Poppy Sanchez : « Nous sommes constamment critiquées ou sexualisées »

Si vous ne connaissez pas son nom, il est temps de corriger cette erreur. Poppy Sanchez est l’une des réalisatrices du porno indépendant à connaître et à suivre absolument. Ses films à l’esthétique remarquable sont déjà connus et reconnus dans le milieu et les plus grandes productions ne s’y sont pas trompées en lui donnant les moyens de s’exprimer. Il était temps d’en savoir un peu plus sur elle et son parcours.

Pour commencer j’aimerais te parler de l’évolution visuelle de tes films. On sent que tu aimes travailler sur les couleurs, les lumières et le stylisme. Par exemple, Tease Cake est très différent de Moist mais ils ont tous les deux une image très travaillée, et une patte que l’on te reconnaît de plus en plus comme réalisatrice. Comment imagines-tu tes films et d’où vient ton inspiration ?

Merci ! C’est cool d’entendre que mon style se reconnaît ! Mes inspirations viennent de multitudes d’images et de musiques qui ont bercé ma jeunesse, ou bien de choses auxquelles je m’intéresse actuellement. Pour Moist (Xconfessions, ndlr), tout a commencé par un album, “Hawaii Calls”. Ça ressemble un peu au thème musical de Bob l’éponge sous opium et au bout de plusieurs écoutes je me suis dit : “ce serait super de voir des gens baiser sur cette musique”. Cette idée nécessitant d’être très détendu.e, j’ai immédiatement pensé à tourner dans un sauna 😉

Ensuite, ces dernières années, mes inspirations esthétiques ont été grandement influencées par des films des années 60 & 70 ou d’autres qui s’en inspirent, mais aussi par des réalisateurs-ices comme John Waters, Vera Chytilová, Dusan Makavejev, Kenneth Anger, James Bidgood, Carmelo Bene & Anna Biller.

La masturbation revient souvent dans tes films. Dans “Moist” c’est Dante Dionys qui se caresse tout du long, dans “Life Is Bitter” Le Roy se caresse tout en téléphonant, et dans “Je m’excite”, le premier film dans lequel tu m’as proposé de performer, je me fais l’amour face à un miroir. À l’heure où les gens demandent à voir des orgies (c’est ce qu’on m’a dit !), pourquoi as-tu choisi de traiter l’amour en solitaire ?

Haha, c’est une bonne question… Ces trois films abordent la masturbation différemment. Pour Moist, il y a deux raisons : tout d’abord, je n’ai jamais vu de film porno avec une scène de masturbation masculine qui soit vraiment érotique. La plupart du temps c’est montré de façon très chaotique, en tout cas je le ressens ainsi. Je voulais représenter ça d’une façon plus sensuelle et j’ai trouvé en Dante Dionys le performer idéal pour l’incarner.

Life Is Bitter est également un solo car c’est un film dans lequel Le Roy confronte ses fantasmes profonds, son manque de désir et sa peur de l’intime. Par conséquent, la filmer seule en train de se masturber pendant qu’elle s’écoute confier ses pensées intimes faisait totalement sens.

“Je m’excite”, lui, est tout simplement une célébration de l’amour de soi. Selon moi, les gens ont tendance à oublier que nous devrions être nos meilleur.es amant.es, et c’est quelque chose que je voulais mettre en image. C’est alors que toi, Romy, tu m’as proposé cette petite lettre d’amour écrite à toi-même pour accompagner le film, que j’aime toujours autant écouter.

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Romy Alizée dans « Je m’excite »

Il y a une forte demande de la part du public de voir de nouvelles têtes dans le porno et en conséquence, les performeur·euses ont bien du mal à en vivre correctement et sur la durée. En tant que réalisatrice, quelle est ton sentiment vis-à-vis de ça ?

Les relations que j’entretiens avec les performer·euses sont très importantes en effet. Si je n’ai pas un bon feeling avec quelqu’un.e, ça se ressentira sur le tournage, et personne ne veut vivre ça. J’aime apprendre à les connaître et à construire des relations de confiance et de respect. De plus, c’est super gratifiant de travailler avec des performer·euses qui s’amusent à l’écran.

Je comprends que les gens soient en attente de nouvelles têtes mais je pense aussi que beaucoup aiment se sentir plus familiers d’un·e performer·euse. Enfin, travailler plus d’une ou deux fois avec la même personne est aussi une façon de la soutenir.

Est-ce que tu as des anecdotes de tournage à nous raconter ?

Oui, des tas… Là comme ça je pense à ce moment où un performer a éjaculé une seconde avant que la batterie de la caméra ne s’éteigne. Un grand sens du timing ! À l’époque où nous faisions nos films très DIY, il est arrivé une fois que l’on oublie d’appuyer sur la touche “rec” du microphone, ce que nous n’avons découvert qu’au moment de monter le film. Ça s’est terminé par une après-midi à faire du doublage bien naze et nous avons conséquemment renommé le film “Fuck it.” Sur les tournages d’entraides que j’ai également pu faire par le passé, il y a eu cette idée d’une amie performeuse de tourner dans un bain de mousse pendant qu’elle expulsait des canards en plastique de son cul. C’était une scène mémorable.

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Leroy dans « Life is bitter »

Dans Tease Cake, la relation qu’entretiennent les femmes et la nourriture est traitée avec beaucoup de joie et de lâcher-prise, toutefois parsemée de références politiques au harcèlement de rue. Le film est jubilatoire et plusieurs femmes m’ont confié avoir eu envie de faire partie de ce film en le voyant, de rejoindre ces quatre amies. Pourquoi avoir choisi de parler de ces différents sujets, tous reliés aux femmes ?

La réponse est simple, je m’identifie comme femme et ces sujets sont très proches de moi. En tant que femmes nous sommes constamment critiquées ou sexualisées dans tout ce que nous faisons donc j’ai eu envie de faire un film qui viendrait littéralement dégommer ces différentes formes de critiques. Tease Cake doit se voir comme un énorme « fuck », fait avec un sourire étincelant, une fête de destruction du patriarcat à base de fringues 60s, des Desperate Housewives qui se lovent dans de la bouffe démesurée. C’était, à mon sens, la seule façon de le faire.

Est-ce qu’il y a d’autres sujets dont tu aimerais parler dans de futurs films ?

Il y en a tellement dans ma tête que j’aurais bien du mal à pouvoir vous en sortir un. Mais une chose sur laquelle j’aimerais travailler serait d’impliquer d’autres sens dans un film porno, autre que le regard. Par exemple, le goût et l’ouïe sont des sens super importants dans la sexualité mais trop souvent oubliés. Dans mes films, j’aimerais donc pouvoir jouer avec ces sens, les réveiller en quelque sorte.

« Tease Cake », photo Natália Zajačiková

Tu as débuté en auto-produisant tes films puis tu as été produite par Lucie Blush et plus récemment par Erika Lust. En quoi cela a t-il influencé ta façon de travailler ? Peux-tu nous en dire plus sur ton expérience, ce que tu as appris et ce qui a pu être un défi ? 

Chaque nouveau film est unique et est un challenge en soi. S’il y a un truc que j’ai appris à force de faire des films, c’est que peu importe les galères et imprévus qui t’arrivent, tout finit toujours par se passer comme tu l’avais désiré. Comprendre cela m’a beaucoup aidée à être moins stressée avant les tournages. Désormais, j’aborde chaque nouveau projet comme un moyen de m’améliorer en tant que réalisatrice.

Quand j’étais aux Pays-Bas, j’avais ma propre boite de prod. C’était une période très excitante car nous n’avions aucune limite, mais le mauvais côté c’est que nous n’étions pas en mesure de payer les gens. Après avoir fermé cette prod, j’ai décidé de continuer à réaliser pour d’autres personnes, en m’assurant d’avoir à chaque fois assez de libertés sur mes films tout en étant capable de payer l’équipe et les performeur·euses. Bien que ces expériences aient été bonnes, j’aimerais beaucoup m’auto-produire de nouveau. Malheureusement, il n’y a aucune subventions pour la pornographie donc je commence doucement à m’intéresser aux levées de fonds et aux systèmes de dons en ligne qui pourraient m’aider à financer de futurs projets. En ce moment, j’écris un deuxième court-métrage non-explicite et j’espère vivement pouvoir trouver des fonds l’an prochain !

Poppy Sanchez par Romy Alizee

Poppy Sanchez par Romy Alizée

Tu travailles sur un documentaire pour Vice, dis nous en plus !

Cette année j’ai co-réalisé mon premier documentaire avec mon ami Max Kutschenreuter. On a gagné une bourse financée par Idfa (International Film Festival in Amsterdam) & Vice. Ensemble nous avons fait un court-métrage intitulé “Sex Siren”. Dans ce film nous suivons quatre personnages qui concourent dans une catégorie de la scène Ballroom appelée “Sex Siren”, dont le but est d’incarner la séduction. Cette catégorie a été lancée par Jack Mizrahi dans les années 80 afin de célébrer les femmes trans et les travailleur·euses du sexe. De nos jours, tous types de personnes y participent et nous voulions comprendre les raisons qui les poussent vers cette catégorie dédiée à l’empowerment par le sexe.

J’espère que cet entretien encouragera les gens à aller voir tes films car ton regard dans le champs du porno alternatif est unique, subtil et toujours très joueur. Est-ce que tu penses à réaliser un long-métrage ? 

Bien sûr, j’en rêverais ! Si quelqu’un·e a envie de me financer, pitié écrivez-moi ! Blague à part, c’est un vrai désir et j‘ai beaucoup d’idées à développer avec différent·es scénaristes donc j’espère qu’un jour, oui, je réaliserai des longs-métrages pornos exaltant mais aussi non pornographiques !

C’est toujours intéressant selon moi de connaître le sentiment des artistes qui font partie d’un mouvement artistique donc j’aimerais savoir quelle est ta vision globale du porno indépendant actuel, comment tu te situes par rapport à cette appellation ? Est-ce que tu te sens proche d’une communauté particulière ?

Je sens qu’actuellement il y a une révolte de la scène DIY porno contre le monopole des grosses productions, des tubes gratuits et des politiques de censure sur les réseaux sociaux. C’est une lutte pénible mais si suffisamment de personnes y prennent part, cela pourrait donner quelque chose de génial. J’ai aussi constaté l’émergence de nouveaux collectifs, boîtes de production et vidéos menées par les performeur·euses elleux-mêmes. Je trouve ça très excitant et c’est finalement ce que nous faisons dans le projet Sex School, nous abolissons les normes hiérarchiques propres aux tournages pornos classiques en laissant les performeur·euses libres de décider des contenus proposés. Il est également nécessaire de rééduquer les gens sur leur façon de consommer du porno tout comme ils le feraient avec n’importe quelle autre forme d’art : consommer éthiquement permet de soutenir les petites productions et plus globalement la scène DIY dans l’avancée de nos projets toujours plus ambitieux que les précédents !

Image en une : Poppy Sanchez sur le tournage de Moist
Cette interview a été possible grâce au soutien de 0ri sur la cagnotte Ulule ! Merci 🙂

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