Les nouvelles du food porn
La semaine fut belle pour le #foodporn. Plus qu’un hashtag, un mode de vie. Limite de quoi faire une cumpilation (cookpilation ?). Mais le monde n’est pas encore prêt pour l’avalanche de bouffe. Reste à attendre l’Apocalypse couverts en main, ou mater Too Many Cooks jusqu’à en crever.
Fin de semaine dernière, peu avant la finale de finale de finale de Top Chef, focus sur Reddit, fabuleux nid à converses pour amateurs d’artistes en tout genre, de la star absolue et vénérée au discret responsable des effets spéciaux d’une flopée de films cultes en passant par le has-been mythique. La vie, en somme, n’est qu’un topic sur Reddit. Du coup, quelle bonne surprise de découvrir qu’un mecton de Stratford-upon-Avon, Gordon Ramsay, venait juste de griffonner quelques réponses sur ce fabuleux espace de conversation.
Quand j’entends le nom de Gordon Ramsay j’ai l’impression d’être en relation cam’to’cam avec l’idéal culinaire. Ramsay, qui a –entre autres – bossé sous l’égide de cuistots aussi prestigieux que nos bons vieux Joel Robuchon et Guy Savoy, est l’icône de la cuisine outre-atlantique, présentateur de pas moins de quatre émissions différentes et propriétaire d’une trentaine de restos. Même World of Warcraft lui a rendu hommage. Bref, occasion a été laissée à l’as des punchlines d’avouer son amour pour le fast food, son envie de becter “un coeur vivant de cobra au Cambodge ou une tarentule frite”, sa passion pour le marathon (les vrais savent parait-il) ainsi que son fantasme caché : “j’ai mangé beaucoup de merde”.
Rappelons qu’entre quelques furieuses prises de tête du côté des cuisines de l’enfer, Gordon a le temps de dévoiler l’étendue de ses talents sur sa chaîne youtube, en te montrant, par exemple, comment faire les meilleurs pancakes au monde. Jamie Oliver est mignon mais il lasse vite, comme un bol de porridge le dimanche matin. Pas Gordon. Ramsay II est un croisement entre le plus bel étalon-apollon d’un gay porn de qualité et fuckin’ Sasha Grey, partageant avec la demoiselle son art du dirty talk. Bourrin dépassant parfois l’ex-boxeur Philou Etchebest en terme de violence verbale, le chef 14-étoiles est quand même plus charismatique qu’un Cyril Lignac. Surtout que pour Gordon, il n’y a pas un mais deux F word. On vous laisse deviner lesquels.
Le lendemain, voilà-t-y pas que René Redzepi squatte Reddit, faisant suite à son collègue aux cheveux laqués qui, dit-il, a becté dans son resto “et a détesté ça”. Le resto en question est le Noma, immortalisé meilleur resto au monde en 2012 par la revue gastronomique Restaurant. Cadre sympathique si l’on oublie le fait, assez spectaculaire, qu’un bon nombre de clients y ont gerbé leurs tripes courant février 2013 suite à une intoxication alimentaire. Du sadomasochisme gustatif de Ramsay au malaise post-dîner du pauvre Redzepi (scène de reconstitution ici), on demeure assez proche du domaine de la scatophilie finalement, et de ce que les britons nomment le toilet humour. Véritable artiste conscient de son talent postmoderne, adepte de la cuisine moléculaire, René va jusqu’à proposer des insectes à sa table, et en particulier des fourmis. Bon, rassurez-vous, il est tout autant excité à l’idée de concocter des huîtres. Sa cuisine est très peu charcutière et vous aurez une légère idée ici de ses petites excentricités minimalistes.
Enfin, en parallèle d’une interview du chef Pierre Gagnaire chez Télérama, The Atlantic revient sur les effets complexes du #foodporn sur le cerveau, à travers un passionnant papier par lequel on apprend, par exemple, que l’appellation en elle-même date de 1984. Malgré l’esthétisation parfois très appuyée qui est inhérente à l’exercice et la délicate élaboration technique des mets, indéniable fétichisme, force est d’avouer que le foodporn titille en premier lieu nos instincts les plus primaires, les plus basiques. Difficile de ne pas se retrouver dans la peau du Loup de Tex Avery face à une armée de cheesecakes. La bave aux lèvres et la trique dure comme une brique.
Pourtant, la qualité sensorielle de ces images parfois trop belles pour être vraies est avant tout psychologique, puisque cette forme d’érotisme fonctionne primordialement, voire exclusivement, par la stimulation visuelle. Là où le bas blesse c’est que cette stimulation extrême, toujours ravivée, pourrait entrainer des envies démesurées de dévoration, même en phase de post-satisfaction bectale : le principe de plaisir l’emporterait sur l’univers.
Poussée à son maximum, l’excitation alimentée par ces si belles images serait à ce point forte qu’elle remplacerait la bouffe elle-même. Action ambivalente, la photographie de la nourriture serait à la fois source de déplaisir (contempler durant des minutes entières et partager non sans frustration, l’image d’un plat qu’on ne pourra jamais toucher du doigt) et de jouissance disproportionnée, voire l’orgueil: capturer la bouffe, geste social par excellence, c’est en faire le centre de son monde, un signe de supériorité et de légitimité. A moins qu’il ne s’agisse simplement d’un élan de générosité, celui de faire vivre à des centaines d’apprentis gourmets une réelle expérience sensitive et mentale ?
Le foodporn, simple hashtag, signe communautariste, pur fantasme, déviance organique, forme d’art ? On continue de se poser les bonnes questions, en s’aspergeant la bouche de fromage fondu.
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