« Hot Girls Wanted : Turned On » – une nouvelle déception
La série documentaire Hot Girls Wanted : Turned On vient tout juste de débarquer sur Netflix. Elle fait suite au documentaire Hot Girls Wanted sorti en 2015, un film pour le moins biaisé sur l’univers du porno mainstream. Depuis plusieurs semaines, la série est promue sur les réseaux sociaux. Le premier épisode nous promet un point de vue féministe sur l’industrie, appuyé par la présence d’Erika Lust à l’écran. Autant vous dire que j’étais plus qu’impatiente de voir la série. J’ai passé la matinée à actualiser Netflix, jusqu’à enfin pouvoir lancer la lecture.
Depuis le temps qu’on nous en parle et qu’on nous tease, j’avais réservé mon vendredi afin d’avoir de le temps pour du binge watching en bonne et due forme : Hot Girls Wanted : Turned On nous promet une vision du porno positive et différente, avec une série de six nouveaux épisodes dont le premier « Les femmes au commandes » a été largement promu par Erika Lust puisqu’il lui est en effet consacré en grande partie.
Remettons les choses dans leur contexte, j’étais tout à fait sceptique à propos de cette nouvelle production de Rashida Jones, ayant toujours à l’esprit l’horrible Hot Girls Wanted sorti en 2015, qui montrait le monde du porno comme une entité unique et homogène (le mainstream évidemment) où les performeuses étaient jetables et interchangeables à l’envi. Pas de nuances, rien de positif, uniquement une sombre mise en scène de plusieurs jeunes femmes arrivées sans doute trop rapidement et naïvement dans l’industrie. Inutile de vous préciser qu’il avait été très mal reçu dans le monde des performers.
¡Ya está 'Hot Girls Wanted: Turned On' en @NetflixES!
Yo salgo en el primer ep. Hablé con @smoda sobre el doc 👇🏽https://t.co/gww8Krsghy— Erika Lust (@erikalust) April 21, 2017
Cependant, voyant l’incroyable promotion faite par Erika Lust du nouvel opus, j’étais vraiment ravie en tant que fan d’un porno plus indépendant et féministe, qu’on aborde enfin cet angle sur une plateforme aussi large que Netflix. Je voyais sa présence comme l’assurance d’un documentaire plus nuancé et plus réaliste que le précédent.
Pour être honnête, le premier épisode commence bien, on y parle de Suze Randall et Holly Randall, prêtresses du porn glamour des années 90, qui se désolent de n’avoir plus le budget pour produire de façon aussi perfectionniste depuis l’arrivée d’Internet. Puis direction l’Espagne où Erika présente son point de vue pertinent sur l’omniprésence du regard masculin dans le porno mainstream. On voit des extraits de ses films, notamment The Bitchhiker, une scène où les rôles masculin et féminin s’interchangent de façon très fluide et sensuelle. Jusque là, je suis ravie qu’on parle de femmes, qu’on montre du porno mainstream mais aussi des scènes indépendantes, féministes, des performers et des pratiques différentes. Je grince par contre des dents lorsqu’une performeuse qui tourne sa première scène se plaint de douleurs pendant le tournage et que la caméra reste, indiscrète, voyeuse, gênante, alors que l’équipe d’Erika se porte à son secours. On termine sur une citation inspirante qui appelle à plus de diversité dans le porno. Bien.
Les choses se corsent quand je clique sur la liste des épisodes pour savoir ce qui m’attend par la suite. « Love me Tinder », le second épisode parle d’un quarantenaire issu d’une télé-réalité américaine qui drague en série sur l’appli de rencontre. Ne voyant pas bien le rapport avec le porno, je passe à la suite. L’épisode 3 « Il faut contrôler son propre contenu » suit Bailey Rayne qui se présente comme une performeuse épanouie, indépendante et nous parle d’empowerment dès les premières secondes. Peine perdue, l’épisode va suivre l’arrivée de deux jeunes débutantes venues de loin pour lancer leur carrière que Bailey va coacher.
Rapidement les problèmes s’enchaînent : drogue, fête, exhib – une des nouvelles n’est pas assez solide pour affronter le milieu. Bailey juge, condamne, puis on passe à une scène où elle explique qu’elle boit pour que les heures de camming passent plus vite. Quand sa protégée est définitivement hors de contrôle, elle déclare ne pas pouvoir vivre ça au quotidien et l’abandonne, espérant qu’elle ne soit pas dans l’industrie trop longtemps, puis conclut froidement : « C’est terrible mais c’est le business. »
À ce stade, j’estime en avoir assez vu. Mais je poursuis avec l’épisode qui traite d’interracial, de pression sur les performers masculins et de prise de pilules, enchaînant les clichés sans vraiment poser les bonnes questions. Puis je passe une heure la tête entre les mains pendant « Passons en privé », où l’on voit le fan d’une camgirl faire des économies pour enfin la rencontrer en personne après 4 ans de relations tarifées virtuelles. Il la fait venir en avion à l’autre bout de la planète, espérant avoir ses faveurs et se heurte bien évidemment à un mur (l’intéressée n’ayant pas réalisé qu’il était amoureux).
Ici, les personnages sont choisis comme dans une télé-réalité pour coller à un cliché et satisfaire un public qui s’attend à voir des relations dysfonctionnelles, des larmes et du pathos. Je clique sur le dernier épisode « N’arrête pas de filmer » et là on me parle d’une jeune femme condamnée pour avoir diffusé le viol d’une amie en direct sur Periscope. Non merci.
De retour sur Twitter, je tombe sur des tweets qui me font bondir : des personnes se plaignent d’apparaître dans le documentaire sans avoir été prévenues.
Not surprised, but still disgusted to hear @iamrashidajones show @hotgirlswanted is using footage of sex workers without their consent.
— Ari Dee 🗝 (@TheAriDee) April 22, 2017
Après une rapide enquête, je découvre qu’en effet, les performers et camgirls n’ont pas tous été prévenus. Parker Marx qui apparaît dans le tout premier extrait « sexy » me confie qu’il n’était pas spécialement au courant qu’il serait sur Netflix. Selon lui, c’est une des choses à considérer quand on tourne pour quelqu’un d’autre : « Les images leur appartiennent et ils en font ce qu’ils veulent. » Soit. Mais les camgirls ? Sachant que beaucoup le font « en cachette », je peux comprendre qu’elles soient outrées. Le cas d’AutumnKayy, qui apparaît à l’image contre son gré est encore plus alarmant.
I'm really disappointed in @netflix for supporting the exploitation of non-consenting sex workers by airing @hotgirlswanted
— Alex Coal👔🐙 (@AlexxxCoal) April 22, 2017
Elle a été mise au courant de son apparition dans le documentaire par des amis et des followers. « Au début, j’étais là « Wow je suis sur Netflix, c’est plutôt cool !! » Mais ensuite j’ai regardé. » Elle et une amie camgirl, Effy, apparaissent dans l’épisode relatant l’affaire de viol sur Périscope : le montage s’affaire à montrer que les ados utilisent Périscope pour avoir des likes et regarder du contenu sexuel, en utilisant des extraits au hasard, dont ceux d’Autumn et Effy. « On voit clairement que nous sommes des travailleuses du sexe [sur ces images]. C’est ridicule ! La boîte de production ne nous a jamais contactées. Personne ne nous a demandé si c’était ok de nous mettre là-dedans. Ils ont mis notre sécurité en danger à 100%. Ils n’ont même pas flouté nos visages ! Et s’ils utilisent notre contenu pour faire du profit, pourquoi on ne nous a pas contactées et pourquoi est-ce qu’on n’a pas été payées ? ».
La production botte en touche et invoque le principe du « fair use » à des fins journalistiques. Même si légalement juste, moralement c’est plus que discutable : comment apparaître crédible dans sa volonté de dénoncer l’exploitation de travailleurs du sexe si on n’a pas de considération pour eux? Était-ce si compliqué de demander à une dizaine de personnes leur consentement ? Autumn et Effy ont décidé de prendre un avocat.
En lisant ce que la presse avait à dire sur le sujet, je trouve cette phrase de Rashida Jones : « C’était l’impératif pour « Les femmes aux commandes », l’épisode sur le féminisme dans le porno que j’ai réalisé. Nous voulions montrer que là où il y avait de l’ombre, il y avait aussi de la lumière. » Malheureusement, c’est encore bel et bien sur l‘ombre que s’est focalisée la quasi-totalité de la série.
<>
J’ai du mal à saisir, comment faire quelque chose en cachette dès lors que c’est public ?
Tout simplement parce que ce n’est pas parce que c’est public que leurs familles ou leurs proches sont au courant.
Le fait qu’une femme se dévoile sur un site de camgirl ne veut pas dire qu’elle a envie que cela se sache partout. Il y a une grosse différence dans le type et la quantité de public entre un site de cam et netflix.
J ai commence hier et après 2 episodes je partage votre avis.
Je trouvais deja que c était le cas sur « Hot Girl Wanted/2015 » mais c était discutable. LA par contre c est du pure voyeurism et puis tellement faux des fois…on est retourne dans le loft a regarder les memes conneries.
Merci pour cet article, j’étais également perplexe quant à la diabolisation du milieu dans cette série, aucune nuance que de la critique et la volonté de faire peur aux gens sans réellement informer et sensibiliser. Alors qu’ils utilisent l’argument journalistique pour justifier l’utilisation des images est tout à fait scandaleux !