Quand les moralistes 2.0 flinguent les finances des travailleuses du sexe
L’inspiration journalistique se trouve parfois au coin de la braguette. Tenez, l’autre jour, j’étais à deux doigts de me toucher grâce au compte Twitter de Gabbie Carter quand soudain : « ça engendre quoi, niveau pertes économiques, la fermeture d’un compte sur un réseau social pour une travailleuse du sexe ? » Le temps de ranger la bête, et me voici devant vous à jouer les bouffons.
Le monde pourrait – et devrait – être simple. D’un côté, des êtres souhaitant jouir grâce aux actrices pornos, camgirls, escorts et autres travailleuses du sexe (TDS). De l’autre, des gentilles personnes prêtes à se plier en quatre – au sens littéral – pour satisfaire cette envie, moyennement finances. Simple. Basique. Mais une bande de margoulins a décidé de perturber ce bel équilibre en jouant les moralistes 2.0.
En France, « Brigade Anti-P*tes », « CM CPI » ou encore « St*paufindom » – pour ne citer que ceux-là – se sont fait une spécialité de traquer, et signaler, toute activité des TDS sur les réseaux sociaux. Outre Atlantique, c’est Omid qui terrorise la profession. Son Twitter affiche les comptes Instagram fermés suite à ses signalements, preuves à l’appui. Inauguré fin 2018, son tableau de chasse ne comportait pas moins de 300 victimes en mai 2019. Il est encore actif aujourd’hui. « Bad news for porn industry! », pour reprendre sa bio Twitter. Et comme si cela ne suffisait pas, ces tristes sires sont épaulés dans leur combat par les algorithmes et les arsenaux législatifs locaux, dont la loi Avia en France, et FOSTA-SESTA aux États-Unis.
« Baisse de 75% de mes revenus en ligne »
Cette croisade virtuelle a des conséquences très concrètes pour le portefeuille des TDS. Moins de visibilité égale moins de rentrées d’argent potentielles, c’est mathématique. Z’aimez les chiffres ? « Ma clientèle provient à 15% des réseaux sociaux », confie Cybèle, accompagnante sexuelle. Mia More, escort, constate amèrement une « baisse de 75% de [ses] revenus générés en ligne ». Jennah The Goddess s’exaspère de la ténacité de ses harceleurs : « les mecs passent des heures sur nos profils à chercher nos liens Pot commun et Paypal pour faire des captures d’écran et faire sauter nos comptes. » Même dégringolade économique de l’autre côté de l’Atlantique depuis l’application de FOSTA-SESTA, où certaines TDS sont passées de 4 000$ à 1500$ par mois. « Avant, je pouvais avoir 20 à 30 clients par jour si je voulais. Aujourd’hui, je peux rester trois mois sans en voir un seul », énumère Laura LeMoon, de Seattle. Triste chasse aux sorcières pour celles qui furent les pionnières en matière de communication numérique, à l’heure des numéros de téléphone rose et autres 3615 Ulla.
Alors pour continuer à bouffer, certaines migrent vers des réseaux sociaux plus confidentiels tels que Mastodon ou des plateformes payantes (OnlyFans, ManyVids, IndieBill, etc.). « Je fais payer l’ouverture du Twitter privé autant que le OnlyFans », explique Lysje, libertine exhibitionniste. « J’ai perdu 99% de mes followers mais c’est bien plus agréable. » Seule ombre au tableau, des commissions parfois exorbitantes concernant la vente de photos/vidéos de charme : de l’ordre de 15 à 40%. Sans oublier les taxes, selon le statut adopté par la TDS. « Disons 100 euros sur un site à 20%. Ça devient 80 euros envoyés par le site, avec parfois des frais de paiement en plus. Et sur ces 100 euros, je règle 24 euros à l’État pour prélèvements libératoires plus charges. […] Si on compte les frais de déplacements, les tournages, les caméras, etc., il ne me reste plus grand-chose », affirme May Morning, modèle érotique et escort sous le statut d’auto-entrepreneuse.
Financier, le préjudice est aussi moral. La création d’un compte sur un réseau social, la construction d’une communauté ainsi que son animation nécessite un investissement en temps de travail et en énergie difficilement quantifiable. Le signalement et le bannissement sont alors synonymes de rude épreuve pour les nerfs. « Je reviens avec un quatrième compte. C’est épuisant de devoir toujours recommencer à zéro », constate l’actrice porno Icy Diamond. « Le cyber-harcèlement ressort très clairement comme un problème majeur pour la nouvelle génération de travailleuses du sexe qui n’exercent plus dans la rue », glisse-t-on du côté du STRASS, syndicat du travail sexuel.
La rue, justement. Chassées du confort de leur appartement et isolées de leur communauté virtuelle, certaines TDS se retrouvent vite dos au mur sur le plan financier. Pour continuer à bouffer, pas le choix : changer de boulot ou (re)tapiner sur le trottoir. La suite de l’histoire est parfois fatale. Malgré l’existence d’initiatives, dont le système d’alerte et d’information Jasmine de Médecins du monde en France. Pour le seul mois de février 2020, deux TDS y ont laissé la vie. Elles s’appelaient Alaïs, battue à mort par son proxénète et Jessyca, renversée volontairement par un automobiliste dans le Bois-de-Boulogne. L’herbe n’est pas forcément plus verte chez nos voisins ‘ricains, où les cas d’agressions et de dépressions se multiplient. « Cette loi [SESTA-FOSTA] a entraîné la mort de nombreuses TDS. Elle n’a fait que fragiliser davantage les travailleuses déjà vulnérables », témoigne Jessica Starling, modèle de charme. Comme une préfiguration de la loi Avia.
Mia More – Escort depuis 5 ans
« Je suis tellement dépitée. Mon compte Twitter a été suspendu fin janvier de cette année : ni avertissement ni sommation, et encore moins d’explications au sujet des tweets problématiques.
En un peu plus d’un an, je « pesais » dans les 5 000 followers. Je m’étais donné beaucoup de mal à construire une fanbase et déconstruire l’image de l’escort. Les flux vers mon ManyVids ont dégringolé, je n’ai donc plus de revenus passifs. Avec la fermeture de ce premier compte Twitter, je dirai que j’ai perdu 75% de mes revenus générés en ligne. Heureusement, je préfère le réel et je continue à travailler. Les vidéos et cam’ sont des revenus complémentaires. J’ai aussi été victime d’e-whoring : un type a pris mon identité sur Twitter, pour y vendre des photos que je postais gratuitement sur mon compte. Il m’a envoyé une capture d’écran de son solde Paypal à plus de 1 000 euros. »
Jessica Starling – Modèle de charme – US
« Difficile pour moi de dire avec certitude si j’ai perdu de l’argent, et combien. Mais j’ai eu des comptes Snapchat et Twitter, donc de potentielles sources de revenus, qui ont sauté. Les trolls, combinés à SESTA-FOSTA, ont poussé certaines TDS à travailler dans la rue, ce qui est souvent plus dangereux que de travailler à l’intérieur. Nous marchons continuellement sur des œufs, ici aux USA, pour faire la promotion de nos entreprises/services tout en évitant d’être bannies. La meilleure solution serait évidemment de supprimer la loi SESTA-FOSTA mais aussi de dépénaliser le travail du sexe. »
Icy Diamond – Escort & actrice porno
« Je suis présente sur les réseaux sociaux pour mon travail depuis un an et demi environ. Deux comptes Twitter, un compte Instagram et un Snapchat ont été supprimés. Sur le plan économique, je n’ai pas de chiffres à donner, mais ce que je peux dire c’est que sans Twitter je ne peux pas faire de communication, promouvoir mes vidéos et contenus. Donc je ne vends rien. Depuis mon retour il y a quelques jours, j’ai eu quelques clients sur Onlyfans et ManyVids. Ces suppressions de compte, je ne peux m’en remettre économiquement, le travail sexuel est ma seule source de revenus qui est très médiocre. Déjà qu’en ayant accès aux réseaux sociaux, je n’ai absolument pas de quoi vivre décemment, alors imaginez sans… À notre époque, ce sont des outils importants. »
Jennah The Goddess – Dominatrice
« Personnellement, je n’ai pas eu de compte supprimé sur Twitter, mais plutôt un sur « Le pot commun » et deux ou trois sur Paypal. Les signalements proviennent d’anciens soumis frustrés qui ont envie de récupérer leur argent ou de se venger. Souvent les mêmes. Émotionnellement, c’est dur. Les gens pensent que c’est de l’argent facile alors que nous sommes en permanence menacées de violences, de dépôt de plaintes, etc. Ce qui revient en permanence, ce sont les menaces au fisc ou l’URSSAF. Sur le plan économique, je dirais que ce qui a fait basculer nos revenus à toutes [les dominas], c’est le signalement de nos cagnottes. Perso, j’ai tout clôturé, mais mes copines ont perdu de grosses sommes que des plateformes ont refusé de leur rendre. Je me rabats beaucoup sur OnlyFans, qui prend pas mal de frais, mais semble sécurisé pour les TDS et totalement légal. On a perdu énormément de clients pour qui c’était simple de payer vite fait par Le pot ou Paypal, et qui n’ont pas envie d’aller sur d’autres sites pour payer des frais exorbitants du style 30-40% en plus du prix d’achat. »
Amberly Rothfield – Vétérane du téléphone rose et consultante marketing pour modèles et compagnies de l’industrie US)
« Les sites que j’utilisais pour me promouvoir ont disparu du jour au lendemain, sans aucun avertissement. J’estime avoir perdu 30% de ma clientèle. Et j’ai aussi dû retravailler mon business plan du jour au lendemain… De plus, comme je ne peux pas donner mes pseudos Skype ou Discord sur certains sites, la frustration de mes clients va grandissante. Ça me brise le cœur quand certaines TDS voient leur compte supprimé alors qu’elles n’ont enfreint aucune règle. C’est les tuer économiquement, vraiment. Des solutions à SESTA-FOSTA et toutes autres lois du genre ? Avoir des profils sur OnlyFans, ou AVN Stars. C’est une assurance que le compte ne sera pas supprimé mais aussi qu’il permettra de monétiser le contenu. Et « l’email marketing » n’est pas mort, j’en sais quelque chose. »
D’ailleurs en parlant de Mastodon j’ai ouvert une instance sur laquelle j’ai créé un miroir du Bon Fap et du Tag Parfait pour continuer de recevoir votre actualité :
– https://mastodon.love/@letagparfait
– https://mastodon.love/@lebonfap
Si vous souhaitez prendre possession de ces comptes un jour, faites signe !
Bonjour je Dominatrice pro
Et je tenais à te témoigner premier compte Twitter frôler les 3500 abonnés
Je travaillais près de 50 heures par semaine pour arriver à ce résultat… bien entendu cela été rentable et gratifiant 1 an après mon premier compte a sauté depuis c est un par mois et encore …Twitter ne fait rien et ne prend pas en compte les appels ni même les services proposés par l’État pour le cyber harcèlement seul le strass m’a écouté et on mis en place des choses avec moi ça prendra du temps mais il faut ce battre
La ténacité la solidarité féminine m’a sauvé
A ce jour je suis à plus de 30 Twitter créer plusieurs cagnotte de paiement signalé plusieurs Rejet de prestataire bancaire une belle dépression
En prime à cause d’harcèlement et d’acharnement
je marchais tellement bien que çela a dû agacer certains soumis frustré rejeté
La perte de revenus est grande oui mais il existes des solutions alternatives je parle surtout de la perte d’énergie et un sentiment permanent d’insécurité De pas savoir si mes enfants manger le mois suivant . Epérons que les choses bougeront et que ces lois seront abolis merci pour cet article qui peut enfin exprimer ce que ressentent les femmes dans et ses déboires virtuel .