KAy Garnellen : « J’étais le premier mec trans à passer sur Canal Plus »
Activiste, performer, travailleur du sexe, réalisateur, la personne dont on parle aujourd’hui a de nombreuses casquettes. Français d’origine vivant à Berlin, KAy Garnellen cumule 10 ans de carrière dans la scène queer européenne. Autour d’un verre (ou deux) nous avons parlé de ses débuts, de porno bien sûr, et de ses futurs projets.
Carmina : On n’a jamais encore trop parlé de toi sur le Tag. Je pense que les Français te connaissent mal parce que tu es à Berlin. Pourquoi ce départ ?
KAy Garnellen : C’est possible oui. Ça fait neuf ans quand même. En fait, j’habitais déjà en Allemagne avant et j’étais rentré en France pour entamer ma transition, parce que c’était plus simple. Mais je n’avais pas envie de rester en France, parce que j’avais déjà découvert Berlin avant ma transition et j’avais kiffé. J’ai toujours eu un truc avec Berlin, depuis que j’avais vu les images de la chute du Mur, ça m’avait fait quelque chose. Après, j’ai découvert la scène queer à Berlin et c’est clairement là où je me sens le mieux. À part San Francisco. Maintenant, les loyers ont augmenté, mais quand je suis parti, tu pouvais vivre avec très peu d’argent, sans avoir besoin de prendre un boulot alimentaire, à côté. Je faisais du travail du sexe, des performances artistiques, ça suffisait. Et la communauté était présente : même sans avoir grand chose, tu peux faire beaucoup. En Europe, je ne connais pas d’autres endroits où tu peux créer autant.
https://www.instagram.com/p/Bvt8MTrHnwD/
Comment tu es entré dans le travail du sexe et le porno ? Lequel est venu d’abord ?
En tout premier, ça a été le porno, mais j’avais rencontré Judy Minx aux UEEH. Elle avait attendu ses 18 ans pour se lancer. Avant cette rencontre, je n’avais pas vraiment réfléchi au travail du sexe. Je devais penser un peu comme tout le monde que c’était des meufs qui n’avaient pas vraiment le choix, économiquement. Je ne pensais pas forcément à la traite mais je n’avais pas pensé que ça pouvait être un truc choisi. Et Judy, c’était vraiment quelque chose de choisi, de voulu. Du coup, ça m’a fait réfléchir à ma position vis-à-vis du sexe. J’ai toujours été super sexuel et ça me posait d’ailleurs des problèmes dans mes relations, quand j’étais en relation monogame avec des meufs. Donc, je me suis dit que le travail du sexe pouvait être un moyen d’exprimer cette hypersexualité tout en gagnant de l’argent. Parce qu’il fallait quand même je pense à construire quelque chose pour vivre.
J’ai toujours maté beaucoup de porno. Avant ma transition, je regardais des pornos gay, je ne savais pas trop pourquoi. Il n’y avait pas de représentation de mecs trans. Moi, le premier que j’ai tourné, c’était en 2008. Avec mon corps, je n’ai jamais trop eu de problème, et après ma transition, j’étais encore mieux, donc je voulais faire de la représentation. Alors, j’ai voulu tourner avec Émilie Jouvet qui cherchait des gens pour son prochain film, même si c’était pas payé. Finalement, ce n’est jamais sorti, mais comme ça s’était très bien passé, j’ai eu envie de continuer.
Pour le travail du sexe, je ne savais pas trop comment m’y prendre au départ. Je sortais avec une personne genderqueer qui pratiquait la domination et je lui avais proposé de participer si jamais iel avait besoin d’une personne en plus. Iel a eu rapidement une opportunité. J’étais rajouté un peu au dernier moment, alors j’ai été moins bien payé, mais je ne suis éclaté. Ça s’est super bien passé. Aucun mec n’a remis en cause mon passing, quand un gars s’approchait de ma bite, mon ami·e se plaçait devant moi et les choses se faisaient naturellement. A partir de là, j’ai continué un peu avec iel et ensuite tout seul.
Tu as fait combien de scènes/films depuis ?
Une vingtaine ou une trentaine. C’est pas énorme, même si c’est de l’alternatif. À une époque, j’avais essayé de rentrer dans le mainstream gay, mais ils n’étaient pas ouverts en France. Je sais que maintenant ça a changé, peut-être que je vais réessayer. Je suis resté dans l’alternatif, parce que je n’avais pas le choix, haha. N’empêche, ça me convient mieux comme façon de travailler. Je ne suis pas sûr que bosser dans le mainstream, ça va me convenir. Mais j’aimerais essayer pour faire de la visibilité, pour avoir un nom et avoir davantage de clients, parce que je sais que la notoriété aide.
En mars, tu étais dans le film de Canal Plus par Anoushka. Ça fait quoi, pour une personne qui est un peu de la même génération que moi, qui a connu le « premier samedi du mois » mythique ?
C’était un peu comme quand j’ai tourné avec Bruce LaBruce : waouh ! On n’avait pas la télé dans ma famille et de toute façon Canal Plus c’était en crypté, mais un jour j’ai eu l’info que le premier samedi du mois, il y avait un porno et je sais que ce jour-là quand j’étais dans un endroit avec une télévision, je redescendais pour mater le film, malgré le codage, on voyait pas grand chose, mais je me faisais mon film dans la tête, avec l’excitation en plus de pas être pris en flagrant délit. Donc c’était assez drôle au final de réaliser que je passais sur cette chaîne.
https://twitter.com/anoushka_nsp/status/1115986992481882112
Sachant que c’est intéressant au niveau de la représentation, parce que le public qui regarde n’est pas habitué à voir des mecs trans.
Pour le premier film d’Anoushka, où j’avais une scène il y a quelque temps, je sais que j’étais le premier mec trans à passer sur Canal Plus. C’est vraiment super, grâce à d’autres personnes, de faire avancer les choses. Et en plus dans ce film, il y a tout un dialogue sur la transidentité. Je suis super content qu’il y ait des gens qui me permettent d’accéder à ça, de faire cette représentation. Autant j’aime performer sur la scène queer et tourner des pornos queer, bosser avec des potes, autant j’adore aussi pénétrer le monde non alternatif et leur balancer ça à la gueule.
Tu as une performance porno que tu as aimé davantage que les autres ? Une que tu aurais moins appréciée ?
Moins appréciée, non. Je n’ai jamais eu de tournage où c’était bof, je me suis toujours éclaté. J’ai eu une scène préférée. C’était Biodildo 2.0. de Christian Slaughter. On était quatre, on a baisé toute l’aprés-midi, on avait une alchimie incroyable, c’était vraiment cool. C’est un court-métrage parce qu’il n’y a pas plus d’histoire que ça, juste deux couples échangistes qui se rencontrent. Mais avec le matériel qu’ils avaient, je pense qu’ils auraient pu en faire 2 films ! Il y avait une meuf trans, une personne genderqueer, un mec cis bi ou pan et moi. Ils ont laissé tourner la caméra, parfois certains faisaient des pauses, mais quand tu reviens, il se passe un nouveau truc, t’es complètement excité, tu te remets dans l’énergie. C’était fou quoi. Ils ont dû nous arrêter, parce que je pense qu’on pouvait baiser toute la nuit.
J’aime bien quand il y a plein de diversité. C’est important de montrer toutes les choses, les sexualités, on peut faire tellement de trucs qui ne sont pas représentées. Je pense que si les gens enlevaient un peu les barrières qu’ils se sont mises dans la tête pour rentrer dans une case, leur sexualité serait beaucoup plus large et ils s’amuseraient beaucoup plus. Je retrouve ça dans les événements plus ouverts. Pas simplement les sex party queer, mais celles qui sont ouvertes à tout le monde. J’aime voir plein de corps différents, plein de sexualités différentes, c’est là où je m’éclate le plus.
Ce n’est pas un peu contradictoire avec ta volonté d’aller dans le mainstream ? Tu risques de te fermer à cette ouverture et au côté politique des représentations diverses.
Je ne pense pas parce que le fait d’avoir un mec trans dans un porno mainstream, c’est déjà super politique. Au niveau des sexualités, ce sera limité. Dans les sexualités gay, il y a beaucoup de pratiques différentes (c’est déjà ce que je fais en tant que travailleur du sexe). Mais de façon générale, j’ai besoin de faire plein de choses très variées.
Tu dis n’avoir pas eu de mauvaises expériences sur les tournages, tu penses que c’est dû à quoi ?
Justement, je ne suis pas encore vraiment entré dans le porno mainstream. J’ai beaucoup discuté avec Anoushka parce que les réalisateurs qui te stoppent, qui te mettent dans des positions précises, je n’ai jamais eu. Pour moi, à partir du moment où c’est la scène de sexe, ils font tourner la caméra, ils se positionnent du mieux possible et c’est tout. Et aussi, en amont, il y a ce moment de dialogue avec les autres performeurs et performeuses sans les gens du casting ou de la réalisation, où tu donnes tes limites, tu dis ce que tu aimes, ce que tu n’aimes pas. À ce moment déjà, il y a une première connexion. Ensuite, tu pars de cette connexion-là, mais la caméra n’interfère pas, c’est juste un moment où tu t’éclates. En plus, avec des gens envers lesquels tu n’aurais pas forcément été attiré. Même si des fois oui, il faut avouer que le porno, c’est parfois une bonne façon de baiser avec une personne qui te plaît, haha ! Tu demandes innocemment si la personne ne veut pas tourner un porno avec toi et tu vois ce qui se passe. Parce que tu peux avoir un côté timide : moi je n’ose pas forcément demander à certaines personnes dans le privé, mais s’ils sont acteurs ou actrices, c’est un bon moyen.
Anoushka le dit aussi, c’est chercher le réel. C’est pas du fake. Il y a une vraie connexion, et à partir du moment où il y a cette connexion, moi je m’éclate.
Donc, pour toi, dans tes films, il n’y a pas de comédie ?
Non, la comédie, c’est un moment où il y a un dialogue rigolo. J’en parlais avec deux performeurs du mainstream sur le film d’Anoushka, leur expérience je ne l’ai jamais eu : surjouer, prendre des poses. Moi, c’est très simple, au bout de trente secondes, j’ai oublié la caméra, je suis dans mon moment, je m’éclate et c’est à l’équipe de se démerder pour bien filmer et pour faire le montage ensuite, haha.
Tu as toi-même réalisé des films : combien ? C’est un direction vers laquelle tu veux aller ?
J’en ai fait trois pour l’instant. C’est quelque chose qui m’intéresse, oui. Mais après il faut les moyens. Moi, parfois je performe gratuitement parce que j’aime le projet, mais dans l’idée j’aimerais payer les personnes qui bossent avec moi et c’est ça qui me limite.
J’ai appris en étant devant la caméra, ça m’intéresse. Quand je suis sur un tournage et que je ne suis pas dans une scène, je vais toujours sur le plateau pour voir comment ça se passe, comment les gens font. Je demande des détails techniques, en essayant de pas être trop lourd. C’est comme ça que j’ai appris. J’en ai fait trois, mais j’ai plein d’idées, c’est juste les moyens qui manquent.
Tu as des projets en cours ?
En film, rien pour le moment. J’ai du matos pourtant, un truc filmé chez moi avec une pote. J’ai un délire avec mes dents, avec mes gencives. Et tu sais, les petites piques que tu passes entre, j’adore. Du coup, j’ai ça qui attend, c’est en mode porno, je suce vraiment le truc. Mais sinon, je vais continuer de bosser avec Anoushka, elle aimerait tourner à Berlin.
Tu continues à faire des performances ? On t’a vu notamment au SNAP en novembre, et au Porn Yourself
J’ai arrêté un moment et là, je m’y remets doucement. Pour le Porn Yourself à Paris c’était le même atelier que j’avais fait à Eropshère. Ça a super bien marché. Au départ, j’explique comment ça fonctionnent les backrooms, je parle aussi de mon expérience en tant que mec trans car c’est un peu à part quand même.
En gros les règles sont : tu ne parles pas, pas de négociation, tu dégages la main si tu veux pas. Puis, je propose un espace safe aux participants, ils se lancent et je tourne dans la pièce pour vérifier que tout se passe bien. Ensuite, on essaie un jeu de rôle. Je propose « À partir de maintenant, vous êtes tous des mecs homos : trans, pas trans, folle, mascu, ce que vous voulez. », avec la possibilité de se faire bander le torse, utiliser un packing, de la fausse barbe, etc. À l’Erosphère,tout le monde était à fond ! J’ai vu des lesbiennes sucer des mecs, ça a explosé les barrières de tout le monde. Une personne est même venue me dire : « Wow j’ai fait une double pénétration, c’est la première fois. ». Il y a eu un vote à la fin de l’événement et ça a été considéré comme le meilleur atelier. Les gens ont vraiment joué le jeu, parce qu’ils savaient que c’était safe.
À la Mut’, on le fera en deux parties dont une en mixité complète (ndlr : hommes cis autorisés). Pour moi, c’est important que tout le monde puisse se mélanger, c’est ça que je trouve le mieux. Et je vérifie toujours que tout se passe bien dans la salle, j’y veille vraiment. Mais je pense que ça peut faire tomber plein de barrières, de limites, de plein de manières, dans plein de sens. J’ai vu des mecs qui se considéraient comme pédés qui ont interagi avec des personnes avec un corps féminin et ils se sont masculinisés. C’est peut-être quelque chose qu’ils avaient envie de faire, mais qu’ils n’osaient pas assouvir.
Dans les backrooms, ça ne m’est arrivé qu’une seule fois qu’un mec soit vraiment relou, tu le pousses et en fait il part pas. Alors que c’est la règle : tu repousses le gars ou tu dis non et le mec va chercher ailleurs, parce qu’il y a le choix. J’aime le côté queer de négocier, de discuter avec les personnes au préalable, parce que tu vas plus loin dans ta sexualité en faisant ça. Mais il y a aussi des fois où j’ai pas envie, je veux juste une attirance animale, physique : paf. Si tu veux pas, bah paf tu dégages la main, tu repousses gentiment et ça marche. Je pense que c’est cool aussi d’ouvrir ça aux personnes queer. Personnellement, ça m’a donné beaucoup de confiance en moi de pouvoir dire : non je veux pas. Je pense que c’est quelque chose d’important à apporter.
A la Fête du Slip, le film Transsexworks – Trans Sex Workers on Frobenstrasse (ndlr : documentaire sur la situation des travailleur·ses du sexe trans à Berlin) sera diffusé, et après, je sais pas. J’aimerais bien tourner, histoire d’avoir quelque chose à envoyer avant la deadline du PornFilmFestival de Berlin. Des idées, j’en ai plein, mais il faut les moyens. J’aimerais bien performer plus aussi. À une époque, il y avait peut-être moins de monde, donc je tournais pas mal. C’est très bien qu’il y ait plus de mecs trans, c’est super de voir de nouvelles têtes, mais il ne faudrait pas que ça devienne une sorte d’effet de mode et que les gens qui sont là depuis plus longtemps, comme moi, disparaissent. Donc, je vais demander à tourner davantage. Coucou, je suis toujours là, haha !
On passera le message alors, haha.
Cette interview a été possible grâce au don de Sébastien D. merci pour ta contribution !
Propos recueillis par Carmina en avril 2019.
Image en une Kay par Alexa Vachon.
Aucun commentaire. Laisser un commentaire