Entretien avec Simon François
Je crois que nous avons tous connu nos instants artistiques en période scolaire, à gribouiller des dessins de cul sur nos tables. Et ce, avec un outil pérave pour beaucoup, mais remarquable aux yeux de certains : le stylo à bille. Le dessinateur qu’on a rencontré s’appelle Simon François, 27 ans, il est originaire de Dijon et inconnu. Ce mec a décidé d’aller plus loin que nos griffonnages, en représentant des coïts, des nus, des comics mais aussi la faune de Madagascar. Sa série de scènes de baise au réalisme indéniable, nous a particulièrement marquée. On lui a posé quelques questions afin de faire le tri entre potentiel artistique et masochisme refoulé. Un artiste qui donne des sacrés coups de BIC quand il s’agit de faire dans la dentelle.
Comment en es-tu arrivé à dessiner au stylo à bille et pourquoi utiliser un BIC plutôt que d’autres instruments graphiques ?
En classe, j’ai commencé à faire des petits dessins sur le coin de la table ou dans mes cahiers comme font la plupart des gens. Ensuite, ce qui m’a poussé à utiliser le stylo à bille en tant qu’outil artistique, c’était pendant mes cours d’anatomie de BT arts appliqués avec la représentation des fibres musculaires. Le BIC s’avère le plus simple. Sans vouloir faire de la pub, niveau fiabilité, c’est de la bonne came. Un trait régulier et en plus tu peux voir le restant de ton encre en direct. C’est pas beau ? Sérieusement, c’est l’outil le plus pratique, tu peux l’utiliser pour tout et je peux rendre tous les effets que je veux avec. J’arrive à exprimer toutes les nuances de gris. En revanche, son seul inconvénient est qu’il n’est pas adapté au grand format. Sinon tu en auras pour sept ans et le rendu ne sera pas forcément comme tu peux l’espérer.
Sur ton Tumblr, on voit que tu as une approche très forte avec le nu et l’anatomie. Pourrais-tu expliquer cette attirance du corps humain et de ses formes ?
Le nu c’est la chose la plus compliquée à réaliser. Si tu sais dessiner un corps humain, tu peux tout dessiner. C’est complexe et à la fois passionnant, tout comme l’anatomie. L’attirance est donc venue naturellement notamment par l’intérêt de connaitre le positionnement des muscles, leurs effets suite à un geste…Le côté challenge joue aussi pour beaucoup. Utiliser le stylo à bille et avoir un tel rendu représente un réel défi pour moi. Le premier étant de finir le dessin. Je sais comment m’y prendre mais je sais aussi que ça demandera un certain temps de travail en heures, parfois en jours. Il me faudra aussi suivre minutieusement tous les traits et ombres. Si tu veux, mon but, c’est sublimer le réel. Et sublimer le corps, c’est encore mieux.
Dans ta série de dessins pornographiques, tu passes du muscle à la fellation. Etait-ce la suite logique de cet attrait pour le corps et l’anatomie ?
Alors pour cette série, j’ai utilisé un porno dont je ne me souviens plus le titre. Je n’avais pas de modèle particulier, juste mon regard et ce film que je passais au fur et à mesure. Quand je voyais un passage qui m’intéressait visuellement parlant, je faisais pause. Dans le cul, ce qui est bien, c’est qu’on trouve des scènes avec une bonne composition. C’est aussi la raison pour laquelle ces dessins se suivent. D’ailleurs, la plupart des positions sexuelles que l’on voit sont adaptées au cadrage. Pause, je dessine, lecture, pause, je dessine etc.
On retrouve un réalisme particulièrement surprenant dans tes dessins, comment arrives-tu à un tel niveau de détail ?
La première chose, c’est l’observation. Savoir observer dans le sens d’être curieux. Je veux dire par là qu’il ne faut pas se limiter. Aller à l’encontre des détails, les comprendre, savoir comment le volume se fait, quelle matière, pourquoi il y a un effet craquelé…En gros, analyser l’objet. Par exemple, pour le projet sur Madagascar, j’observe attentivement leurs poils. Je regarde dans quel sens ils vont, notamment pour le tracé des ombres. Il faut s’imaginer le ressenti du volume de la fourrure. Les traits doivent respecter le sens de l’objet et sa nature. Après tu as des techniques pour faire des bons dégradés mais c’est davantage la pratique qui prime. Pour un tel rendu, il faut jouer sur les contrastes. Là où il y a du détail, il y a du gros contraste. Le reste se fait à l’aide d’un gris intermédiaire afin de laisser respirer le dessin. S’il y a trop de détails, le rendu sera trop chargé et on ne saura plus quoi regarder. C’est une lutte constante entre l’œil fainéant et la représentation de l’environnement. Je patiente, me concentre, j’analyse ce que je vois et je reproduis.
Quelle relation tu entretiens avec le porn notamment à travers ton art ?
Dans le passé, j’ai eu des sujets de cours qui m’ont amené à me diriger dans cette voie. Je me souviens d’un en particulier. On devait produire un dessin à partir de trois termes : hochet, bilboquet et culbuto. Le résultat, tu l’as devant tes yeux avec des fellations en couleurs. J’en ai deux autres sur le même thème que je suis en train de terminer. Le trip, tu l’auras compris, est d’associer des jouets d’enfants à la pornographie. Il faut avouer que « bilboquet », « hochet » et « culbuto » peuvent facilement s’employer pour le sexe. C’est un peu terre à terre mais je trouvais ça amusant de réaliser un détournement de ce genre. Je t’épargne la réaction du prof quand il a vu ma première maquette. C’était il y a quatre ans, pendant une formation à Paris et je me remets à bosser dessus. J’aimerai réaliser un triptyque.
Avant l’interview, tu m’as dit « vouloir vivre de dessins érotiques ou pornographiques » ?
Je n’ai pas vraiment eu le temps de développer ça. En lisant pas mal de comics, hentaï ou BD érotiques et pornos, je me suis rendu compte que je n’avais pas la compétence d’écrire un scénario. Je me vois plutôt en train d’adapter mes illustrations à l’histoire et aux scènes. Après je n’ai jamais vraiment eu l’occasion de me lancer dans cette voie, j’avais d’autres dessins en cours. Je suis davantage dans la reproduction que dans la création en elle-même.
Dans l’usage du stylo à bille, je retrouve un côté scolaire genre l’époque des dessins de bites, sur la table, au fond de la classe. Ce ne serait pas finalement un retour aux bancs d’école ?
A l’école, je dessinais davantage des comics que des bites, c’est de cette manière que j’ai connu le dessin. A cette époque je n’avais pas le niveau mais on peut dire que je m’acharnais pas mal sur les tables. Le porn, je ne l’ai pas découvert avec mon stylo mais pendant que je trafiquais des films de cul dans la cours de récré. Ce n’est pas un « retour », le nu me manquait et de là est né un besoin d’en dessiner. Comme je n’ai pas de modèle(s), les pornos représentent un support pratique et efficace. Le porn c’est l’art ultime…
L’art ultime ?
Le porn ne sera jamais au chômage. Il sera toujours là. Avec toutes les catégories et les tags qu’il y a maintenant, on peut dessiner tous les styles possibles, il y a le choix. D’ailleurs, je trouve personnellement que la bande dessinée offre une plus grande variété de fantasmes et autres fétichismes. Le dessin en lui-même, c’est le fantasme. Créer ce qu’on désire à partir de son imagination. En associant le porn au dessin, l’excitation devient plus grande. Tu as une image et t’arrives à l’extrapoler dans ta tête de sorte à ce qu’elle prenne forme. Le travail sur le fantasme est alors plus important qu’en vidéo où tu auras tout en pleine gueule, prêt à mâcher ce que tu vois. Dans l’illustration, tu dois apporter cette part d’imagination et c’est là ou le dessin érotique est plus puissant à mon goût qu’un gonzo. Ça apporte vraiment quelque chose.
En parlant tags, quel serait pour toi celui qui frise la perfection mis à part le dessin ?
C’est tellement varié et les envies sont si différentes. Je sais qu’il y a une nouvelle mode en ce moment : le #strap-on. Les rôles sont inversés, c’est la femme qui prend l’homme. Ça évolue pas mal dans ce sens-là, je trouve ça assez novateur. Sinon je ne pense pas avoir un tag «parfait », je suis assez libre, j’aime tout. Je prends plaisir à regarder tout ce qui passe parce que je suis toujours dans cette phase d’observation et d’apprentissage dont je te parlais tout à l’heure.
Tu as déjà exposé ?
Mes dessins n’ont pas vraiment un format adapté à l’exposition. Ils vont davantage dans le courant de l’illustration. J’ai bien quelques idées que j’aimerai exploiter mais il me faut des moyens, des occasions et pas mal de temps. Il faudrait surtout que je trouve un modèle de nu en fait. Pour tout te dire, je recherche un modèle féminin. Ce serait l’évolution d’un autre projet liant l’anatomie au skate. J’avais fait des écorchés que j’ai appliqués sur des photographies de skateurs. Je voudrais donc reprendre le concept de réalisation mais avec un modèle qui prendrait plusieurs poses.
En plus de cette idée, as-tu des projets en cours ou à venir ?
Il y a ce projet sur Madagascar. Je travaille avec une amie photographe. Il y a pas mal de dessins de Lémuriens – espèce dominante dans le pays – mais on essaye de couvrir toute la faune. L’idée est de juxtaposer ses photos à mes dessins. On veut arriver à une complémentarité bien que nos techniques s’opposent. Je suis à l’inverse du photographe. Je crée de l’ombre pour faire apparaître la lumière alors que ma collègue, elle, cherche la lumière dans son objectif afin d’obtenir un jeu d’ombre sur la pellicule. Le projet aboutirait sur un support de type livre. On a contacté quelques éditeurs. A suivre…
Sinon, je voudrais réattaquer mes Batman et d’autres dessins non achevés. Pourquoi pas des nouvelles séries pornographiques, si d’ici là j’ai des propositions.
Tu as déjà vendu tes dessins à des potes ou à des particuliers ?
Je reste assez prudent. Dessiner au stylo à bille prend énormément de temps et demande une concentration de malade. Du coup, quand les mecs me tendent un billet de vingt balles pour m’acheter un dessin, j’ai tendance à faire la gueule. Mon art c’est du temps. On pourrait le rapprocher de la masturbation : une répétition de tracés, mêlée à la précision et au contrôle. Sans oublier l’angle du stylo à bille qu’il faut constamment régler.
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