« Pleasure » de Ninja Thyberg : bien tenté
Mes potes cinéphiles sont tous·tes venus·es me voir à la queue leu-leu pour me le dire : « Hey t’as vu, y’a un film sur le porno qui passe à Cannes ! » Forcément, ça a titillé ma curiosité. Et comme le hasard est bien fait, je reçois dans mes mails le fameux ticket d’or pour l’avant-première de ce film qui fait encore couler beaucoup d’encre aujourd’hui. « Pleasure » de Ninja Thyberg, ça vous dit quelque chose ? Possible. Il s’agit en fait du remake d’un court métrage datant de 2013, lui aussi réalisé par la cinéaste suédoise. Mais si, souvenez-vous ! Saint-Sernin avait même écrit un article à ce sujet. Pour les retardataires, « Pleasure » c’est l’histoire de Bella, une jeune suédoise de 20 ans débarquant en Californie avec une seule idée en tête : devenir la nouvelle Porn Star. Mais spoiler alert, rien ne se passe comme prévu. Un film interdit au moins de 18 ans qui se veut pédagogique, militant et sans fard. On va décrypter ça tous·tes ensemble.
Les copines d’abord
Ce qui fait la plus grande force de ce film à mes yeux, c’est la solidarité entre les performeuses. Les séquences les plus légères sont celles où Bella discute et partage des moments de vie avec ses collègues de travail. On la voit se confier, rire, bien qu’elle reste souvent en retrait. Il était important pour Ninja Thyberg de mettre cette complicité en avant. Afin de se documenter au maximum pour la réalisation de ce film, elle a arpenté pendant 5 ans les plateaux de tournage de films X. Et c’est cette entraide inébranlable, cette sororité qui lui a donné envie de mettre les femmes de ce milieu au premier plan.
On peut d’ailleurs souligner l’interprétation magistrale de Sofia Kappel, dont Bella est le premier grand rôle à l’écran. Elle a beaucoup participé à l’écriture et la réalisation de ce film, mettant au cœur du sujet les notions de consentement dans le fond comme la forme. Thyberg dénonce aisément l’art et la manière de ne pas respecter le consentement des performeurs·euses. Les réalisateurs et producteurs – majoritairement masculins – sont dépeints comme étant d’habiles stratèges insidieux. Pour elle c’est très clair : le problème n’est pas la pornographie en soi mais ceux qui tirent les ficelles de cette géante industrie. Dans ses nombreuses interviews, elle dit amèrement regretter l’acharnement que subit le cinéma pour adultes. Notamment la constante victimisation des performeurs·euses, le slutshaming, et les généralités faites dans ce milieu aussi vaste et complexe qu’est le porno.
Cachez ce sein que je ne saurais voir
Réaliser ce film fut un exercice fastidieux pour Thyberg. Elle insiste sur ce point, car écrire et produire sur le sujet de la pornographie sans rester bloquée dans le male gaze demande une certaine déconstruction du regard. Et elle n’a pas manqué d’ingéniosité, il faut l’avouer. Des scènes de nu gratuites, du voyeurisme malsain ? Vous n’en verrez pas dans « Pleasure ». Est montré ce qui doit être montré, et quand il le faut. Prenons les scènes de tournage par exemple. Notre cerveau fait la connexion entre ce qu’il voit et ce qu’il imagine. Pourtant, il n’y a pas de sexe explicite à l’écran. En revanche, c’est par un malin système d’inception qu’elle montre comment Bella s’objectifie elle-même, utilisant le patriarcat à son avantage. Une première dans le cinéma, milieu où les femmes sont constamment critiquées et victimisées pour leurs choix de carrière.
Par ailleurs, la réalisatrice fait un pied de nez aux anti-porno avec cette fameuse réplique : « J’aime juste baiser. » où Bella exprime purement et simplement les motivations qui la poussent à travailler dans l’industrie du X. Être travailleur·euse du sexe ne doit pas systématiquement signifier être victime, ni être psychologiquement instable. Thyberg se fiche du pourquoi, du comment. Elle n’apporte aucune vérité absolue. Chaque performeur·euse a ses motivations qui lui sont propres. Out les amalgames et la psychanalyse de comptoir.
Si je résume, « Pleasure » c’est : un film issu du cinéma traditionnel, dont le sujet de fond est la pornographie, réalisé par une femme et dont le personnage principal est une femme. Donc tout pour me plaire sur le papier. Mais évidemment, il fallait que mon coeur soit brisé. Les journaux décrivent le film comme étant un savant mélange entre chronique du milieu sincère et provocante, critique du patriarcat et étude de personnage quasi documentaire. C’est là que nos avis divergent.
Une réalisation bancale
Bien que le jeu de Sofia Kappel soit irréprochable à mes yeux, je me dois de souligner le manque de profondeur de son personnage. Et c’est tristement valable pour tous les autres protagonistes de ce film. Thyberg parle d’un point de vue documentaire, de privilégier Bella au profit du sujet : un échec total à mon sens. Le réel personnage principal de ce film est l’industrie du X, pas Bella. Je me suis beaucoup questionnée sur ce qu’elle renvoyait au spectateur. Elle paraît comme étant ambitieuse, mais passive. Ce qui est plutôt contradictoire. À avoir peur de la psychanalyser à tort et à travers, elle a fait de ce personnage une entité creuse. J’ai cruellement manqué d’empathie envers Bella.
À cela se sont ajoutées plusieurs séquences saupoudrées de métaphores aussi subtiles qu’une blague de Bigard, rendant le tout lourd et drama à souhait. Je pense en particulier aux cuts au noir et au blanc suggérant le mal et le bien, la soumission et la domination. Mais le pire du pire, je crois que c’est cette musique biblique associée à chaque scène de tournage. Et pour en finir : non, il ne suffit pas d’user de couleurs pop à l’étalonnage afin de rendre le sujet fun. La pornographie n’a pas à être édulcorée pour passer crème.
La descente aux enfers : un classique
Je pensais qu’on y échapperait, mais il revient toujours tel un boomerang dont on n’arrive pas à se débarrasser : la fatalité, le prix à payer lorsque l’on met le doigt dans l’engrenage du porno. « Pleasure » aurait pu se terminer en happy ending. Mais non, Ninja Thyberg était trop occupée à dénoncer les méchants.
Bon, c’est vrai qu’on est loin de ce bon vieux « Boogie Nights » (de Paul Thomas Anderson, 1997) où le porno des années 70-80 est montré comme un milieu excessif, rocambolesque où règnent le luxe et la débauche. Elle évite aussi la carte de l’addiction au sexe, comme dans « Rocco » (de Thierry Demaizière et Alban Teurlai, 2016) où l’étalon italien nous explique que le porno est pour lui comme une spirale infernale dont il n’arrive pas à sortir.
Je pense que l’intention était honorable. Mais même avec la meilleure des volontés, la fin reste systématiquement la même lorsqu’on parle de porno. Pourquoi ? Tout se passait bien pour Bella qui menait sa barque non sans détermination, avant qu’elle ne finisse par adopter une attitude empreinte de masculinité toxique – lors de la scène avec le gode-ceinture. Pourquoi ? Pourquoi la carrière de Bella devait-elle tourner au vinaigre ?
Une question de légitimité ?
Résultat des comptes, « Pleasure » c’est aussi l’occasion de mettre en lumière plusieurs performeurs·euses que vous reconnaitrez sûrement dont Lance Hart, Aiden Starr, Gina Valentina, Abella Danger, Jack Blaque, Small Hands et bien d’autres. Collaborer avec des travailleurs·ruses du sexe prouve qu’être performeur·euse ne relève pas seulement du simple don d’écarter les cuisses ou de bander dur. Bien que leurs savoir-faire et vulnérabilité soient mis en avant, je trouve que leurs personnages manquaient de nuances. Et pour cause, il faut aussi savoir que Ninja Thyberg était une ancienne fervente abolitionniste. Certes son discours a évolué depuis, mais le message qu’elle transmet à travers son film reste maladroit et pétri de préjugés.
Thyberg s’est battue pour maîtriser son sujet, en lisant beaucoup, en questionnant les pornographes, et en intégrant les plateaux de tournages. C’est d’ailleurs au travers de ces expériences qu’elle aurait déclaré trouver le porno indépendant et féministe ‘élitiste’. La raison ? Certaines boîtes l’auraient ghostée ou lui auraient fermé les portes. Rien de bien surprenant lorsqu’on connaît son passé d’abolitionniste. Ninja Thyberg avait certainement de bonnes intentions en réalisant « Pleasure » mais la pornographie ne devrait pas être traitée comme étant sujet de curiosité. Il est temps de laisser la parole aux personnes concernées ! Bref, le film se termine, le générique défile et moi… Moi, je me mets à rêver d’un film traitant de la pornographie enfin sous un angle positif…
Image à la une : « Pleasure » de Ninja Thyberg
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