« Vivante » le nouveau long métrage d’Anoushka
Au cœur de Vivante, il y a un pari : celui de raconter différentes reconstructions de Lou, son héroïne, interprétée par Romy Furie. Fraîchement divorcée et désireuse d’aller de l’avant, elle trouve une colocataire en la personne de Charlotte (Bertoulle Beaurebec), rencontrée à son cours de danse, qui s’installe chez elle avant d’entrer plus intimement dans sa vie. La vie des deux femmes, faite de bonheur et de liberté, est soudain bouleversée par l’accident de Lou qui lui fait perdre sa mobilité. Celle-ci se referme, et c’est grâce aux compétences d’Emma, assistante sexuelle, que le couple parviendra à surmonter les épreuves et à retrouver plaisir et sérénité.
Vivante, c’est l’histoire d’une réappropriation de soi, d’une quête de plaisir, une reconstruction à travers le sexe, l’amour, l’amitié et la danse.
Sur le plan visuel, la réalisatrice Anoushka excelle dans l’art du détail : une veine de cou, le pli de l’aine, la marque du rouge à lèvres d’Emma sur la peau du pubis de Lou, le livre Le Regard féminin d’Iris Brey posé sur la table basse non loin d’un vinyl de Mylène Farmer (Libertine), un flamant rose gonflable, une taie d’oreiller framboise… Les couleurs fluo et une légère surexposition viennent compléter ce décor sexy en lui donnant un côté pop. Par sa façon de filmer les corps, Anoushka sublime les peaux et la complicité évidente de ses actrices, Romy Furie et Bertoulle Beaurebec. Et c’est un fou rire presque contagieux qui vient clôturer une scène de sexe magnifique entre cette dernière et Bishop Black.
Le sexe y est naturellement intégré à l’histoire. De longs moments de léchage de pieds et de sexe oral sont privilégiés à la pénétration pénienne. On lui préfère la pénétration digitale. Comme il n’est question que de plaisir et de connexion avec son propre corps, est intégré au récit un cours collectif de masturbation clitoridienne. Anoushka n’impose pas à ses actrices et acteurs un découpage des scènes explicites et cela se sent. Elle capte avec délicatesse des moments jouissifs et jouissants, une langue sur un sexe excité, un sourire de complicité et de plaisir, une fellation délicieuse qui se suffit à elle-même. Le militantisme se cache aussi ici : le sexe du plaisir n’est pas forcément celui de la pénétration à tout prix.
Malgré son sujet, Vivante est un vrai film feel good. Il a apposé sur mes lèvres de spectatrice un sourire qui est resté tout du long. Sourire complice, sourire d’envie ou encore sourire de joie de voir ces personnages trouver leur bonheur, que ce soit dans le couple, une bande de potes solide ou la passion pour la danse.
Le sujet de l’assistance sexuelle s’est imposé naturellement dans le travail d’Anoushka : « J’avais envie de parler de ce métier, qui est du travail du sexe, pour montrer à quel point son existence est importante ! La sexualité fait partie intégrante du bien-être et tout le monde a droit à avoir une sexualité qui contribue à une forme de plénitude. Vivante nous montre que le sexe est un lieu d’évasion dans lequel on crée, on tente, dans lequel on peut trouver du réconfort et la force de se réapproprier sa vie. Nos corps peuvent être de véritables accélérateurs sensoriels, le sexe est un moyen de s’exprimer et de se sentir vivant. Vivre, c’est le sujet du film… »
À l’origine du film, il y a l’envie de mettre en valeur le métier d’assistante sexuelle : « Je voulais montrer à quel point ce métier est beau et fort, à quel point il est essentiel dans une société où l’on ne considère pas les personnes en situation de handicap comme des personnes à part entière avec des envies, des désirs et une vie sexuelle. Et j’ai pu faire cela dans un porno donc c’est génial… »
L’assistante sexuelle, interprétée par Yumie Volupté, a un rôle qui se rapproche parfois de celui d’une psychologue. Dans le film, Emma prend des notes après les séances, parle de transfert et est en relation avec des associations. Elle propose aussi un accompagnement global, puisqu’elle soutient également Charlotte quand sa relation avec Lou est rendue difficile par le traumatisme et la colère de cette dernière.
La réalisatrice brille par son sens de l’engagement et une volonté de faire de ses films des vecteurs d’idées : « Je ne pourrais pas faire de films sans qu’il y ait un ou plusieurs messages forts. Dans Gloria, je parlais de la difficulté que certaines femmes rencontrent à atteindre l’orgasme. Dans Blow Away, on abordait le travail du sexe et la transidentité. Chacun de mes films est politique et militant ! Et je pense que ça n’enlève rien à la création du désir. D’ailleurs le public semble apprécier voir des choses différentes dans le porno. »
Vivante reste une fiction, mais pour son travail préparatoire (ainsi que dans certains choix de casting), Anoushka a fait le choix du réalisme : « J’ai fait pas mal de recherches sur le sujet, j’ai beaucoup lu et regardé des documentaires. J’ai eu la chance d’avoir les témoignages d’assistantes sexuelle, notamment celui de Cybèle Lespérance, mais aussi de personnes en situation de handicap comme Marie Léa Kinka (les deux femmes jouent également un rôle dans le film, NDLR). Ces témoignages m’ont beaucoup aidé à créer le récit et à apporter du réalisme à l’histoire. Je ne voulais pas être complètement déconnectée de la réalité. »
Anoushka confirme accorder beaucoup d’importance à son histoire et à ses personnages : « Dans la case adulte, il n’y a pas toujours un traitement de l’histoire intéressant. Dans mes films, la construction de l’histoire et celle de mes personnages sont des éléments que je développe beaucoup. Quand on rentre dans une histoire, on se laisse porter, séduire et charmer, et l’engagement politique ne peut qu’être un plus. Je ne pense pas qu’on dise à Ken Loach ou aux frères Dardenne que le fait de faire du cinéma engagé enlève au sexy de leurs films (rires). Je pense que les gens qui aiment mes films savent que le sexe n’est pas « gratuit », c’est-à-dire qu’il sert une histoire, des émotions, et sublime les rapports humains. Je pense qu’ils savent aussi qu’il y a de ma part un engagement sincère et personnel ».
C’est cet engagement qui sert de liant à tout le film : il crée un contexte visible à l’écran, celui d’un combat collectif pour la visibilité, une conviction portée par la douceur et la sensualité. Vivante rappelle que vivre c’est jouir, c’est aimer, c’est rire, c’est danser. Il donne envie de suivre la recette et de permettre au plus grand nombre possible d’en profiter également. Parce qu’au-delà de vivre soi-même, il n’y a rien de plus beau que de voir les autres profiter d’être en vie.
« Vivante » un film d’Anoushka, avec Romy Furie, Bertoulle Beaurebec, Yumie Volupte, Misungui, Marie-Léa Kinka, Cybèle Lespérance, Kay Garnellen, Bishop Black, Rico Simmons, Pia Ribstein sur Canal + à partir du 15 août 2020.
Image en une : photo de tournage par Pia Ribstein.
Chouette! 🙂
Mais comment pourra-t-on découvrir ce film sans etre abonné à canal? :(…en étant en Belgique…
Anoushka devrait le mettre sur son site internet a posteriori ! On vous tiendra informés.