En immersion au Fesses-tival à Genève
À Genève, grâce aux politiques moins répressive du Travail sexuel, la stigmatisation est beaucoup moins forte qu’en France. Il y a même un centre d’archives Grisélidis Réal qui a ouvert grâce à l’Aspasie pour que les Genevois.e.s puissent hériter des savoirs et récits de vie de cette célèbre activiste, artiste et TDS ! C’est sans doute pour cela que l’inclusion des travailleur.se.s du sexe au Fesses-tival se fait de manière tout à fait évidente.
Un Fesses-tival qui a bien gonflé… et qui s’est pornifié !
Grâce à l’engouement suscité par la première édition à Ressources Urbaines, le Fesses-tival 2019 a pu construire de nouveaux partenariats, avec le Cinéma le Spoutnik dans lequel il y a eu des projections, ainsi qu’avec le Zoo dans lequel on a pu danser toute la nuit du samedi ! Avec en plus une subvention et l’organisation d’événements de soutien, la programmation a pu se densifier et devenir plus internationale.
Le Fesses-tival nous a permis de voir une diversité des médiums de représentations des corps et des sexualités : exposition, installations, projections de courts-métrages, performances, fanzines, musique, ateliers et tables-rondes.
Dans ces espaces non policés, les pornographies peuvent exister. Qu’on le brode, qu’on le filme, qu’on le dise, qu’on le monte, qu’on le performe, qu’on le mate, au Fesses-tival, le porno n’est pas au placard. Chez les sexwokers, les rumeurs vont vite lorsqu’on trouve des espaces qui échappent aux politiques de contrôle des corps… Une bulle d’air pour les ami·es sans arrêt censuré·es en France et sur les internets.
Des porno culinaires et de belles mises en bouche
Pour m’allécher, rien de tel que de réunir mes deux vices : le cul et la bouffe ! Brunch on Bikes de Ethan Folk et TY Wardwell – ou la recette d’un porno réussi :
– 4 performeurs audacieux
– 1 préparation de pancakes inventive
– 1 livraison à vélo nus sous un tablier
– 1 brunch kinky
– 1 louche d’humour
Du porno sans prétention qui s’empare de manière dirty du code de “la ménagère”. Se plugger le cul avec un fouet de cuisine pour battre les oeufs est sur ma to do list depuis ! Miam.
Plus tard, je croise Marianne Chargois qui vient de performer Golden Flux « Ce qui est important pour moi dans les créations, c’est l’agentivité », me dit-elle. « Les points de vue faussement neutres qui usent de lexiques émotionnels pour faire croire que les travailleur·ses du sexe seraient des victimes incapables de penser par elles-mêmes, ce n’est pas féministe ! »
Dans sa performance sur l’urophilie, Marianne nous révèle des aspects de son métier de dominatrice qu’on voit peu dans les représentations médiatico-culturelles habituelles. On y découvre des extraits de séances de food fetish filmées à la gopro, on y entend le point de vue d’une travailleuse du sexe sur sa pratique, et, dans cette performance olfactive, on reçoit de belles vapeurs de champagne. Vu les applaudissements chaleureux de la salle, j’imagine que je ne suis pas la seule à avoir adoré.
Je n’ai su prendre des notes pendant L’Annonce de Carré Rose Films : la caméra proche du documentaire et les performeur.se.s m’ont laissé la bouche ouverte et pleine de salive.
Du mythe du poète maudit à celui de la pute vénale
Lors de la table ronde intitulée “Le comique sexuel, normatif ou subversif ? Discussion sur la pornographie française des années 1970”, Solène Humair nous rappelle qu’il y a eu un âge d’or du porno lorsque Michel Guy, secrétaire d’État à la culture, avait supprimé en toute forme de censure du porno. On pouvait donc avoir des scènes pornographiques dans des films de fiction, plutôt que des ellipses ou des métaphores du sexe.
La production de porno est par conséquent devenue très importante et, à mon grand désespoir, le même ministre a eu peur que la production de représentations non-porno disparaissent. C’est pourquoi, il a créé des mesures prohibitionnistes que l’on subit encore aujourd’hui :
– des visas d’exploitation à 33%
– les projections de porno dans des espaces spécifiques
– interdiction d’obtenir des subventions
La production de porno française a donc privilégié les exports. Fini le porno en circuit court ! Dans les années 80, l’apparition des VHS a permis de contourner la loi injuste sur les visas d’exploitation. Et les pornographies sont passé de l’espace public à l’espace privé. Et c’est encore valable aujourd’hui avec les tubes et les liveshows.
En suivant, j’ai assisté à une conférence intitulée “Les images pornographiques peuvent-elles être éthiques et inclusives ?” avec Diamonds Bitch et Saphir Cocks, membres de Rubis Collective, Hazbi, programmateurice des Porny Days et de la Fête du Slip, Méli Boss, membre du collectif OIL Productions, et Naïma Pollet, co-directrice du Fesses-tival pour la modération.
À la table, tout le monde n’avait pas le même rapport à l’éthique et chacun.e avait sa propre définition du terme, marketé à tort et à travers.
“Ce sont les censeurs qui définissent ce qui est de l’art ou du porno”, Rubis Collective
Les membres du Rubis Collective ont rappelé certaines lois spécifiques de censure et de freins du porno (voir plus haut). À cause de ses mesures, les conditions de travails des TDS sont moins bonnes. Pour eux, si on veut offrir de meilleurs conditions de travail au performeur.se.s porno, il faut réinvestir dans le porno.
“Le piratage de porno, tout le monde s’en fout alors que lorsque qu’il s’agit de musique, cela devient un sujet de société, il faut que le regard social sur le porno change.”
Heureusement, les espaces où on questionne les pornographies, comme le Fesses-tival, permettent de contrebalancer ce phénomène de consommation intime et cachée de porno. Peut-être que de sensibiliser les personnes au fait qu’il s’agit d’un travail et d’une économie les incitera à consommer de manière plus éthique – par exemple en payant pour regarder le produit d’un travail sexuel. Les modes de consommation ont évolué au cours de ces dernières années grâce à des prises de conscience de la clientèle, pourquoi n’en serait-il pas de même pour le porno ?
Pour Hazbi, “projeter du porno n’est pas anodin, il s’agit d’ouvrir la sexualité des gens”, l’enjeu est d’ouvrir des espaces où les sexualités ne sont pas toujours représentées de la même manière et sous les mêmes formats, de montrer une diversité de corps et de pratiques. Il précise être très choqué des politiques de censure de certaines pratiques au Royaume-Uni qui interdit le fisting ou encore le squirt. Une spectatrice est intervenue pour dire qu’on ne pouvait pas parler d’éthique sans parler d’argent et a posé la question de la rémunération des performeur.e.s porno.
Méli Boss partage une anecdote :une de ses actrices avait, parce qu’elle a pris du plaisir, refusé l’argent. Cela m’a frappée. Et je me suis souvenue que les artistes sont conditionnés à accepter de travailler souvent sans rémunération sous prétexte qu’ils “vivent leur passion” ou encore qu’ils “aiment leur travail”. L’Art est un marché qui tire profit du “plaisir” non rémunéré de ses travailleurs. On retrouve une culpabilisation sociale similaire chez les travailleur.se.s du sexe qui sont poussés à faire du bénévolat. Il est important de ne pas casser le marché du porno en acceptant de travailler gratuitement, même si les images sont belles ou on y prend du plaisir. Simplement parce que cela participe à une baisse des conditions de travail de l’ensemble des travailleurs.e.s du sexe, et quand on fait du porno, on doit en avoir conscience.
De plus en plus de festivals émergent pour questionner les pornographies et les regarder dans des espaces publics. Ils sont hélas souvent cantonnés à des lieux dits « alternatifs » et souffrent de manque de financements. Lorsqu’ils sont subventionnés via des lieux artistiques, ils peuvent s’éteindre à chaque instant, selon le conservatisme et le clientélisme de certains établissements. Alors, si vous souhaitez voir perdurer ces espaces où les représentations des sexualités sont possibles : n’hésitez pas à les soutenir et à les défendre.
J’avoue que j’aurais adoré une sexparty pour mettre en pratique ces lumières. Peut-être l’année prochaine ?
Le festival prépare actuellement l’édition 2020 : envoyez un mail à : projet@lefessestival.ch
Aucun commentaire. Laisser un commentaire