Latitudes Contemporaines : Faites entrer la Cul-ture
Alors que la vie culturelle reprend doucement sa place dans notre quotidien, la métropole lilloise a eu la chance de commencer sur les chapeaux de roues en accueillant le festival Latitudes Contemporaines. Après avoir dû annuler sa programmation pour 2020, le festival est revenu plus fort, s’étalant désormais sur un mois tout entier. Cette année, Latitudes Contemporaines explore la question de la représentation du féminin sur scène et dans la société, et pour notre plus grand bonheur, le porn est aussi au rendez-vous !
UNE PROGRAMMATION SANS RESTRICTION DE FORMES
Alors que j’avais vite vu fleurir l’affichage du festival, je me suis penchée assez tardivement sur la programmation. Je découvre alors avec joie que Latitudes Contemporaines tient ses promesses de diversité. Le festival s’ouvre à tous les champs artistiques sans restriction de formes. Si on trouve les classiques du genre avec du théâtre, de la danse et des concerts, on a aussi l’heureuse surprise de voir des performances plus expérimentales, ainsi qu’une place laissée au porno. C’est à ce moment là que l’événement a commencé à retenir mon attention.
Je dois l’avouer, avant le festival, je n’avais jamais eu l’occasion d’assister à une projection publique de porn, cependant j’avais déjà entendu parler du fesses-tival de Genève, ou encore du Porn Film Festival de Berlin. Je savais donc que ces projections existaient sans avoir eu la chance de pouvoir y prendre part, mais ce qui m’a semblé intéressant ici, c’est que Latitudes Contemporaines n’était pas un événement ouvertement lié au monde du porn. Le fait de programmer du cul, c’était donc lui laisser une place dans la sphère publique, et revendiquer la production pornographique comme une réalisation artistique à part entière.
Il ne m’en a pas fallu davantage pour attiser ma curiosité, c’est comme ça que j’ai réservé mes billets.
WOULD YOU BE MY PLUS ONE ?
Je ne vais pas vous mentir, j’étais très impatiente d’être le 4 juin. En plus de signer mon retour dans les salles de spectacle après cette année passée à consommer la culture uniquement devant un écran, j’avais vraiment été intriguée par la présentation de la performance à laquelle j’allais assister et dont la forme me semblait singulière, et pour cause : il s’agissait d’une performance destinée à une seule personne.
« Plus One est une performance sur l’intimité pour un·e spectateur·rice à la fois. Elle propose l’action ludique de recréer un puzzle en compagnie de l’artiste. L’image qui apparaît sous nos yeux est le préalable à une conversation sur la convivialité, la solitude, l’isolement, l’affinité, la confidentialité, entre autres sujets.
Cette performance a été pensée durant le confinement. Pour Sophie Guisset, faire des puzzles a été une activité centrale, une sorte d’échappatoire mental pendant toute cette période d’isolement. Cela a eu des vertus thérapeutiques, une manière de focaliser son esprit sur un tâche à accomplir pour mettre de l’ordre dans ses pensées. A mesure des jours et de sa concentration, elle était en capacité de trouver une pièce manquante juste par un petit détail. En partageant un temps avec un·e seul·e spectateur·rice à la fois, elle créé une relation intime avec un·e inconnu·e, jusqu’à en dégager une tension subtilement érotique entre les mains et les regards, à la recherche d’une pièce supplémentaire. «
Me voilà donc à la Gare Saint Sauveur, un peu avant 14h, prête à découvrir ce puzzle mystère, supposé créer une tension érotique entre une parfaite inconnue et moi-même. C’est Sophie Guisset, créatrice de la performance, qui m’accueille, et m’annonce que nous allons passer la prochaine demi-heure toutes les deux. On baisse les masques une seconde pour se découvrir et tout commence.
La pièce est plutôt intimiste, l’éclairage est à mi-chemin entre l’atmosphère tamisée et la lumière néon qu’on peut trouver dans certains bars ou certains clubs, ces endroits qu’on a plus l’habitude de fréquenter non plus. Sophie m’indique de m’installer dans le canapé qui se présente devant moi. Sur une table devant nous, un puzzle entamé mais pas terminé, dont l’image est encore difficile à deviner, ainsi que des cartes. Elle m’indique que je peux piocher dans les cartes lorsque je le souhaite, et qu’elle en fera de même. Ces cartes sont des questions qui nous permettrons d’échanger. Nous nous mettons à l’œuvre, et me voilà absorbée par les détails des pièces de puzzle. C’est Sophie qui lance le jeu de la conversation qui deviendra fluide par la suite. Les questions s’enchainent et je commence à comprendre cette histoire de tension érotique lorsqu’on se retrouve à aborder la question de nos fantasmes, de notre rapport à l’exhibition, des endroits dans lesquels on a déjà été impudiques, de ceux où on a déjà baisé. Etrangement, moi qui suis d’un naturel timide me retrouve à aborder tout ces sujets avec une inconnue sans aucun mal.
Sophie m’annonce que, pour m’aider un peu, elle va projeter l’image que nous essayons de reproduire. L’image apparaît. Elle est explicitement sexuelle, et mes yeux ne regardent plus le puzzle exactement de la même façon. Je me focus sur les pièces où je reconnais des morceaux de peau, les tatouages de l’une des femmes sur l’image, et nous continuons à aborder des questions, plus ou moins intimes, en échangeant des regards par dessus nos masques.
La demi-heure se termine, et je dois bien avouer que je n’ai pas beaucoup contribué à l’avancement du puzzle. En revanche, je quitte la pièce comme j’aurais quitté une soirée, ou un date avec l’agréable sensation qui suit un flirt, et une photo souvenir derrière laquelle se trouve une jolie invitation à partager avec Sophie la photo d’un lieu dans lequel j’aimerais me faire soulever.
PORNO PUBLIC
J’ai quelques heures pour me remettre de mes émotions avant la projection de « Une Blonde baise avec sa fucking machine devant son chien-chien » de Puppy Please. Le temps d’être rejointe par une amie, curieuse elle aussi d’assister à sa première fois en public devant un porno. On s’installe, tout ressemble pour le moment à une séance de cinéma classique, on nous annonce que la projection va commencer et qu’elle sera suivie d’un échange avec Robyn Chien et LullaByeBye, les réalisatrices du film. Là tout de suite, je trépigne d’impatience. La lumière s’éteint, c’est parti.
Les premières minutes sont étranges. Non pas parce que je n’apprécie pas ce qui est projeté à l’écran, mais justement parce que j’aime ça. Parce que j’aime beaucoup ça. Et que je ne suis pas en solo sous la couette, mais bel et bien dans une salle de cinéma avec tout un tas d’inconnus qui regardent eux aussi le film. Et finalement je comprends peu à peu que ce contexte et la présence de ces autres sont aussi imbriqués dans mon excitation. LulaByeBye se touche, on ressent la présence de Robyn derrière la caméra, tant dans les mouvements de cette dernière que dans les sourires et regards que Lula offre à la caméra. Le film commence sur une scène de masturbation qui me donne chaud, et sans doute ai-je encore un peu plus chaud parce que je ne peux rien faire de cette envie, à part me laisser happer par le film. La suite ne me laisse pas en reste, et même si les kinks représentés à l’écran ne sont pas forcément les miens, je suis littéralement fascinée par les images. Quand la lumière se rallume, j’ai les joues qui ont chauffé, et la bouche ouverte, et en même temps, j’ai super hâte de pouvoir échanger avec les réalisatrices.
L’une des premières questions porte sur l’impératif que peut parfois faire peser le fait d’être une femme qui réalise du porno, et le fait que cela présupposerait une incompatibilité avec les codes du mainstream, alors même que le titre du film évoque clairement les titres que l’on peut trouver sur les tubes, explicite à l’extrême et, en même temps, extrêmement efficace.
« En tant que femmes réalisatrices, on avait eu plusieurs journalistes qui attendaient de nous un regard dit « féminin », et c’est vrai que nous on est beaucoup des consommatrices de porno mainstream, et les problématiques dans le mainstream, c’est les conditions de production, mais on apprécie certains types de représentations car elles fonctionnent et qu’elles sont excitantes. Là où se situe le regard dit « féminin » – mais je pense qu’il faudrait trouver une autre appellation – c’est qu’il y a dans les conditions de tournage l’importance des questions de consentement. Moi, en tant que performeuse, y’a un truc où je suis plus moteur dans ce qui va se dérouler que la caméra qui m’impose quelque chose. »
LullaByeBye
On évoquera aussi les difficultés que rencontre la production pornographique pour se vendre et continuer d’exister sur les plateformes de paiement en ligne. L’amie présente à mes côtés m’avoue n’avoir aucune conscience de ça, et ne pas avoir entendu parler des lois passées dernièrement qui compliquent encore les choses pour les TDS. Elle n’a même pas entendu parler de la purge réalisée par pornhub, et me fait réaliser combien il est plus que nécessaire de communiquer sur ces points. On oublie pas non plus de causer excitation, à la demande de Robyn qui nous demande, curieuse, ce qui nous a excités. LullaByeBye et Robyn Chien nous expliquent combien l’espace offert par le festival est précieux car, plus qu’une salle de projection, Latitudes Contemporaines a offert aux réalisatrices de Puppy Please une résidence d’artistes au cours de laquelle elles ont pu créer le film, et le festival n’a pas cessé de les soutenir en découvrant le résultat. J’avoue que je les remercie aussi, parce que j’en ai pris plein les yeux.
Une fois rentrée, des images plein la tête, j’ai le temps de m’interroger, sur les sujets évoqués mais aussi sur l’origine de cette gêne ressentie lors des premières minutes. Je n’ai jamais vraiment eu de tabou autour de ma consommation de porno, mais je prends encore une fois conscience du travail qu’il reste à faire pour que le porn prenne sa place dans l’espace publique et de l’importance des événements qui laissent la parole aux concerné·e·s.
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