Svart Crown : « Nous sommes dans une dynamique orgasmique »

Svart Crown officie dans le metal extrême, à la croisée des chemins de croix que sont le death et le black metal. Formé en 2004, dans le sud de la France, le groupe a trois albums à son actif et tourne régulièrement en Europe et ailleurs pour prêcher la bonne parole d’une musique puissante et agressive. Ces zigotos à poil long apprécient particulièrement Le Tag Parfait, nous avons donc profité de leur récent passage à La Boule Noire pour leur poser quelques questions. Entretien avec le duo de guitaristes-chanteurs de Svart Crown, JB, fondateur du groupe et Clément.

Quel est le concept de Svart Crown ?
JB : J’ai toujours été intéressé par la face sombre de l’humain. Chaque album traite de ce sujet-là, des déviances, de la chute. On remonte vers les sources du Mal. Un morceau comme Here comes your Salvation parle de mecs qui vont se faire fister dans les caves, de choses comme ça. Le dernier album tourne autour de la maladie et de la décrépitude qui en découle.

: On a cette ligne directrice et on va essayer de piocher dans le sexe extrême, le sadomasochisme, la drogue. On essaie d’aborder plusieurs thèmes autour de cette humanité en perdition ; on a du mal à voir la lumière au bout du tunnel.

Vous liez la pornographie à cette décadence généralisée ?
C : Pas forcément. Je vois la pornographie comme une évolution sociétale. Le cul a toujours été là. Quand on prend le règne de Caligula, où il baise avec sa sœur et prostitue les femmes des sénateurs, il y avait déjà une dynamique sexuelle. Je ne vois pas forcément le porno comme quelque chose de malsain.

JB : On a tous en nous un côté sombre dont le porno fait plus ou moins partie de par son aspect inavouable. C’est surtout lié à notre éducation judéo-chrétienne, où le sexe est vu comme un vice.

Quel lien faites-vous entre le sexe et le metal extrême ?
C : Il y a un lien indéniable. C’est une musique qu’on fait à l’instinct, à l’arrache. C’est quelque chose de très cathartique, surtout sur scène : quand il y a énormément de monde, quand il y a de la furie, de la rage, ça transpire, c’est brutal. On est vraiment dans une dynamique orgasmique. Dans une baise ça doit transpirer, cogner. Après ce sont deux choses complètement différentes sur le papier, mais pour moi qui suis dans l’émotion et le ressenti, c’est extrêmement lié.

JB : Le lien se fait dans l’aspect primaire. Que ce soit dans le porno ou le metal, tu fais appel à tes premiers instincts. Au niveau de l’imagerie tu as le côté sulfureux, bien évidemment.

Svart Crown @ La Boule Noire Aosoth Necroblood

Svart Crown @ La Boule Noire

Vous m’avez contacté car vous êtes avant tout des fans du Tag, question inévitable : quel est votre type de porn ?
JB : On arrive aux questions que nos meufs et nos parents ne devront pas lire !  Les séries un peu nazes de Bangbros me font tripper, des vieux trucs où les actrices s’invitent chez les participants, des mecs lambda, pas des acteurs aux bites énormes. C’est scénarisé bien sûr, mais naïf : Rachel Star qui déboule dans un snack, qui malmène un peu l’employé et ça finit en party… J’aime bien aussi « Tonight Girlfriend »,  avec les actrices qui jouent le rôle d’escort girl, dans des chambres d’hôtel hyper classes, tu vois les transactions financières, c’est à la fois réaliste et excitant.

C : ll y a eu une grosse émancipation du porno avec le tout gratuit à la maison. On en a ras la gueule de porno. Mon truc c’est le POV : étant très à cheval sur la performance de l’actrice, j’aime quand le focus se fait sur elle. Ce qui me fait plus fantasmer, c’est quand c’est un peu plus hard. Des choses que je ne pratique pas forcément avec ma compagne. Tout ce qui est Kink, SM et qui va un petit peu loin, il y a ce relationnel super extrême et la performance à mettre en parallèle avec la musique que je joue. Par le passé, j’ai eu l’occasion d’assister à des shows fétichistes avec suspension, et j’ai été très sensible à la perf. Les gens qui pratiquent ce type de choses m’ont fait part de leur ressenti émotionnel quand ils se font hacher la peau avec de grandes aiguilles par exemple, ça m’a vite fait fantasmer. J’aime également regarder des behind the scenes.

JB : On était au studio l’autre jour, et on lisait votre interview de Nikita Bellucci où elle parlait de ses scènes chez Kink, et on les a regardées à minuit, après une bonne bouffe. On s’est maté ça pendant une heure. La scène était marrante, elle ne comprend pas grand chose, on sent qu’elle en chie mais elle est robuste.

Les extrêmes pornos et musicaux semblent donc se toucher…
C : Il s’agit de surpasser certaines limites qu’il peut y avoir. Quand on a créée notre musique, on a toujours eu cette envie d’aller plus loin, de repousser les limites de l’extrême, avec un spectre créatif qui va du death au hardcore. Dans ces dynamiques là, il y a un rapport évident avec le sexe.

Svart Crown Live 2013 La Boule Noire

Vous êtes plutôt de quelle école en matière d’actrices ?
: La performance physique et le culte du corps à l’américaine ça me fait chier. J’aime bien les écoles plus européennes. Niveau actrice, je suis resté sur Rebeca Linares. Elle a fait mal à beaucoup de gens, je crois !

JB : On est d’accord là-dessus, on aime bien le côté un peu latin, les Linares, Lupe Fuentes, Alexia Moore. Je trouve qu’en France on est plutôt bien servis. Dans les actrices françaises, j’adore Liza Del Sierra, elle est vraiment envoûtante. Anissa Kate se débrouille très bien également. J’aime bien Asa Akira, Rita Faltoyano, Angel Dark, ce genre d’actrices.

: J’ai toujours eu énormément d’admiration pour Jesse Jane, même si elle a pris un coup de vieux.

Pourtant niveau « culte du corps à l’américaine » on est en plein dedans avec Jesse…
: C’est la seule ! Moi je suis de la Team Sasha Grey, car elle dépasse le cadre du porno. Elle fait de la zik et a cette aura hyper décadente. J’ai écouté son groupe  d’électro-dark bizarre, c’était pas mal. J’aime la personne dans sa globalité. Et puis c’est une super performeuse aussi, elle a un truc que Stoya n’a pas.

JB : Stoya m’excite bien plus !

C : Stoya est très très jolie, mais trop froide.

Quid du porno français ?
JB : Les premiers pornos que j’ai regardé, c’était fin 90s, début 2000, les Journal du Hard, les débuts de Clara Morgane, ça me rend un peu nostalgique. Les films français étaient marrants, les Yannick Perrin par exemple. Dorcel et le porno chic ça ma toujours fait un peu chier, les grands manoirs, les mecs cagoulés, ça va deux minutes.

C : On a quand même pris vachement de retard, parce qu’il y a eu une émergence, il y a des actrices, mais je sais pas si c’est au niveau social français, c’est toujours un peu… cloisonné. J’ai l’impression que tous les Français ou les Françaises qui ont vraiment envie de taffer dans ce milieu-là partent aux States ou en Europe de l’Est, des coins où le cul est moins stigmatisant. En France il y a plein de tabous, que ce soit au niveau de la drogue, du cul…

JB : C’est aussi une question de thunes. Les actrices ne peuvent pas se faire du blé comme elles voudraient ici. Tu vends quand même ton corps et à la fin du mois, quand tu vois ce que tu touches par rapport aux Etats-Unis, le choix est vite fait. 

Svart Crown backstage

Foursome sur casting couch

L’aspect financier, c’est évidemment le nerf de la guerre…
: En France, il y a ce côté vicelard : donner 200 boules à une meuf juste pour la sauter en balançant des mythos type « Oui mais y a Alexia Moore qui a accepté pour le même tarif de faire la scène », alors qu’en Europe de l’Est et aux Etats-Unis, c’est un marché cadré, il y a beaucoup plus de respect, on n’essaie pas de prendre la meuf pour la dernière des connes. Les Françaises sont moins dupes et préfèrent s’expatrier plutôt que de se faire avoir par une espèce de pseudo-réalisateur français. Elles ont raison de faire ça. Manuel Ferrara lui, en tant qu’acteur a vraiment  cartonné quand il est parti aux US.

Justement niveau acteurs …
JB : Pour les Français, Phil Holliday m’a toujours fait marrer. Quant à Ferrara, il est indéniablement « metal », brut de décoffrage, naturel… Il est bon dans ce qu’il fait, il a l’air passionné.

C : … Et en même temps super pro, respectueux. D’ailleurs ça se lit dans les commentaires des filles, quand elles ont tourné avec lui. Il assure, il est cool, c’est hyper important.

Vous évoquez le côté « vicelard » d’un certain porno français, vous pouvez développer ?
C : Je pense au coup du bukkake en banlieue… C’est aussi pour ça qu’on n’est pas forcément bien vus par les autres scènes ; il n’y a rien de porno dans ce genre de trucs, ça fait limite snuff sans l’aspect légende urbaine. Là on est juste dans le crade, c’est sans intérêt, tant au niveau du concept que de la production — ce n’est pas du porno, c’est de la vicelardise, de la grivoiserie. Je trouve ça malheureux et je comprends pourquoi les filles se barrent vite et préfèrent faire des carrières ailleurs.

JB : Les actrices françaises ne durent pas très longtemps, finalement. Il y a parfois des actrices très belles, comme Jade Laroche, elle avait un truc, tu sentais qu’elle aimait ce qu’elle faisait, et pourtant elle n’a vraiment pas duré longtemps…

Vous achetez du porno ?
C : Non,  parce qu’on n’a pas de thunes à injecter autre part que dans notre musique. En plus c’est gratuit maintenant ; il y a des gens qui ont une âme de collectionneur, le mec qui aime bien avoir sa petite collection. Moi je préfère m’acheter des médiators, des cordes, faut aussi que je change de câbles, acheter un DVD ou de la weed ou autre chose, mais je vais pas acheter un DVD porno. Je lis la presse sur Internet et je me renseigne.

Vous consommez donc via les tubes ?
C : Ouais, on a des bases de données : xHamster, XNXX… YouPorn ça m’a fait chier tout de suite. J’ai bien aimé fantasti.cc, c’est une communauté assez large, avec différents sites comme ça tu as le menu et après tu fais tes petites recherches en fonction. Tout le monde y trouve son compte, du vieux vicelard qui va se faire plaisir avec de la teen à d’autres qui vont aller plus loin. Chacun fait ses découvertes, moi j’ai une catégorie bien précise, qui est plus SM, plus POV, avec des actrices spécifiques… Je suis pas un grand connaisseur mais j’ai mes petites favorites et je m’en contente très bien.

Svart Crown Profane album

« Profane » (2013 – Listenable Records)

Et le fap en tournée ?
C : C’est difficile ! On est quatre barbus, on dort tous sur la béquille mon gars ! On a hâte de rentrer chez nous là ! Si t’es une rockstar et que tu tournes dans des hôtels 5 étoiles où chacun a sa piaule, là tu peux tirer. Par contre, quand tu te retrouves à six dans un cametar, où t’as pas de logement le soir, tu sais que c’est pas maintenant que tu vas te saigner. Ou alors dans un vieux chiotte moisi au fin fond de la Pologne, mais y a vraiment rien de fantastique, tu te dis juste « c’est bon j’ai un créneau, j’ai deux minutes, on y va » mais généralement tu préfères te la garder dans le caleçon. On est sans arrêt les uns sur les autres, jamais couchés avant tard le soir, le temps de ranger le matos, serrer des mains, boire des canons, t’es tout le temps entouré de monde.

JB : Faut être inventif, ou trouver des espaces où tu peux être un peu seul, tu sécurises l’accès… La douche reste un grand classique. C’est le seul endroit où tu as un peu d’intimité.

Vous avez tourné aux States, ça s’est passé comment ?
JB : C’était vraiment une expérience au sens large. C’était la première fois qu’on allait là-bas. C’est un autre monde par rapport à la musique et au metal. Il y a un tronc commun mais les standards ne sont pas les mêmes.

De quels standards tu parles ?
JB : Déjà, ils sont vachement plus death metal. Là-bas tu n’as pas vraiment de vrais bons groupes de black metal comme tu peux en avoir en Europe.

C : Eux-mêmes le disent. Le chanteur de Tombs, gros fan de black, nous disait que les groupes américains n’avaient pas cette flamme, cette culture de la musique black metal. J’avais adoré le concert qu’on avait fait avec Wolves in the Throne’s Room, il s’agit de mecs qui assument avoir tout pompé à Darkthrone et compagnie, mais ils le font bien, sans user des artefacts, c’est un des rares groupes de black metal ricain que j’écoute. Par contre en terme de death metal, c’est la soumission.

On assiste à l’émergence de nouveaux groupes US hybrides, à la croisée des chemins entre hardcore, drone et Black Metal, c’est très à la mode actuellement…
JB : C’est en allant aux US que j’ai découvert le terme « Hipster ». Je ne savais pas ce que c’était. Et puis on a joué à Williamsburg, Brooklyn… Que des mecs à la Skrillex, avec des vestes à patches, des grosses lunettes et des mocassins… Après on est allé au Maryland Deathfest, et là tu avais une espèce de mélange  crust, punk, crossover et black metal. Les mecs piochent dans plein de styles différents, j’aime bien, je suis dans cette démarche là.

C : On ne sait pas comment marche le business là-bas, ils ont peut-être aussi une autre manière de surfer sur les courants musicaux. En Europe, on est des fervents supporters de la scène underground, j’ai l’impression que chez eux le fait d’être underground est moins important.

JB : En Europe, faut vraiment durer pour être considéré, il faut que tu fasses deux-trois albums, que tu montres que tu sois là. C’est le temps qui te légitime. Aux US, ils vont vraiment regarder ce que tu proposes, si le bouche à oreille fonctionne, ils peuvent être tout de suite très impressionnés, et en parler. Tu as ce sentiment que les choses peuvent arriver là-bas, vraiment : tu rencontres les bonnes personnes, un bon label. Je pense que ça doit même être pareil pour le porn.

C : Après c’est un territoire qu’on a vachement envie de découvrir aussi. On a une soif de conquête du monde. On a fait quasiment toute l’Europe, une partie de l’Asie, on a vraiment bourlingué. Il y a plein d’autres destinations que l’on n’a pas encore exploré. Je pense à la Finlande, à la Russie, tous ces territoires décadents.

Svart Crown Logo

 

Photos © Tania R.

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