Oneohtrix Point Never – Still Life (Betamale)
Si vous êtes passés à côté de l’exceptionnel R Plus Seven, l’album de Oneohtrix Point Never aka Daniel Lopatin, il n’est pas trop tard pour vous rattraper. La vidéo qui va suivre vous en convaincra peut-être. Still Life est un morceau lourd de sens, une expérience à la fois anxiogène et apaisante, la bande originale d’un périple dans l’abysse du projet Internet. L’ancien 4Chan — perdu à jamais —, les forums douteux de Usenet et du Deep Web… Personne ne peut prétendre être sorti complètement intact de ce genre d’expérience. C’est une question de sanité d’esprit. Quand tu regardes l’abîme, l’abîme regarde aussi en toi. C’est de cette interactivité entre sujet et objet dont il est question dans le clip de Still Life : comment Internet et son contenu nous ont-ils altérés à jamais ?
Jon Rafman, le réalisateur du clip est un habitué de cet Internet qui ronge le crâne, celui des fantasmes inavouables et des dépressions intarissables — la nécropole des Beautiful Ones. Pour preuve : le lancement du clip de Still Life a eu lieu sur la catégorie musique /mu/ de 4Chan, une belle manière de rendre hommage à la matrice de son inspiration. Sachant que Daniel Lopatin a étroitement collaboré à la réalisation de l’oeuvre de Jon Rafman, difficile de croire qu’il n’est pas lui aussi une âme perdue d’Internet. Leur clip repose sur les Furries, ces animaux anthropomorphes autour desquels s’organise toute une sous-culture : dessins, bandes-dessinées, peluches, déguisements…
A l’origine, les furries ne sont pas des objets d’excitation sexuelle, mais Internet en a décidé autrement. Il existe des dizaines de sites et de forums réservés aux excités de la fourrure. Depuis sa création, la board random de 4Chan est un de ces repères, où des guépards anthropomorphes sodomisent des loups à la musculature saillante et poilue. Pourtant, pour les /b/tards professionnels, les furries sont des intouchables d’Internet, au même titre que les bronies. Ils représentent — pour eux — les pires déviants devant les amateurs de Guro et les pédophiles. Cette haine pour l’anthropomorphisme est issue de l’imaginaire d’Internet, où celui qui bande pour un renard est l’archétype du Betamale.
Difficile de savoir pourquoi les Furries incarnent le Betamale, probablement à cause de leur côté enfantin genre manga mielleux, qui a tout pour déplaire aux /b/tards et autres peuplades agressives. Le Betamale, c’est la victime, l’adolescent crasse et immature effrayé par le monde réel. Réfugié dans le virtuel, il ne vit plus que dans son écran. Devenir un Betamale est la plus grosse angoisse du /b/tard et de ses amis, surtout parce qu’ils savent qu’ils n’en sont pas si loin. Alors, pour s’en prémunir, ils détestent avec force les Betamales et tout ce qui les évoque — y compris les Furries. Ou comment un fantasme est devenu le symbole de la perdition. Tant par la musique que par la vidéo, Jon Rafman et Daniel Lopatin ont réussi à saisir de manière exceptionnelle cette angoisse poisseuse, dont les Furries sont devenus l’égérie.
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