Hand Over Mouth : Pas sur la bouche…

L’un des éléments fondamentaux du porno pour griller le palpitant est l’orgasme. La libération d’un cri, un émoi vocal parfois tremblant, timide, grandiloquent ou magnifique. Surjoué ou authentique, il excite les oreilles et le reste, contribue à l’efficacité du spectacle sexuel. Le corps est électrifié et se dresse, tandis que retentit ce râle, censé se superposer sur celui du taggeur. Une union à l’unisson. Or, réécriture atypique, le tag Hand Over Mouth est l’extinction de ce cri.

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La voix doit être camouflée. A la façon d’une masturbation assénée avec dextérité, où l’éjaculation est retardée au maximum, c’est ici le cri qui se voit étouffé, sans issue de secours. L’imaginaire de la dominatrix est bien là, cela va sans dire. Les mains sur lesquelles la bouche se bloque sont gantées de cuir. Le rire triomphateur de la dominante répond aux protestations de la dominée. Quelques tapes affectives font le reste. Attachée, objet des désirs d’une maîtresse se plaisant à contempler son désespoir, la brebis égarée aime pourtant à sentir sa respiration diminuer sous les mains impériales. Plus qu’une fantaisie anecdotique, le hand over mouth   est une réappropriation du langage du corps. D’habitude, c’est l’orgasme, le bruit, qui régule les gestes. Qui dirige les caresses. Qui fait du partenaire un explorateur soumis, qu’il le veuille ou non, aux réactions de son doux ou de sa douce, réactions exprimées par la voix. Ici, la soumission s’inverse. Pas de silence, mais une parole qui veut se faire entendre et ne le peut, un plaisir noyé sous le cuir, la conjugaison du malaise physique et du plaisir mental.

REMBOURSER AU FRÈRE

Comme si l’orgasme SM ultime, c’était cela : tourner de l’oeil au lieu de bêtement grimacer, atteindre le nirvana en quêtant un dernier souffle. Au fond, tout plaisir sexuel aboutit à la chute SM : la sensation de libération. Se libérer des liens, des contraintes et respirer à nouveau. Ce message métaphorique prend, avec le hand over mouth, toute sa dimension physique. En bonne expérience fétichiste, ce divertissement peut même s’accompagner de pieds nus et taquins, caressant savamment le visage de la demoiselle. Du femdom porn de qualité.

En somme, et c’est certainement un joli paradoxe, ce qui rend la scène si fantasmagorique est justement l’expression sonore proposée. L’imaginaire de la jouissance est parcouru d’assourdissantes réactions, outrées, outrancières, grotesques. Ce qui redonne à ce son toute sa vérité c’est de le voir essayer se frayer un chemin pour se faire entendre, sans succès, totalement maîtrisé. Comme un organisme qui souhaiterait fuir un étalon conquérant à l’avenant. Le râle, en devenant rare voire impossible, regagne alors toute sa valeur. Et toute l’émotion naît ensuite du regard, seule possibilité physique de réagir à l’expérience, seule action non obstruée. Regard espérant un lâcher-prise, implorant, regard humide et halluciné. Regard ému. Comme si le lâcher-prise devait avant tout venir de la dominée. Celle-ci se doit de constater ses limites, de tenir jusqu’au bout et d’accepter cet aller jusqu’à la frontière de l’emprise sexuelle. Main dans la main, et main sur la bouche.

Pourtant, ne le cachons-pas, le malaise joue son rôle, pour nous, spectateurs. Ce fétiche-porno puise son ambigüité du cinéma horrifique : ensemble de formes mises à mal, archétypes déterminés d’avance, équilibre complexe entre libération morale et répression physique et psychologique. Comme l’horrifique, cette pratique joue sur la durée, étend la longueur jusqu’au non-soutenable, jusqu’à l’absurde, au gimmick. Elle exploite l’interminable comme fatalité narrative, à l’instar du suspens d’un thriller qui n’aurait aucune finalité. Les deux arts usent de l’effet de répétition : un même acte volontiers mortifère est abondamment réitéré. Au centre de tout cela, l’image-reine du slasher movie ou du giallo : le cri d’un petit chaperon rouge perverti par le grand méchant croquemitaine, un cri qui ne doit pas éclore. Demeure alors, entre horreur et porno, au-delà de l’emboitement de deux corps (le couteau y remplace souvent le sexe), cette constante sociologique, entre dominante et dominée. On peut percevoir ces vidéos comme de simples divertissements… et simultanément comme autant de fantasmes régressifs, imposant une hiérarchisation sociale basée sur les rapports de force : le conditionnement relationnel comme matrice de la relation sexuelle.

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Persiste constamment, au sein de l’imaginaire sadomasochiste, ce doute quant à ce à quoi nous assistons. Une transgression des tabous, comme l’est dans ses extrémités la nécrophilie, ou un rabaissement par le supplice ? En joignant le pouvoir au plaisir, le SM se fait rituel outrageux. Il théâtralise non seulement cette sempiternelle union entre victime et bourreau, mais aussi ce besoin de châtiment que tout un chacun peut ressentir au quotidien. Quel est le regard le plus déterminant ? Celui de la dominatrice ? De l’humiliée ? Ou bien le nôtre, complice, sadique et voyeuriste ? Aucune notion de jugement moral, le masochisme naissant d’un consentement et, plus important encore, non pas de la prodigation de la souffrance mais de la jouissance que provoque cette douleur. Seulement, doit subsister une interrogation inhérentes aux vélléités de cette fantaisie à la fois intime et spectaculaire. Durant ce temps scénique étendu, nous conservons cette position de spectateur passif/actif, entre la fascination et la répulsion. Notre vision se doit de rester critique, affûtée, face à la force des images.

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Flagellation et cumshots se définissent et s’accomplissent suivant une même finalité : la souillure. Une pauvre petite donzelle qui se doit d’être corrigée, maintenue à l’ordre, entre catharsis et autoritarisme. Cette souillure maso est évidemment une mise en scène, imageant la purgation des passions et perpétuant l’iconographie des spicy pulps et de leurs femmes apeurées. Les spicy pulps, c’est cette dérivation gore d’une littérature grand-guignolesque et bas de gamme qui fait fureur durant les années cinquante, récits de gare sensationnels où, face aux couvertures, l’on ne sait jamais ce qu’exprime la femme : se sent-elle en enfer… ou au nirvana ? Le hurlement se confond avec l’orgasme. Eros et Thanatos forniquent et l’image n’en a pas finit de dévoiler tous ses mystères.

A l’intérieur de cette chambre des tortures moderne, nous sommes tous des acteurs inconscients. Tandis que ces vignettes expressives se lèchent mutuellement dans notre caboche, nous repensons aux forêts des contes de fées. On y brutalise, on y a peur, on y dévore, on y jouit, aussi. Cette forêt, devenue antre du SM, est toujours aussi obsédante, et il ne tient qu’à nous de l’arpenter et de la défricher… pour mieux la déchiffrer.

Indispensables séances nocturnes, où, en testant nos limites, et en essayant de comprendre l’autre, on apprend finalement à mieux se connaître soi-même.

“L’adulte a besoin de pornographie comme l’enfant de contes de fées” (Henri Poincaré)

 Image en une tirée du site femdom HomSmother

 

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