10 idées pour un voyage cul entre livres et numérique

THE SAINT, THE BITCH, AND FEMINISM Partie 2

Lire la Partie 1

La joie, donc. La joie du corps, de s’exprimer, de sex-primer. Sortir de la binarité monothéiste de la femme mauvaise et de la femme bonne. De la femme qu’on épouse et de la femme qu’on baise.

De l’idéal d’un homme brutal, toujours performant, qui prend, qui jette, qui n’a pas d’émotions et qu’on résume à son sexe et son efficacité. Quelles angoisses ce système produit sur les individus… Se coller à des normes exigeantes, enfermantes, non épanouissantes.

Je vous livre ici quelques découvertes plus ou moins récentes, pop’ ou universitaires (liste non exhaustive) qui ont guidé mon cheminement vers le féminisme pro-sexe ou « sex-positive » et qui apportent pour moi une manière plus légère, sensée et libre de vivre sa sexualité. Dans cette galerie, on trouve des punks, des universitaires, des filles de joie sombres, des queers avec et sans paillettes. L’idéal n’est pas l’injonction, mais la liberté.

1. FOUR CHAMBERS

Un projet artistique léché et inclusif, qui pousse son travail de l’image jusqu’au vice. Si vous voulez de magnifiques films, à la fois travaillés et excitants, avec une vrai recherche visuelle : go there ! (Et si vous voulez m’offrir un t-shirt, ne vous privez pas.) Vex Ashley a fondé ce projet à sa sortie d’école d’art, blasée par les carcans académiques qui s’opposent à un travail artistique sur la sexualité. Le projet rassemble la scène internationale alternative, en fondant chaque film sur un concept esthétique et/ou sur la représentation d’un type de sexualité, les deux étant intelligemment entremêlés. Par exemple, dans cette vidéo « Abjecting », le collectif explore la notion d’abject, de ce qui peut à la fois être immonde et désirable dans la sexualité : « Le sexe est parfois le plus puissant lorsqu’il existe au carrefour du désir et du dégoût. La sensation de dégoût ou de faire quelque chose qui est considéré dégoûtant est attirante et même s’ils peuvent sembler être des extrémités opposées d’un spectre, je pense que ce sont deux moitiés d’un cercle qui se rejoignent. Les cheveux ont une dualité similaire. C’est à la fois un objet de désir et un signifiant de la beauté féminine ultime quand il est long, fluide, net et attaché à la tête. Mais une fois retiré de ce contexte, il devient immédiatement dégoûtant; en tirant un long poil de votre nourriture, recueilli dans le syphon ou tiré dans une touffe d’une brosse. Julia Kristeva, dans son livre de 1980 « The Powers of Horror », suppose que ce changement dans la perception des cheveux d’un objet de désir et de beauté au dégoût est dû au fait que le « rejet » des cheveux nous confronte à notre mortalité finie, à nos corps défaillants, la maladie et la mort éventuelle.« 

2. THE ETHICAL SLUT

 

La-salope-ethique

Ce livre de Dossie Easton, Janet W.Hardy (1997) est une des lectures de base pour qui souhaite apprendre, polyamoureux ou pas, sur la liberté, les choix, les limites de chacun·e, dans le domaine sexuel, amoureux. Une ode à la liberté et à la découverte de soi et de l’autre.

Le titre « Salope éthique » s’inscrit bien dans la démarche de ré-appropriation du stigmate, de l’insulte du féminisme de la troisième vague ou de la quatrième – les définitions sont variables. Je vous laisse un lien en fin d’article pour approfondir cette notion de vagues féministes. Originellement, une salope est une femme rejetée par la société pour sa vie sexuelle active, tandis qu’un homme qui fait la même chose sera respecté, sinon encensé par ses pairs. Les autrices revendiquent ici l’insulte, non pas qu’elles aient une estime d’elles-mêmes défaillante, mais plutôt par solidarité avec celles qui sont concernées par l’insulte. « Nous aimons l’aventure. C’est vrai, le mot « aventure » est souvent employé de manière péjorative. Une aventurière est considérée comme immature, fausse et pas vraiment disposée à « mûrir » ni à « s’établir » dans une relation monogame. O.K. Mais entre nous quel mal y a-t-il à aimer l’aventure ? Pourquoi le fait d’être des aventurières devrait-il nous empêcher d’élever des enfants, d’acheter une maison et d’exercer la profession qui nous tient à coeur ? »

 

3. MUTANTES

Documentaire (2009), Féminisme, Porno, Punk de Virginie Despentes, réalisé en partie avec Sam Bourcier et Paul B. Preciado (conseiller « genre »)

Un voyage au large panel pour découvrir des actrices de la scène pro-sexe en France, en Espagne et aux Etats-Unis.

« L’auteure expose sa position d’emblée : « le corps, le plaisir, la représentation pornographique et le travail sexuel sont des outils politiques dont on doit s’emparer », « un front de résistance important pour le féminisme ». Elle retrace alors une histoire subjective de ce mouvement, à commencer par son émergence sur la Côte Ouest des États-Unis dans les années 1980. Annie Sprinkle, Scarlet Harlots, Norma Jean Almodovar, Carol Queen ou Candida Royalle ont choisi d’expérimenter différentes formes de prostitution, tout en militant dans des mouvements de travailleuses du sexe, féministes et/ou lesbiens. Il s’agissait alors surtout pour elles de distinguer les luttes féministes et l’opposition à la prostitution ou à la pornographie, d’affirmer la légitimité de ces pratiques aussi bien comme outils de luttes féministes que comme sources possibles de plaisir pour des femmes ». Depuis, « le féminisme pro-sexe a traversé l’Atlantique. Ses héritières européennes mixent punk-rock, politique des genres et cultures trans-pédé-gouine, pour rendre visibles des pratiques sexuelles dissidentes. » 

Des artistes, universitaires, activistes peuplent cette galerie déglinguée et punk et transmettent l’histoire de ce féminisme déglingue depuis les années 1980. Un basique audiovisuel à mettre à côté de sa petite robe noire pour qui souhaite être introduit·e à ce champ sex-positif dans son côté punk et véner.

4. ANNIE SPRINKLE

Notamment pour  ses performances d’éducation sexuelle publiques, par exemple Public Cervix Announcement (1990) dans laquelle elle invite le spectateur à observer sa vulve et s’informer sur son anatomie. Sprinkle s’amuse du service public comique qu’elle rend et, en même temps, sa veine burlesque dénonce bien sûr le manque d’éducation populaire et commune à l’anatomie des vulves, à la sexualité, au consentement. Une femme pleine de joie, épanouie t se bat contre l’ignorance et les tabous.

5. NELLY ARCAN, Putain (2002)

Nelly Arcan

Son récit de vie en naufrage, détruite par la sexualisation infantile, elle décrit les mécanismes de la domination patriarcale par le physique des femmes et leur maintien dans une mascarade d’innocence. Un parcours d’autrice sans cesse ramenée à son physique et au métier d’escorte qu’elle a exercé pour payer ses études. Une lecture costaude émotionnellement. Son parcours et ses textes sont un symbole cher payé (le suicide en 2009) de cette douloureuse injonction à plaire que subissent les femmes et de la violence des normes en général.

Elle fait résonner un autre son de cloche sur son expérience de la prostitution : « Primo, son consentement à la prostitution. Était-elle libre de le faire ? Comme si nos choix n’étaient pas conditionnés, influencés par des contraintes économiques et sociales, et comme si elle n’avait pas elle-même donné la réponse. «Lorsque j’y repense aujourd’hui, il me semble que je n’avais pas le choix, qu’on m’avait déjà consacrée putain, que j’étais déjà putain avant de l’être», écrit-elle dans son premier livre. »

6. POLYVALENCE, « Par et Pour »

Par et Pour TDS Polyvalence Rita Renoir

Le logo, par Rita Renoir

Créé et principalement géré par Tan, un projet intellectuel et militant de recensement et de care* (souci des autres, sensibilité, responsabilité ndlr), avec un focus dans « Par et Pour » de témoignages diversifiés de TDS (Travailleurs du Sexe). Une des seules ressources militantes et intellectuelles dans laquelle j’ai pu trouver plusieurs sons de cloche sur le même sujet, en l’occurrence ici des témoignages positifs, négatifs, en nuance, sans la tendance au refus de la contradiction que l’on peut retrouver dans beaucoup de milieux politiques et militants.

 

7. AJ DIRTYSTEIN « Don’t Pray for us »

« Court-métrage qui reprend la performance « Priez pour nous » pour en faire une œuvre de fiction dans laquelle la performance invite à entrer en communion avec soi-même à travers les différentes histoires et corps qui nous entourent. »

Docteure des universités et artiste complète : Tatoueuse, tarologue, performeuse et installée à Toulouse, AJ Dirtystein nous propose dans « Don’t Pray for Us » un rituel sorcière : la messe est faite à l’envers et on y inclut toutes celles·eux qu’exclut la messe traditionnelle judéo-chrétienne et sa culture : corps féminins, corps sexuels, corps décharnés, corps atypiques, corps queer, noirs, beaux, laids, qu’importe. Tous se mélangent et exposent leur fierté d’être dans cette matière. La Bible y est agrafée contre le corps de la femme, du miel coule sur des bouches en pâmoison. Un rituel d’amour et de communauté contre la violence du monde. Une artiste à suivre.

8. MAKELOVENOTPORN

« Pro-sex, pro-porn, pro knowing the difference » : un projet de représentation pornographique sur le mode de la plateforme participative, à l’initiative de Cindy Gallop, sexologue américaine. Cette initiative mêle professionnel·les et amateur·es pour donner à l’utilisateur un contenu à la fois plaisant et éducatif, et commencer un gros travail d’éducation à l’image nécessaire dans notre société contemporaine. Il ne s’agit pas de dire que la pornographie hard est mauvaise, mais que l’éducation sexuelle des jeunes à travers cette pornographie sans contextualisation ni distance est vectrice de dégâts dans leurs sexualités.

9.WILD FLOWER SEX

Une boutique de sextoys inclusifs sur Instagram qui propose également un travail d’éducation et de vulgarisation sexuelle pop’.

wildflowersex

 

10. SAPPHOSUTRA

Un projet de Kamasutra lesbien et queer fondé par deux étudiantes parisiennes pour illustrer les pratiques de la communauté lesbienne et queer et donner des idées, ressources, pistes d’éducation sexuelle à cette communauté. Soutenez-les, elles se font régulièrement censurer leur page Instagram

Pour finir, la voie intellectuelle ne remplace pas la voie pratique. Comme disait Pattabhi Jois, un des fondateurs du yoga ashtanga : « 99% practice, 1% theory », alors essayons, expérimentons, par la danse, le sexe, les arts du corps, la pole, en bref : trouvons ce qui nous libère individuellement et nous épanouis, dans le respect des autres, mais sans avoir peur de ne plus être « celle qu’on épouse ».

 

Image en une : Annie Sprinkle en 1993 par Jean-François Leblanc, Public Cervix Announcement

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