Laissez Man Parrish vous conter le New York débauché

Take a walk in the wild side. Depuis août, le producteur, compositeur et auteur de titres iconiques des années pionnières de la musique électronique – Hip Hop, Be Bop, Male Stripper,… – déroule ses histoires sur sa chaine YouTube Man Parrish Stories. Un livre audio où il raconte ses années folles dans le New York des années 70 jusqu’au début des années 2000, où se croisent Madonna, les Villages People, David Bowie et Freddie Mercury. Une vie de coups durs, de coups de chance et de sexualité délurée. Interview.

Vous avez commencé votre carrière grâce au porno.
Un de mes amis était le rédacteur en chef d’un Playboy pour hommes gays, Honcho. Il venait d’avoir une interview avec un réalisateur de film porno qui cherchait quelqu’un pour lui faire de la musique. Je n’ai pas même pas vu le film, je l’ai vu des années plus tard.

Il y avait ce club gay célèbre, The Anvil, dans le Meatpacking District [Manhattan]. Ils ouvraient à minuit et fermaient à midi, avaient des drag queens qui crachaient du feu, un gars qui mettait des dildos dans ses fesses et les faisaient voler à travers la pièce et les gens applaudissaient (rire). C’était fou. Le Dj avait pris la cassette VHS de la musique que j’ai faite et en avait fait un acétate, un pressage test que tu pouvais faire pour environ 25 dollars. Je suis allé jusqu’à sa cabine, il m’a regardé : « pas de request ». J’ai répondu « c’est ma musique ! ». Il m’a dit qu’une maison de disque voulait le sortir. Et c’est comme ça que j’ai eu mon premier contrat.

Vous aviez aussi un site porno…
J’ai vendu des millions de disques et je n’ai jamais été payé pour. Je suis allé devant les tribunaux mais ils avaient des avocats très malins.

Que s’est-il passé ?
J’ai signé un contrat, mon disque est sorti, je n’ai pas été payé et je suis parti. « Allez vous faire foutre. Je ne peux pas me payer un avocat mais vous n’aurez plus de musique. » Plusieurs années plus tard, le propriétaire de la maison de disque est mort et deux employés ont continué – ce qui est illégal. Ils ont falsifié ma signature et ont vendu mes droits – 1000 dollars pour toute ma musique. En un week-end, ils ont tout dépensé en cocaïne.

Leurs avocats ont trouvé un moyen de faire jouer la prescription.

J’ai vendu 5 millions de disques et ma musique est sorti sur GTA, qui a vendu 80 millions de disques. 85 millions de personnes ont mes morceaux dans leurs mains, et je n’ai rien reçu. Zéro zéro zéro.

Je vois…
J’avais donc besoin d’argent. Je suis un homme, j’aime le porno, donc je me suis dit que j’allais faire un site. Sauf que je ne peux pas me permettre de payer deux acteurs. J’ai donc eu l’idée de faire un site de solos masturbatoires. Mes amis blaguaient qu’il ne fallait pas s’asseoir sur mon canapé au risque de tomber enceinte.

J’ai arrêté parce que 90 % des sites pornos échouent. Sur ces 10 % restants, seulement deux ou trois font de l’argent. Le reste fait juste assez pour garder les serveurs actifs, ou payer un gars pour faire marcher le site. Les compagnies bancaires avaient de gros problèmes avec les sites porno donc ils étaient pressants.

J’ai filmé presque 300 gars regarder du porno et se masturber. Une collection incroyable. Tout le monde a une histoire, j’adorerais en faire un documentaire.

En quelques sortes, vous avez fait de la sexcam avant l’heure.
Non, parce qu’il manque le frisson d’être en direct. Les cams, dans leur genre, sont vraiment super. Ce sont de vrais exhibitionnistes. Quand j’organisais mes soirées Sperm ou que j’allais aux bains, il y avait toujours ces gens qui avaient ce désir d’être nu face aux gens pour le scandale. C’est sexuel mais c’est aussi une pulsion mentale. C’est leur forme d’érotisme.

Vous aviez en effet cette soirée, Sperm, dans un club appelé Cock (coq/ bite). Ce n’est pas le plus subtil si je peux me permettre…
Cock est une blague. Le nom est Rooster (le Coq), mais tout l’appelle The Cock. Nous on s’est dit, pourquoi pas Sperm. Pas comme dans l’éjaculation masculine mais plutôt comme un nouveau départ, le début de quelque chose depuis son état primitif.

C’était une soirée gay arty, avec des performances, des installations. J’avaient environ 10 000 dollars de lumières dans un tout petit lieu. C’était comme Studio 54 dans une boite. Mais il y avait aussi une backroom. Nous sommes aussi devenus célèbres pour nos danseurs complètement nus, mais ils ne commençaient pas avant 1 heure du matin, quand les policiers étaient rentrés chez eux. Nous étions scandaleux mais discrets, on est passé sous le radar pendant 15 ans.

J’ai vu la vidéo… Un homme est en train de se faire une auto-fellation.
Comme c’est une soirée d’art et d’installations, même si c’est outrageux c’est presque une performance. Et puis, les gens adorent le scandale…

Nous n’avions pas employé ce gars. Il s’est pointé et a demandé « je peux me mettre nu sur sur scène ? ». « Oui, bien sûr, peu importe… ». Il sortait de prison, avait besoin d’argent et il s’est dit que les gens lui donneraient 5 ou 10 dollars de pourboires s’il suçait sa propre bite.

Sperm était un repère pour les gens fous. Sexuellement et mentalement. Et spirituellement, ils étaient libres. C’était formidable parce qu’on n’avait pas besoin d’engager des drag queens ou des performers. Il y avait toujours quelqu’un pour se pointer et faire quelque chose.

Vous racontez le New York City débauché…
C’était une époque complètement différente. Tous les bars gays avaient des backrooms ou des sexrooms, c’était ancré dans la société. Le sexe, le porno, les lieux de drague étaient importants parce qu’en tant que gay aux États-Unis, tu pouvais te faire frappé, être blessé.

Il y avait des endroits où les hommes se retrouvaient, sur des quais abandonnés, dans des toilettes de métro ou dans les parcs où les gens faisaient leurs affaires dans les buissons.

C’était une ère d’amour et de sexe libre. Nous avions une attitude plus européenne. Aujourd’hui, nous sommes plus conservateurs.

Vous expliquez qu’il y a une bulle jusqu’au début des années 2000 et puis ça éclate. Que s’est-il passé ?
En fait, ça a commencé dans les années 80 avec le sida. Je suis VIH-, je ne sais pas comment. Au début du VIH, la maladie était très puissante, elle te tuait en trois à six mois. Mon docteur m’a expliqué qu’il s’agit du mode de progression du virus : s’il tue tout le monde, il n’a nulle part où aller. Le virus est donc devenu moins fort pour co-exister avec l’humain. Mais il y a aussi plus de souches.

Et puis, les antiviraux sont apparus et ça s’est détendu à nouveau. Le sida n’était plus une maladie mortelle.

Vous ne parlez pas du sida dans vos histoires.
Je devrais. Je veux faire un autre livre sur le sexe gay, comment c’était avant et après le sida.

Nous avions tous ces codes, comme porter un mouchoir dans sa poche arrière de tel ou tel côté pour dire que l’on est dominant ou passif. Les bars imprimaient des cartes de visites pour que les hommes échangent leurs numéros. Certains, au dos, listaient tous ces codes. Bleu pour la sodomie, bleu clair pour la fellation, noir pour S&M, jaune pour l’urine, rouge pour le fist-fucking, blanc pour la masturbation. C’est une culture incroyable qu’il faut documenter.

Était-ce aussi ouvertement sexuel dans la scène hétéro ?
Oui. Il y avait ces bains, Continental Baths, 15 étages de sexe avec différentes pièces dédiées aux fantaisies, des saunas, des douches. C’est ensuite devenu Plato’s Retreat, un sexe club hétérosexuel très connu. Ça marchait bien, donc il y avait cette version hétérosexuelle de ce mode de vie gay.

Vous avez aussi travaillé au sexe club Hellfire.
C’était juste en face du loft dans lequel je vivais. Et je vais vous dire… c’était une éducation !

Tout ce que j’avais vu jusque là était le sexe gay et les backrooms. Dans le monde hétérosexuel, c’était les fétiches et c’est une toute nouvelle approche au sexe. Pour la plupart, c’était mental, comme une dominatrix et son esclave. Et je me disais « Mais ils ne baisent pas ! ». Ça n’a rien à voir, c’est le contrôle mental, l’inversion d’une femme qui domine l’homme et ça, c’est sexuellement excitant.

Ce sont toutes ces subtilités qui font que les gens continuent. J’ai beaucoup grandi en comprenant que le sexe n’était pas simplement aller dans un lit, la mettre dedans et baiser.

Vous avez été prostitué. Quelle expérience en tirez-vous ?
Je n’ai pas de honte. J’avais besoin d’argent. Je ne suggère pas que toute le monde le fasse mais je ne pouvais pas payer mes factures et un homme prostitué, bien que non commun, n’était pas si mal vu que maintenant. Ce n’était pas si scandaleux.

Cela m’a pris 4 ou 5 jours avant de me décider à le faire. Et puis j’avais faim et j’y suis allé.

Vous parlez de sujets très sérieux. Comme la schizophrénie de votre mère, ses abus, votre anxiété. Vous vous filmez même pendant une crise d’angoisse. Pourquoi si cru ?
J’ai dû prendre une décision. Est-ce que je veux incarner un persona de célébrité, dire que je suis riche et que tout est beau et parfait ? Ou bien est-ce que je veux être honnête et direct ? Je veux que les gens voient ce qu’est d’avoir une crise d’angoisse et les aider quand ça arrive.

Vous avez reçu beaucoup de messages privés. Comment avez-vous incarné ce rôle de confident ?
[En 1987] j’ai fait cette chanson Male Stripper avec le groupe anglais Man 2 Man. C’était la première chanson ouvertement gay et ça a créé le scandale : on était interdit de BBC. De nombreuses années ont passées et un garçon est venu me voir et m’a dit. « Quand j’étais jeune, j’étais gay mais ne savais pas que d’autres l’étaient aussi. Je venais d’un petit village et je voulais me tuer parce que je pensais que quelque chose ne tournait pas rond chez moi. Et puis, j’ai entendu « Male Stripper » et je me suis rendu compte que vous aussi étiez gay. Ça m’a sauvé la vie. » D’un coup, cette stupide chanson que je déteste a été investie d’un grand pouvoir.

Si quelqu’un me contacte, je lui dit qu’il n’est pas seul, qu’il peut se faire aider. En attendant, je donne des conseils pour arrêter les angoisses. Je l’ai fait sans médicament. J’utilise la thérapie cognitivo-comportementale pour comprendre que certaines pensées deviennent d’autres, puis d’autres, puis se transforment en angoisses.

L’un de vos conseils était d’écouter de la musique ambient. Des recommandations ?
Il y a cette webradio aux États-Unis, Soma FM et leur station Drone Zone. C’est mon Valium auditif, ma musique adoucissante. Ça me garde calme et détendu.

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