Porno Masala

J’ai toujours voulu être un gangster, une globe-trotteuse, une icône du porn et une héroïne de roman. Et pensé que les quatre jobs étaient compatibles. J’ai toujours voulu gueuler « Ciao Paris ! » avec un sac à dos rempli de futilités. Me la jouer Kerouac enivrée et invincible. Bouger mon petit cul d’Occidentale en Inde. Mumbai. Pondichéry. Saluer le monde, le braquer, l’embrasser. Et raconter mes aventures à la troisième personne, planquée derrière un prénom mignon mi-moche : Louison.

LES AVENTURES DE…

Louison se délassait là, au cœur d’un décor rouge et or. Son doux corps nu étendu sur un lit en santal peint. D’autres corps de femmes enlacés près du sien. Encens incendié. Seins et saris. Elle avait déjà gueulé depuis longtemps « Ciao Paris ! » ; et elle savait désormais le traduire en Tamoul. Elle ignorait cependant la raison de sa présence dans cette bâtisse luxuriante. La peur l’avait réveillée ; la curiosité l’empêchait de s’enfuir. La veille au soir, elle dansait avec un officier français qui lui offrait de jolies promesses, dont celle de la raccompagner à son hôtel. Comment la nuit avait pu la conduire ailleurs ? Soudain, un inconnu au regard sombre et vaniteux pénétra dans la chambre avec une langueur insensée. Elle n’osa pas bouger. Il effleura les peaux du bout de ses doigts bruns ; exceptée celle de Louison. Il s’installa dans un fauteuil au tissu pourpre et satiné. Un domestique arrivé de nulle part lui tendit un sitar. Il se mit à jouer The Smile of Beauty de Ravi Shankar… Alors, elle, au bord de la fébrilité, étrangement légère, s’approcha des Indiennes étourdies. Puis, excitée par l’air approbateur du musicien, elle leur…

CUT

Atmosphère flottante, ringardise assumée, bande originale sirupeuse. Les films bollywoodiens, c’est mon dada. Le hic : ils ont la fâcheuse tendance de se terminer juste avant que les choses ne se corsent. Je les ai attendues les violentes étreintes entre Shahrukh Khan et Aishwarya Rai dans Devdas. Je les ai attendues… Mais ces histoires populaires et traditionnelles ne raffolent pas des allusions sexuelles. Dans leur équation, « climax » égal « caresse accidentelle » ou au mieux « flirt timide ». Pureté, mariage, famille, religion… Tu la sens, la frustration ? À titre informatif, l’extrait suivant tiré de Beta (que Jizzkov m’a dégotté… et qui trahit son âme de midinette), où se pavane Madhuri Dixit, trouve sa place dans le top dix des scènes les plus suggestives du genre.

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On n’est pas rendus ! N’empêche que cette industrie cinématographique se la donne en termes de productivité ; si ça t’intéresse et que tu aimes la lecture au coin du feu, le livre de Frédéric Martel, Mainstream, en parle bien (cf. chapitre 10). Bref, le nombre de spectateurs d’œuvres bollywoodiennes à l’échelle nationale et internationale ne connaît pas la récession. Remplace « bollywoodiennes » par « pornographiques », ça marche aussi.

Slumdog millionaire

Question : que se passe-t-il quand les deux cinémas les plus consommés et contradictoires au monde se rencontrent ? Réponse A : les tags #BollywoodPorn, #Indian et #Desi s’exhibent sur Youporn & co. Réponse B : des thumbnails comme bollywoodhardcore.net et des sites dignes des Craypion d’Or (mes préférés : currycreampie.com et bollywood-nudes.com) en font leur concept. Réponse C : les autorités interdisent. Réponse D : je t’invite à lire la suite du papier.

Mise en abyme… ou presque.

Le Taj Mahal du porn ?

Partisan du lol, curieux, baroudeur : le porno bollywoodien est ton ami. Il fait joujou avec les codes prudes et kitschs d’un art atypique et d’un pays paradoxal, dépoussiérant le bon vieux Kâmasûtra et ne gardant de culturel que la tenue multicolore, le bindi, la touche cucul et l’absence de baiser. Grosso modo, il se décline en deux catégories, les productions amat et underground made in India, appelées Blue Films, et celles tournées en Occident avec des acteurs et actrices d’origine indienne (largement diffusées ici, via le marché vidéo et les Internets). Celles-là utilisent le tabou, la spiritualité et l’exotisme comme marque de fabrique. La plupart sont d’ailleurs estampillées « Banned » et « Forbidden ». Et la sauce tandoori semble prendre. Entre la danse sacrée érotico-cheap et la nuit de noce (avec Priya Rai) filmée en mode « C’est le cousin qui tient le caméscope », mon cœur balance. Dans l’un et l’autre, la musique typique, la lumière « sitcom » et la scénographie méticuleuse transpirent l’ironie. Un délice. Et si d’une manière générale l’humour te rebute, il te reste toujours la beauté douce de ces brunettes aux yeux charbonnés. Après, il ne faut pas se leurrer, le hard masala et ses paillettes ont leur pendant glauque ; de quoi faire pleurer dans les chaumières féministes et humanistes… Le Taj Mahal du porn, un éternel eldorado ?

Savita Bhabhi : JEANNE D’ARC AVEC UN BONNET D

Tu l’auras pigé, en Inde, quelle que soit sa provenance, le classé X constitue un réseau souterrain, anarchique et controversé, reflet d’une société dont la mutation fulgurante se cogne aux coutumes ancestrales. Stocké dans les arrière-boutiques des épiciers à l’instar des DVD bollywoodiens de La Chapelle ; piraté et vendu par des geeks en rut ; ramené en scred de voyages à l’étranger… Impossible d’établir sa cartographie précise. « Pour tenter d’en savoir davantage sur les pratiques du public, il faudrait enquêter sur place pendant un certain temps, » m’ont conseillé des spécialistes de l’Inde. Merci messieurs, cependant, aujourd’hui, je n’ai pas la thune pour me payer cette petite virée. J’ai bien essayé de fouiner du côté du Passage Brady, brandissant mon « Louison : gangster, globe-trotteuse, icône du porn et héroïne de roman », mais on m’a prise pour une dingue insolente. Bon, j’ai malgré tout appris grâce à une interview du neuroscientifique Ogi Ogas by Forbes.com, que parmi les différents tags ethniques tapés dans PornHub, site de streaming à l’audience internationale, #indian était le plus convoité. Et que les Indiens seraient particulièrement friands de leurs congénères. L’étude reste vague, mais elle prouve que les mentalités changent, influencées par l’essor des nouveaux médias. La jeunesse ne supporte plus d’être cast[r]ée. En témoigne Kalyug, un long-métrage de Mohit Suri qui ose traiter du X, à travers la quête désespérée de Kunal dont la femme s’est suicidée à cause d’une sextape tournée et diffusée à leur insu. Ou encore la réaction virulente d’internautes face à la censure, il y a deux ans, de la première BD indienne virtuelle pour adultes, Savita Bhabhi, censure d’un gouvernement qui ne cautionnait pas le message véhiculé par l’héroïne infidèle et libertine. Cette Savita Bhabhi indocile qui, quand j’y pense, cumule les quatre jobs de mes rêves et ouvre les perspectives d’un porno masala moins fleur bleue… (À suivre.)

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