Alexis Tivoli : « mon corps comme outil de pouvoir »

Alexis Tivoli est un performer français qui fait son chemin dans les productions gay depuis quelques années. Suite à ses deux interventions lors du SNAP ! festival en 2018 et 2019, nous avons eu envie de lui poser quelques questions pour en savoir plus sur lui, ses engagements, sa vision du porno gay et l’avenir de celui-ci.

J’ai apprécié le fait que tu évoques dans ta vidéo l’influence qu’a le porno sur ton quotidien. Dans quelle mesure cela a-t-il changé (ou non) ta perception de ta sexualité ?

Je pense que ça m’a permis de considérer mon corps comme un outil, avec tout ce que ça peut inclure : outil de travail, de plaisir, de pouvoir, de communication. Sur ma sexualité en elle-même, je balance entre 2 opposés : des pratiques extrêmes aux soirées câlins.

Alexis Tivoli SNap Festival

Tu es assez productif sur Instagram. C’est essentiel pour un performer et une performeuse aujourd’hui de l’être ? 

Je pense – comme l’a très bien illustré Liza del Sierra lors de son intervention à la table ronde du SNAP FESTIVAL – que les réseaux sociaux nous permettent de communiquer avec notre fanbase et d’avoir la main sur notre image, ce qui n’était pas forcément le cas avant.

Pour résumer ma pensée :

– Twitter : porno et politique. Public anglophone

– Instagram : jolies photos 🙂

– YouTube : Interviews et pédagogie !

Tu ne reçois pas trop de DMs chelous sur Instagram ?

Sur 100 messages que je reçois, 60 sont pour me dire que je fais de belles vidéos et photos, que les gens aiment ce que je publie, 24 pour me poser des questions, 14 pour vouloir apprendre à me connaitre, 1 pour me proposer un projet, 1 pour me traiter de pute 🙂

Je crois qu’à travailleur du sexe ou « acteur porno », tu préfères encore le terme de « performer ». Pour quelle raison ? Que signifie-t-il à tes yeux ? 

C’est un terme valise, ça rejoint ma vision très américaine de la chose : aujourd’hui je fais surtout du porno, demain ça pourrait être de la chanson, des vêtements… J’ai un nom, une marque, et j’en fais ce que je veux.

En tant que performer, justement, tu as également pu faire du BDSM pour divers studios. Est-ce une pratique que tu apprécies en tant qu’acteur ?  

Oui, et j’adorerais en refaire. J’aime bien les défis et tenter de nouvelles choses, et le BDSM touche bien sûr au corporel, mais c’est avant tout psychologique, et c’est fou où ça peut emmener l’esprit, le performer, les partenaires… et puis visuellement c’est aussi plus impactant qu’un 4 pattes classique.

Très peu de studios de porno gay en Californie restent fidèles au port du préservatif durant le tournage des scènes. Quel regard portes-tu sur ce sujet ? 

Je suis libéral sur plus d’un aspect de ma vie et de mes opinions, j’aime l’idée qu’il existe un porno pour chacun et que chacun ait son porno. Je pense que le vrai sujet, c’est l’accès du porno aux jeunes et le message préventif à délivrer en parallèle. Les pseudos tabous de société empêchent d’aborder de vrais sujets qui se présentent à tout le monde un jour ou un autre. Je suis actuellement en couple avec un garçon fantastique, sous PREP, avec qui nous avons fait le choix d’être libres. Nous sommes loin d’être inconscients, nous sommes renseignés, suivis, vigilants et en accord avec notre sexualité et notre santé.

Pourquoi cette récurrence du « bareback » dans le porno gay selon toi ? 

Je pense que le porno illustre la sexualité des gens en général, parfois elle en est précurseuse, parfois elle le suit. Je ne pense pas qu’il faille s’alarmer mais organiser des lieux – physiques ou virtuels – d’information et de partage des infos liées à la santé sexuelle.

Certaines de ces figures militantes historiques – ou actuelles – t’inspirent-elles ? 

Je suis très inspiré par Harvey Milk, RuPaul, et par les combats anonymes. Harvey Milk était libéral, blanc, juif, militant, il rassemblait tellement d’étiquettes, de combats et d’aspérités différents que son personnage n’en est que plus captivant. Je suis également un grand fan de RuPaul : à la fois businessman accompli, répertoire de la pop culture gay américaine de ces 100 dernières années et figure de proue d’une nouvelle génération, qui ose !

De par ton physique, on a vite fait de t’associer au personnage de jeune éphèbe typique du porno gay. Tu n’as pas peur de t’enfermer dans cet archétype ? 

Ahah, malheureusement je vieillis. J’aime à penser que je vais vieillir sereinement mais je n’y crois pas trop. Je mise encore beaucoup sur ce physique mais je sais que je vais devoir aller à la salle, moins fumer, moins boire, et arrêter de bosser 16 heures par jour à un moment 🙂

Tu crois qu’il y a des clichés du porno gay qu’il faudrait renverser en particulier ?  

Je pense que le porno, notamment à cause de sa consommation immédiate aujourd’hui, ne s’autorise plus à construire des personnages et des situations, il répond à l’envie immédiate du client : twink, fist, dildo, gangbang… L’aspect masturbatoire est satisfait, mais l’érotisme et la construction de l’inconscient sensuel passés à la trappe.

Le porno gay est-il en général trop pénétré par le regard hétéronormé, au niveau des fantasmes, des représentations ? (de « bromance » ou de bisexualité par exemple). N’est-ce pas le cas lorsqu’il s’agit de « gay for pay« , des acteurs hétéros qui tournent du porno gay ? 

Le souci du porno lesbien c’est qu’il est fait par des hétéros, pour des hétéros. Le porno gay a ses travers, mais il est souvent tourné pour et par des gays. Je comprends totalement l’aspect gay for pay, mais je trouve que pour l’œil averti, peu arrivent vraiment à tromper leur monde.

Le porno gay peine-t-il à se renouveler, en France par exemple ?  

Je pense que malheureusement on est un peu tous à court d’idées ! En terme de quantité, les USA produisent plus, et ont davantage de productions, donc de styles et on peut trouver du très bon et du moins bon. Si on veut regarder vers l’avenir du porno gay, je suggère de regarder vers Justforfans et Onlyfans, qui proposent des contenus amateurs assez vivants.

Crois-tu qu’en France l’on peine à se sortir des codes un peu bruts d’un porno genre Citébeur ?

Je pense que c’est une richesse, et sûrement aussi une facilité économique, mais je ne dirais pas qu’il est moins qualitatif qu’un porno « classique ».

Crois-tu que le porno gay ait plus de considération pour les personnages masculins? Ou est-on encore très loin d’avoir un Inconnu du Lac ou un Call Me By Your Name du X ? 

Il y a bien eu Les garçons du Lac de Stéphane Berry (sourire). Je pense qu’aujourd’hui des réalisateurs d’Optimale, ou bien Noel Alejandro proposent des choses à la fois scénarisées et excitantes.

Quels sont tes projets actuels, en terme de productions ? 

J’avoue qu’en ce moment je me consacre à mon poste d’assistant de direction en établissements de nuit, quand j’aurai davantage repris mes marques, ou si cette aventure se termine, je reprendrai davantage de temps pour le X. YouTube ne m’a pas ramené beaucoup plus de fans, mais les gens m’en parlent, et arrivent parfois avec de nouvelles questions (parfois !).

Avec qui aimerais-tu bosser ?

J’aime beaucoup Boomer Banks, ou Colby Keller. Comme studio je suis fan de Cockyboys, et de Noel Alejandro ! Je regarde beaucoup Ericvideos : c’est bareback, trash, c’est juste chiant quand c’est mes collègues ça me bloque ahah.

colby keller

Le performer américain Colby Keller

Que fais-tu quand tu ne fais pas de porno, pour te changer les idées ? 

Ahah je bosse vraiment beaucoup, mais je cuisine beaucoup, je lis un peu, je suis un grand fan de séries : une vraie ménagère !

Teen Vogue a récemment titré : « Sex work is real work ». Crois-tu que la prostitution tend à être davantage considérée ?

Je pense que les consciences évoluent, doucement, mais elles bougent.

 

Image en une menofmydreams.com
Propos recueillis par Clément Arbrun au printemps 2019

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