Ciné Porn #17 – Querelle
Dans le game de la littérature érotique, et j’irai même jusqu’à dire, la littérature pornographique – vous savez bien comme le terme m’est cher désormais – Jean Genet est ce qu’on pourrait appeler une référence. Ça tombe bien, c’est aussi mon auteur préféré. Qu’il s’agisse de nous offrir les ébats imaginaires des prisonniers de ses fantasmes, ou les fellations rêvées d’un travesti et d’un maquereau, Genet sature ses textes de sexe, et on aime ça. Mais on est pas les seuls. C’est comme ça que Rainer Werner Fassbinder consacrera le dernier film de sa carrière – puisqu’il est mort avant la fin du montage – à l’adaptation de l’un de ses romans : Querelle de Brest.
Sorti à titre posthume en 1982, Querelle est plus qu’une adaptation cinématographique du roman : il parvient à produire une œuvre singulière, aussi puissante que le texte, mais dans le langage du cinéma. Le pitch n’est pas très compliqué : Querelle est un jeune marin qui débarque au port de Brest. Dans celui-ci, il fréquente le bar à prostituées du port, La Feria, dirigé par Madame Lysiane (incarnée par Jeanne Moreau, s’il vous plaît), qui est la maîtresse de son frère Robert. Cette dernière lui plaît bien, mais c’est avec Nono, le tenancier, qu’il finira par jouer son corps lors d’une partie de dés. Celui qui gagne sera top, celui qui perd sera bottom, et la tension présente dans cette scène montre bien tout l’enjeux de la position de la sodomie pour ces deux incarnations d’une virilité exacerbée.
Querelle se révèle bien vite objet des fantasmes de tous. De Lysiane, qui retrouve en lui son amant Robert, de Nono, qui veut le posséder tout entier, de son supérieur, le Lieutenant Seblon, et même, de son propre frère qui voit en lui une incarnation narcissique du désir pour son double. Cette union incestueuse se liera dans un baiser langoureux, qui s’étire en longueur, comme la plupart des actions de ce film dont la lenteur est remarquable. Bref, tout le monde veut se faire Querelle, qui, pendant ce temps là, tue tout ceux qui lui ressemblent, puisque comme l’ensemble des avatars du désir de Genet, Querelle est, forcément, un assassin. Un joyeux bordel, au cœur d’un bordel.
LE COEUR DU SCANDALE
Dès l’affiche, Querelle s’est confronté au scandale. En effet, l’affiche original présentait Brad Davis adossé à une tour en forme de phallus. À la sortie du film, l’image du phallus est interdite et on la remplace par un simple mur. Si la chaleur de l’affiche et le caractère presque étouffant du film sont toujours là, on ne peut que regretter cette censure qui veut faire passer Querelle pour ce qu’il n’est pas, à savoir un film qui n’a rien de pornographique. L’affiche sera finalement rétablie lors de la réédition du film en 2009.
La polémique est par ailleurs présente dans sa réception. En effet, Querelle est présenté, pour la première fois, à la Mostra de Venise en 1982. Alors qu’il est en compétition officielle, ce dernier ne remportera aucun prix, considéré comme trop sulfureux, trop porno aussi, et ce malgré la défense de Marcel Carné, président de la Mostra à l’époque.
CHALEUR ETOUFFANTE ET TOPOGRAPHIE DU SEXE
Ce qui marque le plus, dans ce film, c’est indéniablement la colorimétrie hyper chaude qui règne dans la grande majorité des scènes d’intérieur ou sur le bateau. En regardant le film, c’est le spectateur lui-même qui ressent la chaleur étouffante de ce bordel, chaleur provoquée en grand partie par la tension sexuelle qui règne entre les personnages qui s’observent, se jaugent, se rapprochent aux limites du possible, mais ne se touchent finalement que rarement. Lorsqu’ils se touchent finalement, c’est pour enfin laisser place au sexe dans son expression la plus brute. Querelle, c’est un peu l’incarnation du twink qui rentre dans une pièce et que tout les autres veulent se faire.
Mais l’univers de la pornographie ne se retrouve pas qu’au travers des actes sexuels, ou de l’atmosphère étouffante, presque brûlante qui règne dans le film. C’est aussi dans les costumes que se nichent les codes traditionnels du porn. Que ce soient Mario, le policier et son costume aux accents cuirs moustaches, les tenues de marin hyper sexualisées ou même le combo déshabillé et bijoux hyper clinquants de Lysiane, les personnages semblent tous tout droit sortis de l’univers d’un porno vintage. Les corps sont tous transpirants, ou huilés, les poses sont lascives et ça donne à l’ensemble une tension supplémentaire. Mention spéciale au slip blanc qui revendique toute sa place dans cette esthétique vintage et dont je vous parlerai bientôt dans un autre article. Les amateurs·ices de blood play devraient aussi avoir quelques scènes à se mettre sous la dent.
L’une des autres grandes réussites de ce film réside dans sa topographie. En effet, celle-ci prend toute sa place dans les lieux traditionnels de l’imaginaire du porno gay. Les pissotières taguées d’obscénité, le bateau comme une caserne pleine d’hommes en manque de sexe. Le bordel fait exception paradoxalement car il sera, dans le film, le seul lieu d’une possible expression de l’hétérosexualité. Lieu qui ne laissera finalement pas place au rapport hétéro, puisque saturé par la présence des hommes et du désir homosexuel.
Il y aurait encore bien des choses à dire sur Querelle tant le film se distingue, dans sa forme, dans son rythme, son esthétique et son propos, mais je préfère m’arrêter là pour vous laisser le loisir de découvrir par vous-même le charme de cette adaptation brillante. La lenteur et la tension sauront vous emporter dans cette temporalité étrange est suspendue où le désir – qu’il soit pulsion de sexe, ou de mort – semble le seul maître à bord, n’en déplaise aux matelots de cet équipage singulier.
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