech et autres néologismes à la croissance très dynamique.
Le CEO de la startup Lola Next Door (une solution de mise en relation entre utilisateurs et modèles pour du sexting) a un temps été accueilli dans l’incubateur The Family. Tout semblait bien se passer, jusqu’au moment où, après l’entrée au capital d’un nouvel investisseur, il reçoit un coup de fil d’un des fondateurs : “Oussama [Ammar] m’a appelé, The Family était censé prendre 5% comme ils font, ils avaient trouvé une douzaine d’investisseurs tous prêts à mettre un billet, mais au final ni The Family, ni les partenaires ne pouvaient investir. Le fond d’investissement voulait des garanties selon lesquelles ils n’investissent pas dans certaines industries, dont bien sûr l’adulte”.
Des projets à la merci d’un changement brutal de politique vis-à-vis du contenu adulte… Voilà le risque que prennent quotidiennement les entrepreneurs sur ce secteur. Du côté du Dorcel Lab, qui cherche à accompagner des projets innovants dans ce secteur, on ressent la même frustration. Hugues Mariton, directeur des opérations de la boite, nous explique : “Il est aussi difficile d’entrer dans les initiatives de financement que d’y rester. Si demain mon mailer change d’avis sur le porno, je ne peux plus envoyer de mails. J’ai l’impression que tout ça se structure mais il y a toujours un risque que quelqu’un change d’avis et qu’on se retrouve coincé.”
Pour Christel Lecoq, entrepreneuse derrière le projet B-Sensory qui a dû cesser ses activités cette année, la tonalité est plus optimiste malgré les nombreuses difficultés rencontrées : “Je vois que les choses avancent ; ça va pas être de l’immédiat mais on pourrait arriver quand même à fédérer quelques investisseurs, qui sont prêts à étudier le projet sans nous faire perdre neuf mois pour nous dire à la fin je suis désolé, je ne peux pas y aller, je ne trouve pas ça éthique”.
Pour le CEO de Lola Next Door, l’avenir n’est pas propice à l’émergence d’un fond d’investissement spécialisé “parce qu’un fond d’investissement est par définition lié à tout un tas d’acteurs qui sont contre ce secteur-là”.Quant aux plateformes mainstream de financement participatif, de plus en plus utilisées pour lancer ou tester auprès du public la faisabilité d’un projet, celles qui acceptent le porno sont quasi inexistantes à l’exception de Indiegogo (tant que vous n’affichez pas de nudité), de Patreon qui tolérait le porno dans une certaine mesure, avant de changer de politique et de restreindre considérablement les possibilités de financement, jusqu’à bannir bon nombre de comptes.
La sextech serait-elle par nature dans l’impasse ? Cindy Gallop, publicitaire anglaise et activiste depuis 10 ans autour du projet “Make Love Not Porn”, après des années à échouer à concrétiser son projet qu’elle estime pourtant à “1 milliard de dollars”, a dû affronter bon nombre de stigmas, qu’elle résume en ces termes : “La peur de ce que les autres vont penser”. C’est donc l’heure de se retrousser les manches façon “Can do it”. A défaut d’avoir réussi à lever 2 millions de dollars pour son propre projet, elle s’attelle depuis 2017 à monter un fond d’investissement de 200 millions de dollars spécialisé dans la sextech et les femmes (un secteur qu’elle estime à plusieurs milliards de dollars…). Si All the sky holdings existe bel et bien, c’est surtout en articles de presse. Aucun projet n’a encore publiquement émergé de la structure.
Qu’un projet porno soit étiqueté ou non sextech, la majorité des entrepreneurs du secteur ne peuvent s’appuyer que sur leur business model, de rares business angels ou quelques têtes brûlées pour avancer. Une situation similaire à celle de la fin des années 90 où tout était encore à construire, si n’est qu’à l’époque, le porno était considéré à juste titre comme un eldorado. En 2018, alors que le porno s’est mué en une culture alternative qui touche une partie considérable de la population, existe-t-il une lueur d’espoir pour celles et ceux qui voudraient se lancer dans l’aventure ?
Les promesses de la blockchain
Dans cet écosystème complexe, parfois opaque et surtout peu attractif, existe-t-il des raisons d’espérer ? Si quelques initiatives et tentatives de desserrement des contraintes économiques apparaissent de temps à autre, c’est globalement un certain statu quo qui règne dans le business adulte depuis dix ans. Pourtant, une technologie nouvelle permet de croire à un changement presque radical dans la manière d’aborder le sujet : la blockchain.
En décentralisant les transferts d’argent, la blockchain pourrait à l’avenir répondre à plusieurs sujets sensibles au développement des projets dans l’adulte : s’affranchir du système classique de transaction, contourner les processeurs de paiement et leurs importantes commissions et, par extension, retrouver plus de liberté dans la production de contenu.
Si beaucoup de projets décentralisés fleurissent, la plupart restent de belles idées sur le papier, mais rares sont les solutions concrètes pour les utilisateurs – contrairement à SpankChain, une plateforme de live décentralisée et déjà en phase beta accessible pour le grand public. Janice Graffith, performeuse et co-fondatrice du projet nous explique ce choix technologique : “L’industrie porno est très discriminée par les plateformes de paiement à travers le monde. SpankChain est née de l’idée que la technologie blockchain peut aider à donner plus de pouvoir à ceux qui font l’industrie et aux artistes davantage d’influence sur ce qu’il se passe”.
En s’attaquant ainsi au coeur du problème, la blockchain apporte des solutions concrètes tout en ajoutant une dose de sécurité et d’anonymat dans les transactions qui pourraient bien séduire rapidement les clients encore récalcitrants à mettre leur carte bleue sur un site porno.
C’est la direction que suit Pornhub pour communiquer auprès du grand public sur la possibilité (depuis cette année) de pouvoir payer (ou d’être payé pour les créateurs de contenu) en crypto-monnaie (XVG, Tron et ZenCash pour le moment). Un choix motivé par des raisons “pratiques et de sécurité” d’après Corey Price, vice-président de Pornhub, qui s’exprimait en avril dernier dans les colonnes de The Verge. Une avancée qui n’en est finalement pas une, puisque bon nombre de sites porno ont commencé à intégrer le paiement en cryptomonnaie depuis 2014 (via le Bitcoin principalement).
Ce qu’oublie d’expliquer Corey Price, c’est que Pornhub, tout comme n’importe quel site porno, aussi gros soit-il, paie des commissions importantes aux processeurs de paiement. Si vous vous abonnez à Pornhub Premium, vous passerez par Epoch, prestataire leader sur le marché et le seul à être autorisé à facturer les clients via Paypal. Cependant, être leader veut souvent dire ne pas faire de cadeaux à ses clients. Bien que les tarifs de Epoch soient dégressifs sur le volume de transactions (qu’on imagine facilement atteint par le site), ils restent parmi les plus hauts du marché. En se positionnant et en communiquant sur l’adoption des cryptomonnaies sur sa plateforme, MindGeek, la maison mère de Pornhub, cherche sans doute à augmenter sa marge d’exploitation (le prix restant le même que vous payiez en monnaie classique ou en crypto). Chaque pourcentage gratté compte, surtout quand vos revenus flirtent avec… le milliard de dollars par an.
Même idée chez SpankChain, mais expliquée différemment. La marge dégagée par l’utilisation de la blockchain permet de mieux rémunérer les modèles qui diffusent chez eux. Au lieu d’une commission tournant autour de 50% sur l’achat de tokens sur les plateformes de sexcam freemium classiques, le site annonce un minuscule 5% qui profite directement aux performers. Une belle avancée pour les modèles et un vrai argument commercial pour les recruter. Mais que faire si personne n’est prêt à en dépenser ?
Les belles promesses d’un business simplifié se heurtent à un défi de taille : la méfiance du grand public face aux cryptomonnaies. Ce n’est pas tout d’avoir une plateforme décentralisée, encore faut-il trouver les clients. La forte spéculation sur ces nouvelles monnaies, les nombreuses affaires de vol en ligne et la complexité de s’en procurer pour le béotien font que si le grand public commence à connaître ce terme, très peu l’utilisent et encore moins quotidiennement.
Conscient de ce souci majeur, SpankChain a développé Cryptotitties, un moyen presque ludique de se familiariser avec l’utilisation de l’Ether, la cryptommonaie utilisé sur le site. A travers ce mini projet, le site devance le problème et commence un travail éducatif. Il est nécessaire pour convaincre le grand public du bien fondé des monnaies décentralisées, loin des annonces sensationnelles sur la volatilité des cours dont la presse non spécialisée se fait volontiers écho.
En marge
Très loin des fantasmes d’argent facile qu’il traîne depuis trente ans, le secteur adulte est un business légal fortement contraint par de strictes décisions économiques. S’il apparaît central dans la culture d’internet, il se développe en marge, traité avec méfiance et défiance par l’autre monde, celui qui, par opposition, se nomme « mainstream ».
Si ces contraintes n’empêchent pas les affaires et de nouvelles fortunes (voire des empires) d’émerger, elles freinent fortement les entrepreneurs à se développer sur ce secteur. Le porno continue d’avancer avec ses contradictions. Son financement est, au final, à l’image de son traitement par la société : à la fois ultra consommé et marginalisé, autorisé mais moralement condamnable il demeure admis mais sulfureux, à un clic de tous quoique très loin d’être accepté. Les rares initiatives comme la blockchain n’y changeront rien : le porno continuera d’être transgressif.
Excellent article!!!
Merci
Je lis avec beaucoup trop de retard cet article, et un gros merci pour ce dernier ! Excellent, on apprend des tas de choses même si j’ai déjà pu te lire parler de ça de temps à autre. Bravo 😀
Mais du coup, ces ‘portefeuilles tampons’, ils sont bien en relation ne serait-ce qu’informatique avec une banque classique où la société qui gère un business pornographique aura ouvert son compte? Donc si qqun veut ouvrir un site de vidéo porno et passer par CCBill, il a tout de même besoin d’un compte en banque, comment et où ils ouvrent leur compte? En mentant aux banquiers sur l’activité? ^^
En gros, oui. À moins de tomber sur un banquier qui est sympa (mais qui lui même peut se faire taper sur les doigts par sa hierarchie). C’est au cas par cas souvent, et il faut un peu de chance aussi. Pratique.