Leia, Jabba et le golden bikini, fantasme de notre enfance

À n’en pas douter, au gré de nos découvertes sensuelles de spectateur il y eut deux chocs cinéphiles et déjà pornophiles. L’un est contre-culturel, il s’agit de notre rencontre bis avec Ilsa, la Louve des SS. L’autre est pop-culturel : il s’agit de Leia, Esclave de Jabba. Suivant votre background, votre expérience intime et l’absence relative de vos parents, on ose avancer que vous avez très certainement découvert la deuxième demoiselle avant l’autre… Et pour pas mal de raisons, c’est elle et personne d’autre qui est parvenue à perdurer dans l’inconscient collectif, des infinies étoiles de la galaxie au canap’ familial recouvert de pop corn.

Entre pop et porn, Star Wars ou l’orgie culturelle 

Pour une tribu irréductible de fans, Le Retour du Jedi symbolise le début de la trahison de la part d’un George Lucas déjà mégalo. L’héroïque Han Solo n’y meurt pas, l’univers spatial y subit une infantilisation féroce, et une masse hystérique d’Ewoks poilus comme Ron Jeremy envahissent l’écran, bestioles égratignant quelque peu le vernis Joseph-Campbellien de la fresque stellaire. Que retenir alors de cet opus ? Une scène de quelques minutes tout au plus, en forme de dérèglement électrique brusquant notre palpitant : Leia, excitante au possible, asservie à Jabba The Hutt, la minceur de son bikini doré laissant subtilement entrevoir ses charmes. Attachée à une chaîne comme un vulgaire wookie galérien, Leia n’a plus rien de cette femme infantile qui se chamaillait avec Han Solo. Elle scrute le vide, nous scrutons le reste.

Vous le sentez, le bouleversement émotionnel ? Vous la sentez, la puberté avant l’heure, le Zob Awakening ?

A-t-on déjà vu des images aussi primaires du point du vue du fantasme pur ? Et est-on déjà passé en si peu de temps, dans le cadre du divertissement mainstream, du primaire au primitif ? La caverne platonienne n’est pas grand chose face à cette antre du cul poisseux. Rétrospectivement, cette scène a eu un impact socioculturel indéniable. Avec Star Wars, la majorité de la population mondiale n’a pas seulement découvert le space-opera – plus accessible que Dune – ou le génie des nerds – ceux dont on se foutait durant la même décennie dans les teen movies sont les mêmes qui ont bâtit ILM  – mais chaque gamin a pu arpenter, les yeux en forme de pleine lune, un territoire jusqu’alors inexploré. Lucas a beau condamner sa création à la régression à coups de peluches qui gigotent, son état d’esprit d’ex-étudiant subversif ayant pris de plein fouet la révolution sexuelle semble encore intact, ne serait-ce que par fulgurances. Car à travers cette scène du Retour du Jedi, il nous fait pénétrer en un seul plan dans le Donjon SM, le premier de notre vie.

Première érection, premier pas au sein de ce micromonde moite. Et imaginer le making of, c’est à dire le moulage de la poitrine de demoiselle Fisher – étape que nous rappelle Wired – ne fait qu’intensifier le fantasme. Sans oublier cette métaphore fameuse de l’actrice concernant le peu de matière du bikini en question, qui en fonction de la perspective masquait difficilement son intimé : “If you stood behind me, you could see straight to Florida!”. D’où le re-shoot de nombreuses scènes qui en montraient trop, faps secrets vénérés comme le Graal et balancés dans les limbes des rushes. De l’explicite dans Star Wars ? Et comment !

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Quand George Lucas rencontre David Hamilton

Au sein d’un film qui déjà à l’époque se rapproche de Disney, ce gros dégueulasse baveux de Jabba se veut l’avatar du mâle préhistorique, certainement lecteur fidèle de Rebelles en Chaleur et autres revue « Hoth ». Il s’accapare une figure royale bien propre sortie des fairy tales consensuelles et l’humilie sans vergogne, brutalisant cette frimousse blanchâtre en la renvoyant à la cruauté des vieux contes morbides des Grimm. Entre les images, on pense déjà aux clips les plus misogynes des rappeurs à la prose salée, aux douloureux pornos de Kink, aux séquences de baise les plus fetish à base de nerdy girls, aux conventions où le kitsch tordu est toujours synonyme de « cosplay en bikini ». Voilà ce que raconte in fine l’une des trilogies de notre enfance : l’intégration de la porn culture au sein de l’emblème « pur » de la pop culture.

C’est tout ? Loin de là.

Jabba Siffredi

En façonnant la culture geek, Star Wars fut le lieu de culte du geekus erectus, et par extension le symbole d’un certain mode de pensée que d’aucuns qualifieraient de problématique. Pour un bon panel de spectatrices, le bikini de Leia est l’argument en or – littéralement – permettant de démontrer le machisme du geek qui considère la princesse – la femme – comme un simple objet sexuel, un « produit de consommation sexy » tout juste digne à figurer dans Hustler. « Soon you will learn to appreciate me« , susurre un Jabba bien dégueulasse. Gros tas pervertissant une candide demoiselle aux allures de teenage, le goulmoute est un peu le pendant d’un Rocco qui de son dard turgescent s’en prendrait à la chétive Gina Gerson . On n’est pas loin du hardcore quand Fisher déclare que porter le costume revenait à découvrir « ce que les top-models porteraient certainement dans le septième cercle de l’Enfer de Dante« …sensations y comprises. Un chemin de Croix qui sert de parenthèse dans l’histoire de l’Elu.

Mais par-delà la blague se masque le malaise. Certains vont effectivement jusqu’à prétendre le pire : fière en gueule comme c’est pas permis (qui serait capable d’être dynamique après avoir vu sa planète exploser ?), le silence surprenant d’une Leia stoïque enchaînée serait le signe explicite d’un profond traumatisme…du à un abus sexuel. Passionnant de se dire qu’une poignée de plans eurent autant de portée, à la fois libidineuse et idéologique. Pour le gamin, appelons-le Jimmy, cette séquence a autant d’impact qu’un film de gladiateurs. Pour la gamine au contraire, nommons-la Jenny, de telles images réveillent en elle une soupçon de phobie intérieure, en relation directe avec la peur de son corps, la crainte de l’agressivité extérieure et de la pénétration par une entité étrangère, une appréhension du « dérangement » organique qui naît de cette évidence : même un blockbuster peut nous renvoyer aux sombres images d’exploitation sexuelle qui, instinctivement, causent dans l’esprit de la jeune fille ce conflit intérieur qui sent bon le trouble identitaire…

La petite fille a-t-elle encore envie de devenir la Princesse dans son haut château ? La relation de ce personnage aux gosses est tellement ambivalente qu’il faudra attendre dix ans (1997) pour qu’Hasbro enrichisse l’empire du jouet d’une figurine Slave Leila.

Leila Griffin

« Je n’ai pas été violée, OK ? ». Ou quand Lois « Leia » Griffin rétablit la vérité…

Et ce n’est pas l’omniprésence des photos-bikini durant les recherches Google neutres du style « Princess Leia » tout comme les incessants rappels par Carrie Fisher – sous la demande névrotique des fans ! – des conditions éprouvantes de tournage qui calmeront le jeu global du petit machisme illustré. Des posters salaces qu’on se file sous la veste au lycée à l’apogée de l’internet (la densité des forums), Leia semblait condamnée à être immortalisée non pas en tant que puissance royale, mais en tant que femme du harem, corps et âme offerte au Sultan Jabba… personnalisant par ses seules courbes l’iconographie volontiers perverse de l’Orientalisme. On est à deux doigts d’un stéréotype de film d’exploitation, d’autant plus qu’il s’agit bien là d’une femme exploitée. Et être une femme exploitée, tu sais c’est pas si facile. Ce que prouve cette fanfiction principalement adressée aux Jedi bendus les plus braves.

Mais accuser le Golden Bikini time de tous les maux reviendrait à fustiger Conan le Barbare en ignorant tout de Robert E. Howard. Analogie logique, car la conceptrice, Aggie Guerard Rodgers  qui suit le bon George depuis American Graffiti, n’avait qu’une référence en tête en concevant le design de l’un des plus célèbres costumes de la galaxie pop. Et ce nom ne cesse de traverser le chef d’oeuvre de John Milius : il s’agit bien évidemment de celui de Frank Frazetta, artiste graphique qui a marqué au fer rouge l’heroic fantasy, de ses demi-dieux virils aux naïades époumonées. Plus précisément, le costume de Slave Leila conçu avec l’équipe de ILM est un hommage ouvert à son Egyptian Queen. La concevoir avec les œillères de la modernité politiquement correcte, c’est ignorer cet héritage culturel dont le staff de LucasFilms se revendique.

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Kill Jabba

Une théorie semble pourtant particulièrement ludique. Star Wars nous permet quelque chose : croire en un nouvel espoir. C’est à dire à un nouveau point de vue. Carrie Fisher a déclaré que « SLAVE LEIA » est née de son intention : lassée des costumes unisexes dans cet univers trop aseptisé, elle a exigé une tenue qui puisse la valoriser en tant que femme. Par extension, là où les mecs ont eu de quoi s’enfuir des années dans les méandres de leurs rêves moites, le public féminin en découvrant Le Retour du Jedi a été sensibilisé à ce que l’on nommerait… l’imagerie radicale de la pensée féministe. Le schéma narratif de cette séquence, proche finalement du sous-genre cinématographique du rape and revenge dont Lisbeth Salander est l’une des dernières représentantes, consacre Leia en femme forte.

Représentation cathartique au possible de l’oppression du « sexe faible » (la damsell in distress à sauver du Mal(e) conquérant) Leia assure en quelques minutes un virage physique proche de la légende initiatique, qui se construit sur de la sueur et du sang. Leia ne se libère pas seulement de ses chaînes, symbole de son condtionnement social, mais s’en sert pour réduire à néant la grosse masse baveuse qui fait office de prédateur sexuel. Ce changement de paradigme est viscéral. Leia devient le bras de la vengeance, le corps sexy qui étrangle un patriarcat morbide lui imposant une identité qu’elle réfute. Elle n’est plus une esclave mais devient le maîtresse du Donjon : la dominante. C’est d’ailleurs ce qu’affirme Carrie Fisher elle-même quand elle rappelle que les chaînes, loin de la réduire à l’état d’animal fidèle, sont particulièrement appropriées à la strangulation, acte d’héroïsme ô combien badass.

Pour torpiller l’argument de l’Orient macho, Lucas conçoit en Leia l’incarnation de Salomé, tentatrice sublime qui durant des siècles provoque les décapitations et renvoie la prude Eve à ses cours de broderie.

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La Danse de Salomé, entre femme-objet et dominatrice meurtrière

De Princesse Blanche, voici Leia sacralisée en Veuve Noire… La célébration des pulsions continue mais est alors réappropriée par autant de Vénus qui en font un slogan générationnel, pulsions de mort certes, mais sous l’égide d’une vengeance si jubilatoire… Leia annonce les tabasseuses tarantinesques, les femmes de James Cameron, la gouaille de Michelle Rodriguez et autres supergirls. Quelques semaines seulement après l’avant-première du Retour de Jedi, des fans se vêtissent déjà des oripeaux de la vengeresse. Chacune se revendique comme une wonder woman. Quelques années plus tard, Sarah Connor reviendra, plus forte, plus dure, solide comme un roc.

Nous voici donc face à la Barbarella des années Reagan, produit de tous les désirs masculins mais surtout signe ambivalent d’une révolution (ou révolte) sexuelle, qui ne serait réellement efficace qu’en passant par une imagerie que ce genre de communauté sanctionne violemment. Car après tout, il faut combattre le Mal par le Mal, dit l’adage, et pénétrer le système pour mieux le parasiter ! C’est ce pour quoi milite la blogueuse Olivia Waite en affirmant : « Pour moi, porter le golden bikini ne signifie pas : Hey, je suis un jouet sexy consacré à ton amusent et ta gratification !… À mes yeux, ce golden bikini signifie : Si tu veux me baiser, je t’achèverai. »

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Pour en finir avec la Fapalogie 

Preuve des différents niveaux d’interprétation contenus en un même morceau d’entertainment premier degré, Leia en bikini, c’est aussi l’appui de cette obsessive sexualisante intégrant la filmo d’un artiste qui au gré de ses nombreuses productions, tout en les affirmant sans cesse, n’avoue pas totalement ses penchants érotiques. En témoigne d’emblée le délire du fan autour du couplage incestueux entre Luke et Leia. De même a-t-on pu concevoir le Labyrinth de Jim Henson comme une sorte de fable perverse couplant non sans malaise une toute jeune ado (Jennifer Connelly, la femme fatale de toute une décennie) et un tyran androgyne. Et qui ne se souvient pas de Howard the Duck, comédie comic-book illustrant avec subtilité la beauté de l’acte zoophile ?

Quant à l’esthétique éloquente des sabre-lasers, on rappellera que Mel Brooks, en proposant Spaceballs, appuyait volontiers leur dimension phallique. Et que dire alors des dialogues graveleux d’un Kevin Smith, qui, à travers son Clerks, livre un premier long métrage très intime consacrant autant de place aux bites qu’à l’imaginaire de George Lucas ? Et si la première influence de Lucas, lorsque celui ci imagine les aventures du « jeune Anakin Starkiller » en 1971, était le comic Flash  Gordon d’Alex Raymond…est-il utile de rappeler l’existence de Flesh Gordon, parodie XXX désopilante en pleine ère Linda Lovelace, et dresser vicieusement un pont bien dur entre les deux ? Du matériau à son détournement, Skywalker est toujours à deux doigts de s’appeler Skyfucker. Et ce n’est pas le pastiche d’Axel Braun qui arrangera les choses !

Depuis la certaine légitimé de la « culture populaire » auprès des cercles universitaires, on n’est jamais à l’abri d’une énième relecture psychanalytique de cette galerie de persos qui ont fait de nous ce que nous sommes (tout comme la scène qui nous obsède a élaboré celle d’un personnage…et d’une actrice ?). La sur-masturbation freudienne reviendrait à oublier que, en tant qu’essence-même de ce qui peut être défini comme un phénomène culturel, Star Wars est une romance érotique. Cet empire représente la globalisation du fétichisme. Jouets en tous genres, costumes bariolés, maquettes pimpantes et figurines chéries sont autant de constituants d’une fascination encore intacte qui tient de la relation amoureuse. D’ailleurs, ça ne t’étonnera pas, cher lecteur, si je te dis que le costume de « Slave Leila » a été vendu aux enchères pour la somme considérable de 96 000 dollars

On ne fait jamais le tour de Leia, du pachyderme Jabba, du golden bikini et de tout ce qu’implique un tel moment. Pour tous ceux qui ont grandit à l’époque VHS, Leia ne peut être que Carrie Fisher, les premiers arrêts sur image pour espérer atteindre le nirvana. Pour les enfants de la fièvre télévisuelle, Leia est Jennifer Aniston dans Friends, fière descendante de l’originale puisqu’à la fois objet du désir et emblème féministe (doyenne du free the nipple !).

Bref, n’oublions pas ce tag parfait qui bien avant le solide fessier d’Asa Akira ou les délires geek d’April O Neil ont marqué notre existence de spectateur obsédé par la porn-pop culture.

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