Misungui Bordelle : « Je n’ai jamais cessé de lutter »
Je me renseigne sur Misungui afin de préparer cette interview. A côté, j’ai un onglet ouvert sur la notion d’intersectionnalité. Un autre sur le féminisme. Puis encore un sur l’anarcho-syndicalisme. Et c’est important, parce que si je me suis intéressée au personnage de Misungui ce n’est pas seulement pour son travail entant qu’artiste et travailleuse du sexe mais aussi et surtout pour ses idées politiques. Son attachement pour le Shibari me touche particulièrement mais ses ateliers d’éducation au genre et à la sexualité encore plus – même si l’on comprend rapidement que ce ne sont que les deux faces d’une même pièce.
Et c’est là où j’en viens à me poser la question, tout en naviguant entre les articles et les différentes sources : est-ce possible d’être travailleuse du sexe sans être un tant soit peu militante ? L’acte consenti d’utiliser son corps pour vivre n’est-il pas un acte de rébellion en soi ? Quel message politique s’en dégage ? Comment se l’approprier et élargir (ou non) sa pensée ? Bref, vous l’aurez compris, le travail de Misungui est indétachable de ses idées politiques et sociales, de sa vision d’un monde meilleur que certain·e qualifierait d’utopique. Rien de mieux donc d’en discuter et de se laisser suspendre à ses lèvres.
C’est quoi Misungui Bordelle ?
C’est mon pseudo pour toutes mes activités publiques, que ce soit entant que modèle, performeuse, actrice porno, dominatrice professionnelle, éducatrice sexuelle ou plasticienne. Tout mon petit bordel(le) est réuni sous ce même nom signifiant « le génie du chat sauvage ». Il vient d’une expérience de renaissance qui m’a été donné lors d’une initiation à l’iboga, une plante sacrée au Gabon, utilisé par des Nganga pour diverses raisons (passage à l’âge adulte, soins des maladies et malédictions, et initiation au bwiti).
Qu’est-ce qui t’a amené vers le travail du sexe ?
J’ai fait une licence en sciences politiques et un master en études du genre à Paris 8, volontairement chez les gauchistes donc. J’ai voulu parler de pornographie et de féminisme pour mon mémoire parce que je trouvais problématique, en tant que consommatrice de porno, d’être invisible ou carrément insultée (soit de salope par le commun des mortels, soit de cruche aliénée par beaucoup de féministes). J’ai donc cherché des alliées et j’en ai trouvé plein sur la scène néo-burlesque queer parisienne.
J’ai rencontré, vers 2011, Louise de Ville et Wendy Delorme. Ça a été le début de tout ce qui s’est un peu enchaîné comme une simple balade : des rencontres et des évènements auxquels j’ai toujours dit oui avec curiosité et enthousiasme.
Où as-tu appris le shibari ?
J’ai d’abord été modèle de shibari pour des profs et des performances. Beaucoup de photographes ont aussi voulu me photographier dans les cordes sans avoir les moyens de me payer moi et un.e arracheur·se. Du coup, j’ai décidé de m’y mettre au départ simplement pour pouvoir m’attacher moi-même et pouvoir assurer ce genre de travail. J’y ai pris goût et j’ai exploré des choses qui sont devenues finalement mon activité de prédilection. Sinon comment j’ai appris ? En écoutant les profs pour lesquels j’étais modèle donner leur cours (Marika Leila Roux aka Gorgone) et puis en bidouillant par moi-même depuis quelques années maintenant.
Peux-tu nous en dire un peu plus sur les performances et les subspaces que tu réalises ?
Mes performances sont toujours, au départ, une envie de transmettre un message et l’envie de le faire avec un aspect visuel et émotionnel plutôt qu’avec une simple tirade. Le Freak Show aborde la question du sexe et du genre, de la construction artificielle de ces deux concept. La Birthday Performance parle de l’injonction chez les meufs à manger peu et sagement/proprement. Sorcière parle de mon rapprochement entre shibari et chamanisme, du lien entre ce qu’on inflige au corps et ce qu’on permet à l’esprit.
J’aime que mes performances soient très proches du public, qu’il y ait même un trouble dans la frontière entre nous : je les touche, les invite à me toucher ou à monter sur scène, ou alors je joue hors scène. Je veux que le·a spectateur·trice fasse partie de la performance et que celle-ci soit une expérience pour lui·elle.>
Les Subspace ne sont pas de mon fait, je suis une performeuse de ces soirées mais pas la créatrice – qui est Marie l’albatrice de l’Erosticratie. Ces soirées sont des jeux de rôles grandeur nature BDSM dans un univers spécifique à chaque fois (carcéral, religieux, lynchéen, médical…). Je suis super fière de faire partie de cette équipe, et de participer à ces soirées vraiment incroyables à chaque fois !
Comment as-tu évolué dans ton militantisme ?
Je suis issue d’une famille très politisée du côté de ma mère (communiste et anarchiste). On m’a toujours parlé politique, lutte des classes, rapports de domination… La suite de mon parcours est simplement dans la continuité de cette histoire.
Après mon master et donc ma découverte des grandes autrices féministes queer que sont Paul B. Preciado, Judith Butler, Gayle Rubin et Virginie Despentes, j’ai eu envie de bouger et de partir à la rencontre des villages auto-gérés de France, apprendre la permaculture et la vie en collectif, car j’avais été déçue par les espaces de squat parisiens. J’ai donc bourlingué trois ans avec Monster Truck. Après ce voyage passionnant, je suis revenue à Paris et j’ai décidé de travailler pour mettre assez de sous de côté pour acheter un terrain et construire un lieux où je puisse vivre mes rêves de monde meilleur. Le film de Stéphane Arnoux Portrait d’une jeune femme, dont je suis l’héroïne, retrace cette période de ma vie en pleine réflexion politique sur le genre de stratégie politique à adopter pour changer le monde : lutter ou fuir en créant une voie alternative.
Je n’ai jamais cessé de lutter, on me voit toujours dans diverses manifestations et puis je fais beaucoup d’éducation populaire sur les réseaux et en live avec mes ateliers et groupes de parole. Ce besoin de créer l’alternative, de ne pas attendre qu’une tierce personne apporte des solutions toutes faites d’en haut, est très important pour moi.
Pourquoi as-tu choisi ton corps comme objet d’expression politique ?
Parce que c’est la seule chose que je possède de manière inconditionnelle et que je puisse un tant soit peu connaitre mieux que quiconque. C’est mon terrain de jeu et mon compagnon de galère, grâce à lui j’existe. C’est donc pour moi la seule chose qui vaille le coup d’être défendu bec et ongles. Tout le reste est assez superflu de mon point de vue.
Quelles sont tes sources d’inspiration ?
J’en ai plein ! La vie, les gens que j’aime, tous les films que j’ai vu, les livres que j’ai lu… Des nanas fortes et intelligentes qui font des trucs chouettes comme Marianne Chargois, Romy Alizée, Rébecca Chaillon, Olympe de G., Vex Ashley…
Quels sont tes futurs projets ?
Je viens d’acquérir une vieille ferme sur un joli terrain dans un chouette coin entre rivière et montagne. L’idée serait de retaper ce lieu pour y vivre mais aussi d’y créer des espaces pour accueillir du public. Ça peut prendre plein de formes et de directions : résidence d’artistes, café-concert, ciné-club, fab-lab… Un lieux de rencontres et d’échanges d’expériences en somme !
« Portrait d’une jeune femme » est actuellement dispo en DVD. Vous pouvez d’ores et déjà le commander en envoyant un paiement Paypal de 16,99 euros à cinetheatre2@gmail.com en précisant vos coordonnées ou via Amazon.
Cette interview a été rendue possible par la participation de Gabin à notre cagnotte ulule, merci !
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