Ciné Porn #17 : Portrait de la jeune fille en feu
L’automne 2019 vit naître le feu sur tous les écrans de salles de cinéma françaises, celui du Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma. Quatrième long-métrage de la réalisatrice, ce Portrait est peint via les yeux du female gaze, et brûle du désir entre Marianne (Noémie Merlant) et Héloïse (Adèle Haenel). Fin du XVIIIème siècle, sur une île de Bretagne. Marianne est embauchée par la mère d’Héloïse pour faire le portrait de sa fille promise au mariage avec un riche milanais. Héloïse, sortie du couvent pour cette union, ne veut pas de cette vie décidée pour elle et se dérobe sans cesse au regard de Marianne, qui travaille à la peindre en secret. L’artiste finit par tout lui avouer et débute entre elles un jeu de regards non pas juste pour produire une œuvre de commande mais aussi s’aimer, sans autre contrepartie, durant les quelques jours dont elles disposent avant l’inévitable retour en régime d’hétérosexualité.
Le désir représenté dans Portrait de la jeune fille en feu s’incarne aussi à travers les corps des deux personnages. Les scènes érotiques sont au final rares mais intenses, arrivant après un long moment où chacune observe l’autre, questionne les sentiments qu’elle ressent et guette le bon moment pour déclarer son amour. Le geste des deux doigts d’Héloïse lentement introduits en gros plan dans l’aisselle de Marianne pour y appliquer un onguent vert à base d’une plante « pour rallonger le temps » a fait beaucoup parler de lui. Il ne dure que quelques secondes, après qu’Héloïse ait présenté son achat à Marianne et en ait massé son aisselle poilue l’air amusé, et avant un baiser, filmé lui aussi en plan rapproché. Ce geste est d’une intelligence érotique rare, à la fois extrêmement explicite (filmer une aisselle plutôt qu’une vulve) et pudique (puisqu’après tout ce n’est qu’une aisselle). Il m’a fait beaucoup plus d’effet que la très grande majorité des scènes de sexe dans le cinéma hors pornographie, que je juge souvent factices ou mal simulées. Parce que là justement rien n’est simulé : la pénétration a bien lieu, avec comme seule bande sonore le souffle des deux femmes, tout en laissant la place à l’imaginaire sexuel de chacun·e. Il y a peu de musique dans Portrait de la jeune fille en feu, soulignant de façon organique et surtout sans effet de style lourd ce désir de l’une pour l’autre qui émerge, se développe et se partage. Ce n’est peut-être qu’une aisselle, recoin du corps qui pour ma part me laisse plutôt indifférente, mais elle a aussi le potentiel d’un nouveau territoire érotique reconquis par le regard féminin et lesbien.
Quelques années plus tard, les regards de Marianne et Héloïse se croisent de nouveau à deux occasions. Lors d’un vernissage où Marianne présente une de ses toiles elle reconnait Héloïse peinte, représentée avec un·e jeune enfant, fruit de son fatal mariage avec le riche milanais, dans une main et dans l’autre un livre ouvert par le doigt (encore un doigt …) à la page 28. Un détail qui ne parle qu’à Marianne, ce fameux endroit du livre refermant un autoportrait d’elle nue dessinée pour le seul plaisir d’Héloïse.
Puis Marianne revoit Héloïse, de loin et en personne, à l’opéra dans le balcon face au sien. La caméra se détache de Marianne pour se rapprocher d’Héloïse et la filmer en plan fixe durant plus de deux minutes trente, au plus près de ses émotions. Elle frissonne, pleure puis sourit en écoutant le Presto de « L’été » des Quatre saisons de Vivaldi, morceau que lui a fait découvrir Marianne au début de leur relation. Décrit ainsi le dispositif peut sembler ennuyeux mais pas du tout, il est aussi d’une grande intelligence sensuelle, qui ne se prive pas d’accompagner longuement les différentes expressions du visage et la respiration saccadée d’Héloïse. « Ne regrettez pas, souvenez vous. » La promesse semble tenue.
Bonus : Adèle Haenel lisant un extrait du Corps lesbien de Monique Wittig au micro d’Augustin Trapenard. C’est dans ce texte que l’autrice emploie le mot « cyprine » avec la définition qu’on lui connait désormais.
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