Le porno fait de la pédagogie
Jamais le monde du porn ne s’est tu face à un déferlement d’accusations de pervertir la jeunesse. Mais depuis quelques années, fort de son savoir et de son évolution, il a pris en main une pédagogie à destination d’adultes, de parents ou d’ados. Mais dans le grand train de l’éducation à la sexualité, et notamment sur le porno, la France a, comme souvent, plusieurs wagons de retard.
Les griefs sont nombreux concernant l’influence du porno sur la jeunesse, et les hommes en premier, susceptibles de devenir « accros ». On l’accuse d’être trop loin de la réalité de la vie sexuelle hétéro, d’en offrir une vision déformée et excessive, clinique, plongeant les garçons dans une angoisse de performance et les filles dans l’évidence d’une soumission à l’homme… Adolescents et jeunes adultes calqueraient les prémices de leur sexualité sur des pratiques toujours plus hard, à force de naviguer dans le flux du porno mainstream, sans savoir, la plupart du temps, qu’il existe un autre porno, éthique, inclusif et féministe, prenant en considération toutes les sexualités, les corps et les plaisirs, et les désirs des femmes.
Parlons porno
Alors, pour éviter cette déformation du réel, il faut tout simplement parler porno. Prendre le taureau par les cornes, et le porn par la queue.
Le porn, c’est l’ultime tabou. Entendre parler pornographie entre les murs de son établissement scolaire est rare, même si infirmières et infirmiers scolaires et intervenantes et intervenants extérieurs (comme le Planning familial) s’y collent parfois. Mais parler cul devant sa classe entière n’est pas exactement un moment sympa. Concernant l’éducation sexuelle à l’école, Diane Saint Réquier, éducatrice en santé sexuelle et fondatrice de l’excellent Sexy SouciS nous rappelle que « la loi de 2001, et la circulaire consécutive de 2003, qui prévoient une éducation à la sexualité à raison de 3 séances annuelles, sont très inégalement appliquées. La plupart des élèves ne bénéficient que d’une seule séance pendant leur scolarité. Pour ce qui est de l’éducation au porno, le discours majoritaire reste assez marqué par des considérations morales ou simplistes. (…) On en fait une catégorie à part alors que les représentations problématiques qu’on y trouve sont les mêmes que dans les contes de fées, les comédies romantiques et les films d’action… la génitalité en plus. »
Et à la maison ? Certains parents n’hésitent pas, à l’aise avec leurs gosses, mais souvent seuls, sans outils pédagogiques. Gaëlle a évoqué la pornographie avec son fils de 14 ans, qui lui en a parlé spontanément. Si elle « n’y connaît rien en porno », son fils a pu lui dire que « le culte de la performance l’effrayait un peu, qu’il ne trouvait pas ça très sain ». « Je ne lui ai pas interdit, ça ne sert à rien, je lui ai simplement dit que ça travestissait la réalité de la vie sexuelle », se rappelle Gaëlle. Et si des performeuses expliquaient ce qu’est le porn aux ados ? Pour cette mère de famille, « ce serait vraiment intéressant qu’elles puissent en parler avec leur point de vue ».
Vincent, lui, a parlé porno avec son fils alors que celui-ci était âgé de 11 ans 1/2, après être tombé sur un historique équivoque. « Il n’avait pas trop envie qu’on en parle, et même s’il avait en tête que c’était de la mise en scène, je lui ai expliqué sur quels types de violences il pouvait tomber, et qu’il n’avait pas le recul nécessaire pour assimiler ce genre d’images. » Vincent se souvient avoir essayé « de faire passer un message pédagogique, sans aucune culpabilisation ». Dans la foulée, il a offert à son fils le livre Sexpérience, de Margot Fried-Filliozat et Isabelle Filliozat, afin que son fils trouve les réponses à ses questions de son côté. « Quand ça vient uniquement des parents c’est compliqué, c’est mieux que ça vienne de l’extérieur. À ce moment-là, je ne me suis pas demandé si des supports faits par des travailleurs et travailleuses du sexe existaient. » Pour David, qui a abordé le sujet avec sa fille alors âgée de 15 ans, « si les TDS remettent les choses dans leur contexte, ça ne peut qu’être intéressant, et inédit. Que ces acteurs et actrices fassent le job d’éduquer sur le porno, c’est super, et ça démystifie le côté ‘hard’ de la pornographie. »
Savoir trouver des sources
Pour Vex Ashley, réalisatrice et performeuse, l’une des précurseures dans le domaine du porno alternatif, « nous ne devons pas limiter le porno à : juste divertissant ou juste éducatif. Dire que nous ne pouvons jamais rien apprendre de ce qui est divertissant est réducteur. Le porno fait partie de la société et c’est le travail de toute société de mieux éduquer les gens sur le sexe et la sexualité. » Qui pour expliquer mieux le porno que les premiers et premières concernées ? Évidemment, si vous tapez naïvement dans votre barre de recherche « éducation du porn » vous allez tomber sur le cliché de l’étudiante en tenue d’écolière kawaï et son professeur vicieux en veste en tweed à coudières (mais qui cachera une musculature étonnante). Peut-être tomberez-vous sur le « Pornhub sexual wellness center » (centre de bien-être sexuel de Pornhub, rien que ça !), lancé en 2017 par le célèbre tube.
Alors, au royaume de la pédagogie du porn, il faut connaître les bonnes sources… et savoir parler anglais. Ainsi, si les « guerilla girls activist » du site The pleasure project se définissent comme des propagandistes du plaisir et interviennent dans de nombreux pays pour défendre le safe sex, certaines personnalités, issues elles du monde du porn, vont plus loin, proposant aux parents et éducateurs des outils adaptés à la jeunesse. Ainsi, la réalisatrice et productrice suédoise Erika Lust, a conçu en 2017 la plateforme The porn conversation. Sur le site (traduit en plusieurs langues), un panel d’outils, d’articles et de vidéos, la possibilité de contacter des « ambassadeurs ou ambassadrices », et surtout, des supports en lien avec l’âge des enfants : moins de 11 ans, entre 11 et 15 ans, plus de 15 ans. De quoi ouvrir le dialogue sereinement avec sa progéniture, bordé par les expertises de professionnels et professionnelles.
Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Le collectif berlinois Sexschool, composé de performeurs et performeuses, s’adresse lui aux adultes, dans une série de tutos jouissifs (dans tous les sens du terme). On y parle plan à trois autant que respect et hygiène. C’est hot et excitant, autant que drôle et pédagogique. Une école du cul, à ne pas mettre devant de jeunes yeux, mais bénéfique aux adultes.
Sur le site crashpadseries.com, antre réputé du porno queer, des artistes évoquent leurs pratiques sexuelles, et on trouve un espace ressources très inclusif sur la santé sexuelle. Pour Shine Louise, réalisatrice, à l’origine notamment d’un guide safe sur la pratique du fisting, « le porno peut aider à créer sa propre identité en tant qu’être sexuel (…) Certains guides pour adultes sont destinés à fournir des informations et de l’inspiration, mais le rôle des vidéos pornographiques n’est pas de se substituer à une éducation sexuelle complète et adaptée à l’âge. »
Et en France ?
Peu de mots suffisent à expliquer le côté fictionnel de la pornographie… encore faut-il être à l’aise avec le sujet. En France comme ailleurs, il semble que ce soit les femmes, et donc les performeuses, qui, en plus de se soucier du plaisir féminin, s’inquiètent et prennent en main l’éducation au porn. Ainsi, de jeunes médias spécialisés dans les vidéos courtes, dont l’adolescent curieux d’actualité sera friand, font le job minimum en… 5 minutes chrono.
Devant la caméra, la star Nikita Bellucci, pour Melty, l’ancienne performeuse Céline Tran pour Brut ; et même Carmina (réalisatrice, performeuse et actuelle rédactrice en chef du Tag Parfait), pour Konbini news, parlent de manière crue et accessible de leur métier, de la diversité d’un domaine qui peut proposer le pire comme le meilleur, et démontent les idées reçues, enjoignant à ne pas oublier qu’il s’agit d’un travail et non d’une réalité de l’intimité. Concises, claires, ces vidéos peuvent être le point de départ d’une discussion, ou au contraire l’excuse pour ne pas aborder un sujet qui met mal à l’aise le parent pudique. L’interview a fait le boulot, et c’est mieux que rien du tout.
Pour les quadras qui ont écouté Doc & Difool sous leur couette, une vidéo YouTube de 30 minutes de l’émission « Sea, sex and sex », avec comme invités Céline Tran et Christian Spitz (le Doc !) qui répondent à tout un tas de questions adolescentes. Directes, les questions. L’occasion pour le parent de parler de l’émission fétiche de sa jeunesse passée, après avoir laissé son ado découvrir, seul, les réponses parfaites de Katsuni et du Doc. À noter que Céline Tran, aujourd’hui coach en bien-être et sexualité, traite également du thème « Porno vs réalité » sur son site, Ma vie de ninja, dans une vidéo de 7 minutes abordant l’artificialité et la codification des scènes porno.
Pour Nikita Bellucci, le besoin d’expliquer son métier et d’en déconstruire les préjugés est d’abord né de l’agacement « des abolitionnistes qui parlaient à notre place ». Depuis, elle poste régulièrement sur ses réseaux sociaux de courtes vidéos éducatives théâtralisées, où elle se met en scène. Sérophobie, repas entre amis sur les préjugés autour de la pornographie, consentement et désir féminin, la performeuse se rend compte avec les retours que ces sujets « parlent à tout le monde, et qu’il est important de montrer qu’une actrice porno ne se résume pas qu’à son métier. Notre parole a un poids et peut faire évoluer les mentalités. Il faut un discours derrière notre métier. » La star perçoit le positif de l’initiative à travers ces messages la remerciant, « merci, ça m’a ouvert les yeux, je vois les travailleuses du sexe autrement ». « J’ai également des retours d’ados… Tout ce travail humanise les TDS, il permet de sortir des discours infantilisants. » Effet secondaire, le public comprend que le métier et la fiction n’ont rien à voir avec la vérité de ce qu’il se passe dans leurs (et donc nos) chambres.
S’il vous reste un ultime doute sur la nécessité d’écouter ces sex educators d’un nouveau genre, un petit détour par les 4 épisodes du podcast d’Ovidie sur France Culture, « l’éducation sexuelle des enfants d’internet » achèvera de vous convaincre du bien-fondé de ces initiatives et de l’importance d’écouter, encore une fois, celles et ceux qui en savent le plus.
Qui doit réellement éduquer au porn ?
Pour autant, le caractère récent de ces propositions pédagogiques, environ 3 ans, pose de nombreuses questions. L’accès au tout porno date de bien avant. Pourquoi alors ces performeuses se sentent-elles obligées aujourd’hui encore de remettre leur métier dans leur contexte ?
L’éducation à la sexualité, en milieu scolaire comme des parents, a t-elle évolué aussi vite que les technologies et que la jeunesse qui les manient ? S’est-elle adaptée à tous les questionnements et toutes les sexualités ou est-elle restée hétérocentrée, cantonnée à une prévention des risques, occultant diversité et plaisirs ? Il semble que toute personne en discutant deux minutes avec un ou une ado saura la réponse. « Le porno peut jouer un rôle mais il ne peut pas être le seul, souligne Vex Ashley. L’éducation sur le sexe dans un cadre non sexuel est vitale. (…) Et l’éducation sexuelle doit être bien documentée, inclusive, nuancée et placée dans le bon contexte. »
Car l’autre question sous-jacente est en fait primordiale : est-ce réellement le rôle des travailleuses du sexe de pallier ce manque, d’ouvrir aux réalités des genres et sexualités ? De rappeler que la pornographie est et demeurera un divertissement ? Certes, le sexe y est non-simulé, mais il est pensé, écrit, calibré, entouré de caméra et de preneurs de son, en un mot : scénarisé. Demande-t-on aux interprètes de James Bond, féru de dry martini, de faire de la prévention sur les dangers de l’alcool ? Ou à Vin Diesel, conducteur fou de Fast & Furious, de souligner les risques de l’excès de vitesse ?
Pour Diane Saint Réquier, « si une travailleuse du sexe souhaite être éducatrice sexuelle, il faut regarder sa posture, ses connaissances et son discours, comme pour n’importe qui. Être ou avoir été TDS peut apporter une compréhension particulière des rapports de domination et de négociation qui peuvent être présents dans la sexualité. Mais le porno n’a pas pour vocation d’être éducatif, c’est avant tout un support d’excitation. »
« Les stigmates sociaux entourant la sexualité font que de nombreux adultes sont mal équipés pour répondre au genre de questions que les enfants peuvent poser, observe Jiz Lee, artiste porn. Nous rendons un mauvais service aux jeunes de notre société lorsque nous ne fournissons pas des infos complètes et adaptées à leur âge sur la santé sexuelle, le genre, les relations et le consentement. Il appartient à la société, et à l’Etat, par l’intermédiaire des professionnels et professionnelles de santé, de fournir ces informations. »
Alors, des travailleurs et travailleuses du sexe qui expliquent leur métier de manière ludique et vulgarisée, oui, mais prendre le rôle des familles et de l’éducation nationale, non. Chers parents et éducateurs, il ne reste donc plus qu’à.
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